lundi 7 décembre 2020

L'islam, le christianisme et la tolérance texte de 2015)

 On est trop souvent resté au mauvais jeu de mot de Claudel (« la tolérance, il y a des maisons pour ça ») en oubliant que les grands thomistes espagnols du XVIe SIÈCLE, sous l’impulsion de Cajétan, avaient théorisé la tolérance en l’attribuant…  à Dieu « qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants »… Une théologie de la tolérance n’est pas facultative aujourd’hui. Elle n’a rien à voir avec le sens que notre société athée donne à ce mot.

Il y a dans la tradition culturelle islamique (je ne dis pas l'islam religion parce que je ne prétends pas descendre dans le cœur de tous les musulmans, chacun ayant son islam, et je ne dis pas l'islamisme parce que ce serait trop marginal) un certain nombre de textes contre le blasphème et contre les "mécréants" et cela tant dans le Coran que dans les hadîths, textes qui sont extrêmement forts et qui créent, à eux seuls, les conditions d'un choc de civilisation inédit dans l'histoire de l'humanité.

Exemple de ces textes, dans la collection Bukkari (qui est la plus importante collection de 'dits du Prophète') : « Aucun musulman ne pourra être tué pour avoir tué un infidèle » (52, 283). Voilà dans les textes de la Tradition, le permis de tuer ! Et encore, dans le Coran : « Sourate 33 : Ceux qui offensent Allah et son messager, Allah les maudit ici bas et dans l'au-delà et leur prépare un châtiment avilissant » (v. 57) et ensuite : « Ce sont des maudits, ils seront pris et tués impitoyablement » (v 61). J'utilise une traduction du Coran bilingue distribuée par les Frères musulmans. Je ne dis pas que l'on ne peut pas traduire autrement ou interpréter autrement, comme me le disait Tarek Oubrou, recteur de la Mosquée de Bordeaux. Je dis que cette lecture et cette traduction sont aujourd'hui culturellement majoritaires au sein de l'islam français.

Par ailleurs le blasphème n'est pas compris au sens chrétien de « ce qui ne convient pas par rapport à Dieu ou aux choses de Dieu » (cf Somme théologique IIaIIae Q. 13 al). Dans son Encyclopédie de l'islam, Malek Chebel, le modéré, propose cette définition, intrinsèquement polémique du blasphème « Le fait d'associer un autre dieu à Allah [par exemple de croire à la Trinité] ou d'alimenter une telle éventualité par l'écrit ou par l'oral ». Très vite, on en vient à l'idée que les mécréants (ceux qui ne croient pas comme il faut) sont des blasphèmes vivants. Le Takfir (l'excommunication) est dû à tous les kafir (mécréants). Ces mécréants ou mauvais croyants peuvent être comme l'explique Malek Chebel ceux qui croient comme les associateurs, ceux qui, professant la foi trinitaire, adorent un autre Dieu qu'Allah. Mais chez les intégristes musulmans, dans les rangs de Daech par exemple, les mauvais musulmans encourent aussi le takfir et leur vie est en danger. Aujourd'hui l'État islamique a exécuté et exécute tous les jours plus de mauvais musulmans que de chrétiens, d'autant que pour échapper à leur sort, comme le prévoit la sourate 9, les chrétiens peuvent payer tribut… Les mauvais musulmans non.

Une tradition chrétienne de la tolérance

Il y a aussi une tradition chrétienne foncièrement intolérante, remontant en particulier au XIII siècle et symbolisée par l'inquisition (même si d'après les historiens unanimes, l'inquisition médiévale n'a fait 'que' deux ou trois mille morts). Ce Tribunal a durement sanctionné ceux qui déclaraient s'écarter de l'orthodoxie chrétienne. Mais cette tradition, à la fois sociale et religieuse (l'Église codifiant l'indignation populaire), n'est fondée sur aucun texte. Ce sont les textes qui importent, parce qu'ils représentent la seule matrice sûre des comportements à venir…

J'en viendrai donc à l'enseignement de la tolérance dans l'Évangile. Il est avéré. Je donne ici rapidement trois pistes : 1. Le jugement définitif n'appartient qu'à Dieu seul. « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » 2. La parabole du bon grain et de l'ivraie prescrit de ne pas enlever la mauvaise herbe mais d'attendre ici-bas la moisson et le moissonneur divin. 3. Luc 12,1 : les paroles contre le Fils de l'homme sont pardonnées. Seul le péché contre l'Esprit saint (intérieur donc et dont Dieu seul est juge) ne peut être remis.

Les textes de l'Évangile contiennent une doctrine de la tolérance religieuse. Les prescriptions de l'islam immuable forment une doctrine de l'intolérance religieuse.

Ce propos naguère inaudible commencent à sortir ici ou là. Ainsi André Guérin, maire de Vénissieux, dans Le Point, n'hésitait pas à parler, au mois de janvier dernier, d'une guerre culturelle : « On se trompe en considérant que ces événements n’ont pour origine que des problèmes économiques et sociaux. Il s'agit aussi d'une guerre culturelle. Il y a vraiment des gens qui mènent une guerre culturelle contre la République, contre un art de vivre, contre ce qu'il y a de meilleur dans les valeurs occidentales. Le fond du problème est là ».

Àbbé G. de Tanoüarn monde&vie 23 novembre 2015 n°916

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