Lorsque les politiques se réfèrent aux « valeurs de la République », de quelle république parlent-ils ? Lesdites « valeurs » varient en effet avec le temps et selon le numéro du régime.
Ce relativisme débouche sur des contradictions, qu'avait soulignées l'historien François-Georges Dreyfus dans le numéro de printemps 2010 de la Revue universelle. Dans un article intitulé « Les valeurs républicaines, le mythe et la réalité », il écrivait « Honorer les valeurs républicaines, c'est évidemment honorer les républiques qui ont précédé la Ve. Se rend-on compte que cela signifie mettre à l’honneur les Ie IIe IIIe et IVe Républiques. Il n’est pas sûr que les défenseurs des valeurs républicaines aient songé à cela. »
La Ie République, remarquait l'historien, « c'est la Convention et le Directoire, c'est-à-dire, d'abord, un régime totalitaire et génocidaire, puis, avec le Directoire, un régime aux coups d'Etat successifs, où règnent désordre, corruption et impuissance. » Si, sur ce dernier point, les républicains actuels paraissent bien dignes des grands ancêtres, le souvenir des guillotinades d'antan tranche un peu avec l'unanime condamnation de la peine de mort par les actuels moralistes de la République.
Les valeurs de Vichy !
Faut-il en appeler plutôt à la République numéro II ? Hélas, sa Constitution est rédigée « en présence de Dieu et au nom du peuple français ». Fâcheuse épine dans le pied de la laïcité, cette « valeur » fondatrice forgée par les républicains de combat de la IIIe Jules Ferry (ci-contre) et ses amis. Mais, patatras ! Ferry, ce Père de la République, est lui aussi suspect d'avoir dérogé aux vraies valeurs, comme le rappelait François Hollande en lui rendant un curieux hommage, le 15 mai 2012 : « Tout exemple connaît des limites, toute grandeur a ses faiblesses. Et tout homme est faillible. En saluant aujourd'hui la mémoire de Jules Ferry, je n'ignore rien de certains de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit, à ce titre, être condamnée. » À qui se fier ?
Passons sur les textes promulgués en 1938 par Daladier, « qui prévoient la mise en place de véritables camps de concentration pour les étrangers en situation irrégulière », rappelle François-Georges Dreyfus, et auparavant sur la loi du 10 août 1932, préparée par Edouard Herriot et Albert Sarraut, « protégeant la main-d'œuvre nationale », autrement dit établissant la préférence nationale : horreur et discrimination ! Les valeurs républicaines dateraient-elles donc de Marianne IV ? Pas davantage en 1956, le socialiste Guy Mollet décida d'envoyer le contingent en Algérie. Son garde des Sceaux était alors un certain François Mitterrand : qu'en pense aujourd'hui Christiane Taubira ? « Toute grandeur a ses faiblesses... »
François-Georges Dreyfus terminait son article par un terrifiant constat toutes ces républiques avaient « maintenu des valeurs qui ne sont pas les "valeurs républicaines" d'aujourd'hui. Travail, Famille, Patrie, ces trois termes caractérisent au fond assez bien ce que l'on peut appeler "valeurs républicaines" quoi qu'en pensent la gauche et nombre des intellectuels d'aujourd'hui. Il est vrai, comme le disait le général De Gaulle, que les principes dits de Vichy ne sont que "le prolongement normal de la devise républicaine" » Ciel ! Comme disait Tartuffe, cachez ce sein que je ne saurais voir.
Hervé Bizien monde&vie 10 juin 2015 n°909
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