Il se destinait à la philosophie et c'est en philosophe qu'il a grandi, soutenant d'abord une thèse sur le philosophe grec Plotin, à l'ombre d'un autre grand philosophe Martin Heidegger : « Si je n'avais pas rencontré Heidegger j'aurais été et je serais resté un professeur du secondaire s'intéressant à la politique ». On a souvent écrit que la puissance des schémas explicatifs qu'il met en œuvre ont fait de lui « un philosophe de l'histoire » plus encore qu'un historien.
Lorsqu'il se lance dans une histoire des idéologies au XXe siècle, il a déjà son plan, il a son idée sur la question. Voici comment il résume sa thèse : « La révolution opérée en novembre 1917par l'aile bolchevique du Parti socialiste de Russie et la défaite, incontestable mais pas évidente de l'Allemagne en 1918, avec le diktat de paix de Versailles (sic) qui en fut la conséquence, engendrèrent les conflits du XXe siècle II en résulta que les "idéologies" c'est-à-dire les prétentions socio-religieuses à l'absolu purent s'affirmer avec une force grandissante et provoquer une guerre civile européenne, qui, après 1945, se transforma en une guerre civile mondiale d'une qualité nouvelle ». Pour lui, les débordements du fascisme et du nazisme proviennent des débordements du communisme. Première manière d'excuser l'Allemagne du nazisme, sans la justifier pour autant.
L'athéisme au cœur du totalitarisme
Deuxième remarque importante pour lui, la doctrine s'alimente, chez les fascistes, à un refus de la transcendance, qui met le tout de la vie dans l'ici-bas. L'athéisme fasciste n'est pas anecdotique.
Troisième point seul le communisme explique l'horreur du nazisme : « Ce qu'il y a dans le national-socialisme déplus essentiel, c'est son rapport au marxisme, au communisme particulièrement, dans la forme qu'il a prise grâce à la victoire des bolcheviks ». Il est clair que de telles formules ne lui font pas que des amis. Il tient ainsi à distinguer soigneusement la « nation allemande » du bourbier du national-socialisme, à une époque où l’Allemagne se vautre dans la mauvaise conscience et où elle semble refuser d'exister en tant que nation.
Dans cette perspective qui est ouvertement la sienne, d'un réexamen des responsabilités de l’Allemagne pendant la guerre, il distingue très clairement l'idéologie « vôlkisch » des Corps francs, après la Guerre de 14 et le racisme hitlérien, qui n'est rien d'autre, explique-t-il, qu’« un fascisme radical », où la race juive prend la place de la classe bourgeoise comme catégorie à éliminer. Ayant mis hors de cause le mouvement Vôlkisch allemand, il ne s'interdit pas cependant une vigoureuse critique du mouvement royaliste l'Action française, dans lequel il voit le protofascisme européen. Il rejoint là les thèses controversées de l'historien juif Zeev Sternhell, mais par d'autres voies, en particulier celle de l'athéisme de certains responsables de l’AF, la perte du sens de la transcendance caractérisant selon lui le fascisme, on vient de le voir. Restait sans doute à ne pas prendre Charles Maurras au pied de la lettre, car, comme le montrera toute sa Poésie, ce n’est pas sans forcer sur chacun des deux termes que le Maître de Martigue se dénommait effectivement « un catholique athée ».
La question de l’Action française reste néanmoins secondaire dans son œuvre, par rapport à l'insistance de Nolte à considérer le génocide juif non pas tant comme l'Horreur majusculaire indépassable que comme un fait historique, susceptible de diverses interprétations : « À la place d'une histoire scientifique, procédant toujours par examen, explique-t-il, il existe une nouvelle forme de récit, mythologique ou dogmatique. Dans cette hypothèse, "Auschwitz" en tant qu événement symbole de l'avènement du mal absolu, occuperait une position centrale, prenant désormais la place du sacrifice du Christ, et parvenant à ce que toute pensée se rapporte à lui-même ».
Nolte n'est pas toujours facile à suivre. Sa liberté d'esprit ne lui créa évidemment pas que des amis. Il subit deux attentats, à l'occasion de cours ou de conférences et garda toujours un courage magnifique, devenant dans les années 60 une sorte de paria du monde universitaire allemand, même si sa polémique courtoise avec François Furet, historien bien connu de la Révolution française et du communisme russe, devait contribuer à le réhabiliter devant le grand public cultivé dès la fin des années 90.
Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 1er septembre 2016 n°928
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