jeudi 21 janvier 2021

Keranna, foi et enracinement en Basse-Bretagne

 Comme l’Irlande, la Bretagne est souvent qualifiée de terre de saints. Il y a les saints fondateurs, bien connus, du Tro Breizh. Ceux, plus nombreux encore, qui se dressent, statues de granit, à la « Vallée des saints » de Carnoet. Et puis il y a Madame sainte Anne, grand-mère du Christ, devenue Mamm-gozh des Bretons. Une belle et riche bande dessinée lui rend hommage.

« Yvon Nicolazic, ne craignez rien : je suis Anna, mère de Marie. Dites à votre recteur que dans la pièce de terre appelée Bocenno, il y eut autrefois même avant qu’il y eut aucun village, une chapelle dédiée à mon nom : c’était la première de tout le pays. Il y a 924 ans et six mois qu’elle est ruinée Je désire qu’elle soit rebâtie au plus tôt, et que vous en preniez soin, parce que Dieu veut que j’y sois honorée ».

C’est en 1625 sous le règne de Louis XIII, qu’un pieux paysan de Basse-Bretagne rencontre ainsi la mère de la Sainte Vierge, qui deviendra bientôt « Mamm-gozh ar Vretoned », la grand-mère des Bretons. Yvon Nicolazic a reçu la visite de sainte Anne. Elle lui a demandé de rebâtir le lieu de culte qui lui était consacré dans un coin de lande armoricaine. Nicolazic est humble et obéissant. Il va conter son histoire a Monsieur le recteur, mais ce dernier, méfiant, menace d’ interdire les sacrements au brave père de famille. Nul n’est prophète en son pays Nicolazic est doux comme un agneau mais, breton, il est un brin têtu. Il rencontre les capucins d’Auray qui enquêtent sur les apparitions et plaident en sa faveur auprès de l’évêque de Vannes, Mer de Rosmadec. On conclut à la véracité des apparitions et, du coup, à la nécessité de la construction de la chapelle. Entre-temps, une immense piété populaire s’est développée autour de la lande du Bocenno, en ce lieu nommé Keranna et qui deviendra, pour l’éternité Sainte-Anne d’Auray. Devenu basilique mineure en 1874, le sanctuaire était déjà le lieu saint de toute la Bretagne, l’expression de la foi de tout un peuple. La, sont accrochés les témoignages de gratitude de ceux dont Mamm-gozh a exaucé les prières. La, sont inscrits dans la pierre les noms de 8 000 des 240 000 Bretons morts pour la France en 14-18. Mais le culte de sainte Anne rayonne plus loin encore et continue d’attirer des pèlerins nombreux. Parmi eux, en 1996, un certain JeanPaul II.

Retracer la riche histoire du sanctuaire, mais aussi de la dévotion envers sainte Anne, voila l’ambition des auteurs de Keranna, une BD publiée par l’association spirituelle et culturelle Ar Gedour. Ar Gedour, en breton, c’est le veilleur, le guetteur; allusion à la fameuse « Prière du guetteur » composée par le poète groisillon Jean-Pierre Calloc’h, régionaliste et monarchiste, tombé au champ d’honneur en 1917. Un tel nom laissait présager une édition de belle tenue; et, en lisant Keranna, on n’est pas déçu. Oh, certes ! Il ne faut pas s’attendre ici à un récit enlevé, romanesque, fait de rebondissements et de chutes imprévues. La raison d’être de cette BD, c’est tout simplement de narrer la naissance, l’enracinement, le rayonnement d’une dévotion. On la dévore comme on boirait les paroles d’un guide habité. Le lecteur se familiarise non seulement avec le sanctuaire lui-même, mais croise au fil des pages des figures attachantes et édifiantes : Nicolazic le voyant pur; Keriolet, hobereau et pécheur repenti; mais aussi la foule des anonymes, des fidèles, des Chouans, des marins rescapés, des malades guéris. Ces visages prennent vie grâce au trait alerte et expérimenté de René Le Honzec. Les amateurs d’Histoire de Bretagne et de chouannerie reconnaîtront d’emblée son coup de crayon inimitable : c’est lui qui, il y a quelques années déjà, avait illustré la merveilleuse Histoire de Bretagne de Reynald Sécher (BD en dix tomes). Ici, Le Honzec peint le tableau de l’épopée d’Yvon Nicolazic, mais aussi de la vie en Bretagne et en France à l’époque des apparitions. Est-ce un clin d’œil ? Lorsqu’il dessine Mer de Rosmadec, qui fut évêque de Vannes de 1622 à 1646, on jurerait voir les traits de l’actuel successeur de saint Patern. Et parce que Nicolazic a posé la première pierre d‘un établissement fécond qui allait traverser les siècles, le récit se poursuit jusqu’à nos jours, sous forme chronologique et thématique à la fois. Chaque page met en lumière une étape ou un aspect de l’histoire de la dévotion envers sainte Anne : la construction est simple, efficace, sans complications inutiles. On se met à l’école des saints, et on (re)découvre l’Histoire d’une belle province de France. Keranna est paru en français et devrait être disponible prochainement en breton. Dans l'une ou l’autre langue, c’est un ouvrage indispensable pour mieux connaitre ce sanctuaire important. Une lecture revigorante quand on partage la devise des Chouans du Morbihan « Doue ha mem Bro »

Dieu et mon pays !

René Le Honzec, Keranna, l’histoire de Sainte Anne d’Auray éditions Ar Gedour, 2019

Francois La Choüe monde&vie 14 novembre 2019 n°978

Aucun commentaire: