Voilà un livre qui s'avale d'une traite, comme un roman policier. D'ailleurs, tout bien considéré, c'en est un…
En posant la question de l'existence, oui ou non, d'un génocide en Vendée sous la Terreur, Jacques Ville-main propose de résoudre un crime. A-t-il eu lieu ? Qui donc l'a commis ? Et (a-t-on envie d'ajouter), pourquoi est-il nié ?
L'auteur de Vendée 1793-1794, une étude juridique (éditions du Cerf) a toute légitimité contemporaine pour répondre à ces questions. Juriste, diplomate, Jacques Villemain a une connaissance de première main du droit des crimes de guerre, et des crimes contre l'humanité, et de la forme spécifique de ces derniers qu'est le crime de génocide, qui, à la barbarie, ajoute une volonté d'éradication d'une population donnée. Il a travaillé plusieurs années sur ce type d'affaires, notamment auprès de la Cour pénale internationale à La Haye. Alors que le droit de ces tribunaux internationaux associe les traditions du droit romain écrit et le principe de la common law anglo-saxonne, sa fine connaissance de leur jurisprudence permet à Jacques Villemain de répondre de manière impitoyable aux objections à la reconnaissance du génocide de la Vendée.
Le regard qu'il propose sur les massacres en Vendée entre août 1793 et mai 1794 est inédit. Ce n'est pas celui d'un historien, toujours à la recherche de preuves écrites et de certitudes, de documents et d archives - encore que ceux-ci soient indispensables dans le cas présent. Mais qu'on y pense : c'est en se tenant à ce regard d'historien qu'un David Irving a pu prétendre, comme le rappelle Jacques Villemain, qu'Hitler n'étais pas au courant de la Shoah. En droit pénal, l'absence d'écrit n'apporte pas la preuve de l'absence du fait.
Une analyse de juriste
Voici donc une analyse de juriste, une froide mise en regard des faits et du droit. Les acteurs de la Révolution française ont-ils commis des atrocités correspondant à ce que le droit international contemporain qualifié de génocide ? Alors c'en est un. Tout le reste est révisionnisme !
C'est résumer en peu de mots et de manière sans doute trop rapide la très riche enquête menée par l'auteur, mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Et à l'inverse du polar où le lecteur se plaît à ne pas connaître l'identité du coupable, on ne gâche pas l'intérêt du livre en la révélant d'emblée ce qui compte, ici, c'est la démonstration. Implacable et passionnante.
Nécessaire, aussi. Jacques Villemain s'est lui-même passionné pour un sujet longtemps mis sous le boisseau, peu à peu déterré par quelques historiens convaincus que la doxa officielle sur les « dérapages » inévitables dans l’établissement de la République française était avant tout un manteau de Noé, indispensable pour ne pas confondre le régime politique en cours et surtout l'épopée de 1789 et les crimes commis en leur nom - sous peine de reconnaître que ce n'était pas une épopée, une geste héroïque à donner en exemple, à cause de ses aspects monstrueux.
Villemain, donc, découvre que la question se pose, notamment avec les travaux de Reynald Sécher qui le premier en 1986, parle de génocide à propos des dizaines de milliers de morts de la Vendée - 117 000 pour retenir son estimation. Sont-ils plutôt 200 000 comme le disent d'autres historiens, qui ne croient pourtant pas à une volonté d'extermination systématique ? Ces autres sont aujourd'hui les plus nombreux, ils tiennent le haut du pavé et ils minimisent, sinon les chiffres, encore et toujours les faits…
Le débat s'est déroulé entre historiens, ce qui ne suffit pas, montre Villemain. Ils manient des concepts juridiques avec des outils inadéquats, comparant les atrocités historiques pour jauger de la gravité des faits ou au contraire pour les excuser, et portant des jugements sans respecter toute la rigueur du droit qui, en matière pénale, est particulièrement stricte.
La démarche de Villemain est autre. Tout en tenant compte, et amplement, de ce que les historiens de tous bords ont pu dire - sans quoi il n'y aurait pas de matière à enquête - il intervient comme un juge d'instruction. Il analyse et il raisonne selon les exigences du droit, différentes de celles du chercheur historique. Le résultat n’en est que plus explosif, car le juriste, quand il est honnête, cherche l'objectivité.
L'entreprise aurait pu donner un texte sec, sans âme, trop technique. Il n'en est rien. Dans une langue élégante et précise, d'une clarté réjouissante et non dépourvue d'un humour subtil, Jacques Villemain livre sa réflexion qui mène, imparable, vers un but dont on devine par moments qu'il aurait peut-être préféré l'éviter : le Comité de Salut Public à travers l'ensemble de ses membres, ceux qui ont transmis ses ordres et ceux qui les ont exécutés ont bien considéré les Vendéens comme une vermine à exterminer (quand ce n'étaient pas des rats, ou des fauves dangereux) et ils ont tout fait pour en tuer autant qu'ils le pouvaient, pour effacer leur « race » de la terre. Génocide ! Les fondements de la République en prennent un coup.
Proclamer et violer les droits de l'homme
Pourtant Villemain n'est pas suspect de royalisme, ni même d'être un homme de droite, et surtout pas un contre-révolutionnaire - on ne trouve nulle critique, dans son livre, des Lumières en tant que telles, même si pour lui la filiation entre la théorie du contrat social de Rousseau et l'absence de liberté pour les ennemis de la liberté ont une parenté manifeste. Villemain considère les faits et se voit contraint d'en tirer les conclusions. Ni plus ni moins. Et souvent avec effarement. Il est soucieux de montrer que le génocide de la Vendée, dont il détaille avec précision la mise en œuvre systématique sous la responsabilité indéniable du pouvoir central, est le fait de personnes et non d'un régime.
Il est même étonné par l'incohérence des partisans de cette Révolution qui proclame les Droits universels de l'homme, et qui les violent si allègrement. Villemain l'explique par la fascination des révolutionnaires à l'égard du droit romain qui permet la mise « hors-la-loi » d'un être humain, citoyen ou non, qui, réduit à cet état, peut et doit être mis à mort par le premier venu, exclu qu'il est de toute protection légale.
C'est la limite du regard du juriste comme l'historien, son travail est circonscrit par les contraintes propres à son domaine. Il faut le regard du philosophe pour voir dans le génocide des Vendéens le laboratoire du totalitarisme qui ne laisse aucun espace à ceux qui se dressent contre lui. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », « interdit d'interdire », d'une révolution à l’autre les slogans donnent une version ramassée de ce parti-pris idéologique dont Villemain montre bien qu'il fait partie des motivations des génocideurs. Benoît XVI l'a conceptualisé en trois mots : « dictature du relativisme ».
Mais ce n'est pas l’objet de la réflexion de ce livre : Jacques Villemain dresse un acte d'accusation tel qu'il se présenterait de la part d'un juge d'instruction justement convaincu qu’en Vendée, « l’existence du fait de génocide est établi "au-delà de tout doute raisonnable" »
Ce faisant il éreinte les multiples thèses d'historiens - et notamment celles de Jean-Clément Martin, dont il ne reste plus rien lorsqu’on referme cet ouvrage - qui voudraient à tout prix ravaler le martyre du peuple vendéen à un simple crime de guerre, perpétré par un pouvoir qui n’avait pour ainsi dire pas le choix.
Est-il légitime, demandera-t-on, d'appliquer le droit du XXe et du XXIe siècle à des faits qui remontent à plus de deux cents ans ? N'y a-t-il pas là un péché d'anachronisme ?
La réponse de Jacques Villemain est passionnante, car elle se fonde sur l'existence, de tout temps, d'une vérité et d'une justice qui dépassent l'homme. Aucune loi positive ne condamnait le génocide en 1793 ? Certes. Mais les nations civilisées connaissent le « crime contre l'humanité » : « Le concept est fort ancien en philosophie du Droit puisqu'on le retrouve dès le Ve siècle avant J.-C dans la tragédie grecque : l'histoire d'Antigone est précisément l'affirmation de ce qu'il existe des "lois non écrites" (…) qui priment sur toutes les lois écrites. » L'identification des génocides est ainsi un moyen de contrer le positivisme juridique, cette plaie qui permet d'appeler bien ce qui est mal au gré du législateur… La mise à l'honneur de la « vertu de justice » - Villemain ose ces mots - n'est pas le moindre mérite de son ouvrage…
Sa leçon tient en une phrase, qu'il faudrait méditer et appliquer en notre temps de culture de mort : « Aucun homme politique n’est jamais obligé de commettre ou de cautionner un crime, surtout de cette ampleur il peut renoncer à exercer le pouvoir. » Mais c'est une autre histoire…
✍︎ Jacques Villemain, Vendée 1793-1794, Crime de guerre ? Crime contre l'humanité ? Génocide ? Une étude juridique. 306 p. Éditions du Cerf
Jeanne Smits monde&vie 16 mars 2017 n°937
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