jeudi 3 décembre 2020

Le Louis XIV tel qu'il se parle

 Patrick Dandrey vient de publier un petit livre fort utile aux éditions des Belles Lettres sur les mots et propos du Roi soleil. Il suffit de lire pour constater que le roi était fort honnête homme. C’est ce qui nous manque le plus aujourd’hui et c’est pourtant ce que l’on demande à un chef : être un homme accompli.

On se prend à rêver que François Hollande, qui associe une expression relâchée à un lâche gouvernement, se prenne de passion pour Louis XIV et médite quelques uns de ses conseils : « Les fautes que j'ai faites, et qui m'ont donné des peines infinies, ont été par complaisance, et pour me laisser aller trop nonchalamment aux avis des autres. » (Réflexions sur le métier de roi).

Cela lui permettrait de s'interroger sur les funestes conséquences de son "art" de la synthèse; quant à ses maitresses, à leurs lubies et leurs exigences, il aurait été inspiré de lire ceci : « Dès lors que vous donnez la liberté à une femme de vous parler de choses importantes, il est impossible qu'elle ne vous fasse faillir. La tendresse que nous avons pour elles, nous faisant goûter leurs plus mauvaises raisons, nous fait tomber insensiblement du côté où elles penchent : [...] Elles sont éloquentes dans leurs expressions, pressantes dans leurs prières, opiniâtres dans leur sentiment, et tout cela n'est souvent fondé que sur une aversion qu'elles auront pour quelqu'un, sur le dessein d'en avancer un autre, ou sur une promesse qu'elles auront faite légèrement. » (Mémoires pour l'année 1667).

Louis XIV porte à sa perfection la langue du XVIII siècle, où les mots ne sont pas nombreux mais les nuances infinies, nourries par les positions respectives de celui qui parle et de celui qui écoute. Et quand Louis parle, augmenté au fil des années du poids de son pouvoir, de sa gloire et de ses succès, la tension est à son comble : lorsque Colbert lut « Ne hasardez plus de me fâcher encore », on imagine son frémissement. C'est que la renommée du roi fait partie de son autorité, que ses conseillers ne doivent pas discuter mais éclairer, pour la conduire à son juste exercice. « Un peu de sévérité était la plus grande douceur que je pouvais avoir pour mes peuples », dit le roi en parlant de son accession au pouvoir en 1661 (mort de Mazarin) : « Car aussitôt qu'un jeune roi se relâche sur ce qu'il a commandé, l'autorité périt, et le repos avec elle. [...] Tout tombe sur la plus basse partie, opprimée par là de mille et mille tyrans, au lieu d'un roi légitime, dont la seule indulgence néanmoins a fait tout ce désordre. » (Mémoires pour l'année 1661). À défaut que Hollande analyse ce passage, on regrette que Louis XVI ne l'ait pas profondément réfléchi.

En un roi point de vice caché

Patrick Dandrey a soigneusement recueilli plusieurs centaines de citations de Louis XIV, filtrant les mémoires et les recueils de correspondance, distillant les écrits du roi (dont les admirables Mémoires pour l'instruction du Dauphin) et distinguant avec prudence le véridique du vraisemblable, l'attesté de l'apocryphe (« autre trait de même origine et d'égale incertitude », écrit-il pour introduire un mot que Voltaire prête à Louis XIV). Les chapitres thématiques se picorent avec bonheur ("les élégances de la bienséance", "la nécessité du conseil", "l'art de la réprobation" : « Nous ne demandons rien à Votre Sainteté en cette rencontre : elle a fait une si longue habitude de nous refuser toutes choses [...]», à Alexandre VII). Surtout, le portrait du roi est riche : majestueux, habile, maîtrisé, rusé, passionné, appliqué, tendre, travailleur, affectueux, chrétien, Français, chaque mot et chaque sentence corrigent la (fausse) figure marmoréenne d'un roi tout entier dévoué à sa gloire et si conscient de sa majesté qu'il aurait vécu figé. Non, Louis XIV, exerce avec passion le métier de roi, qu'il conquit de haute lutte et conserva avec acharnement, attaché à prouver sa connaissance des affaires et apprenant à trop bien connaître les hommes. Un métier éprouvant : « Si vous avez cru qu'il fût fort facile et fort agréable d'être roi, vous vous êtes trompé », écrit-il en 1702 à Philippe V, son petit fils devenu roi d'Espagne. Et un métier public : « L'habitude qu'il prend au mal le lui fait croire de jour en jour plus excusable et moins connu, tandis qu'il parait aux yeux du public plus honteux et plus manifeste ; car c'est une des plus grandes erreurs où puisse tomber un prince dépenser que ses défauts demeurent cachés. » Hollande, si tu nous lis...

✍︎ Patrick Dandrey, Louis XIV a dit - Mots et propos du Roi-Soleil, Les Belles Lettres, 2015,465 pages, 19€.

Hubert Champrun monde&vie 3 septembre 2015 n°912

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