J’ai longuement fréquenté, Jean Madiran comme directeur du quotidien Présent, retour sur son combat contre l’hérésie du XXIe siècle qui est plus que jamais d’actualité.
Les éditions Via Romana viennent de redonner, cinq ans après la disparition de son auteur, une nouvelle édition de L'hérésie du XXe siècle, qui fut assurément l'un de ses maîtres livres.
Rééditer L'hérésie du XXe siècle, c'est poser, au XXIe la question de son actualité. Cette hérésie ici évoquée n'est pas définie par Jean Madiran. Elle est l’expression du modernisme condamné par saint Pie X, et prolongé par ce qu'on a appelé le progressisme. À la première ligne de son ouvrage, l'auteur souligne qu'elle est « celle des évêques ». Le constat était fort, sans doute, mais s'autorisait, en cette fin des années 1960 où il fut rédigé, de l'autorité même du Pape Paul VI qui évoquait, à la même époque, à propos de « la mentalité postconciliaire » une recrudescence du modernisme.
C'est à cette même autorité du Pontife suprême que, le 27 octobre 1972, Jean Madiran s'adressait en une lettre dont le condensé de la première phrase appartient à l'histoire de l'Église : « Rendez-nous l’Écriture, le catéchisme et la messe ».
L'affirmation de ce manque est sans doute la formule la plus condensée par laquelle Jean Madiran a sinon défini, du moins exprimé la réalité de cette hérésie du XXe siècle - hérésie dont, malgré les réponses diverses et toujours incomplètes de Rome, nous subissons encore le joug en cet an de grâce 2019 qui voit paraître cette nouvelle édition. Ce qui justifie d'aller se plonger dans cette œuvre magistrale - ou, comme le disait Marcel De Corte, ce « diagnostic étincelant ».
Et, de fait, jusqu'à cet été 2013 où il nous quitta pour entrer dans la joie du Père céleste, Jean Madiran n'a jamais cessé de réitérer, avec insistance, sa demande. En pointant, avec la précision d'un chirurgien ou d'un entomologiste, la moindre déclaration suspecte en soulignant avec l'enthousiasme d'un fils le moindre commencement de réponse apportée à sa requête.
Oui ! d'un fils. Ce serait en effet fort mal connaître Jean Madiran que de voir en lui, comme d'aucuns se sont plu à le dénoncer, un imprécateur se permettant d'en remontrer à son curé, au collège épiscopal, au pape.
S'il avait à cœur de défendre la Vérité telle qu’elle lui avait été transmise, comme à tout catholique, par l'Église au cours des siècles, il souffrait de ce que cette défense dût se faire à l’encontre même des membres enseignants de cette Église, chargés par le Christ de paître son troupeau.
Amoureux de la piété filiale
Car cet intellectuel, ce philosophe, ce théologien avait avant tout l'âme d'un fils, et, amoureux zélé de la piété filiale, il souffrait de se trouver en désaccord avec le père commun, sed magis amica veritas.
Pour avoir passé plus de vingt ans tout à la fois à ses côtés et sous sa férule, j'en puis témoigner. Il serait mort plutôt que d'abandonner le combat - et il est effectivement mort, à quatre-vingt-dix ans passés, sur le rempart. Mais il souffrait d'avoir à le faire il souffrait, fils devenu un maître, d'avoir à reprendre ceux qu'il aurait volontiers, en demeurant simple professeur de philosophie, révéré sans élever la voix si la tempête n'avait déferlé.
J'en témoigne sans m’étendre davantage, mais avec d'autant plus de plaisir que la présente édition est enrichie d'une préface de Michel De Jaeghere et d'un dossier historique de Philippe Maxence, deux journalistes pour lesquels j'ai de l'amitié - ce qui n'est rien - et du respect - ce qui vaut mieux.
À la manière d'un caricaturiste qui, en trois coups de crayon, vous fait apparaître un visage connu, Michel De Jaeghere brosse, en quelques phrases limpides (ce qui est un art plus délicat), le portrait superbe d'un Jean Madiran que l'on reconnaît d'emblée. Si vivant, qu'on s'attend, à chaque instant, à entendre sa voix, douce et forte à la fois, vous interpeller encore.
Quant à Philippe Maxence, il resitue avec précision le cadre dans lequel L'hérésie du XXe siècle est né, et a grandi jusqu'à nos jours. Parce que, décidément, c'est un livre d'actualité. L'adjectif « historique » rend mal le travail ici réalisé. Il faudrait préciser « dossier historique et intellectuel » tant il nous fait pénétrer non seulement dans ces années difficiles, mais dans la réflexion de son auteur.
Préface et dossier auraient sans doute pu être confiés à l'un de ceux qui ont travaillé, pendant de longues années, auprès de Jean Madiran. Et pourtant leur force est d'autant plus grande, me semble-t-il, que ces deux journalistes n’ont jamais été de ses collaborateurs. Ce fait souligne la profondeur et l'universalité du combat mené par Jean Madiran. De cela, et de leur talent, qu'ils soient remerciés.
✍︎ Jean Madiran, L'hérésie du XXe siècle. Préface de Michel De Jaeghere.
Dossier historique de Philippe Maxence. Via Romana, 333 p., 24 €
Olivier Figueras monde&vie 8 février 2019 n°966
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