L'une des illustrations les plus saisissantes des dangers que recèlent les nouveaux programmes est fournie par l'histoire-géographie. Aperçus sur un naufrage accéléré.
« Du passé faisons table rase », chantaient les socialistes à l'époque où ils connaissaient encore les paroles de l'Internationale. La chanson a été réécrite aujourd'hui, c'est de l'identité nationale et des racines de la France qu'il faut faire table rase, au besoin en utilisant l'histoire nationale. À cet égard, les nouveaux programmes d'histoire et géographie pour 2016, préparés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) mis en place par l'ex-ministre de l'Education, Vincent Peillon, s'inscrivent dans une funeste continuité.
Laurent Wetzel (ci-contre), ancien inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional d'histoire-géographie et auteur de Ils ont tué l'histoire-géo(1) observe que les thèmes proposés sont souvent abordés en fonction de problématiques idéologiques actuelles. C'est le cas des sujets de « repentance » : esclavage, colonisation, génocide des juifs, mais aussi, par exemple, de « l'histoire du fait religieux » et de celle des « premières grandes migrations de l'humanité », qui doivent « permettre à l'élève de mieux situer et comprendre les débats actuels »; ou encore de « Charlemagne, roi et empereur », sorte de Jean Monnet à la barbe fleurie (au moins pour la légende), qui fournira aux élèves de CM1 « l'occasion d'observer les dynamiques territoriales d'un empire qui relèvent plus d'une logique européenne que française » Laurent Wetzel pointe aussi, dans les programmes d'histoire, l'absence de dates (à l'exception de 1892 « la République fête ses cent ans » !), les rédacteurs préférant d'ailleurs parler de « repères ». Quant aux programmes de géographie, l'ancien inspecteur d'académie les juge « corrompus par l’obsession du "développement durable" et celle de la "mondialisation" »
Nicolas Sarkozy s'en est ému, en dénonçant : la plus détestable de toutes les réformes depuis « trois ans », l'ancien président semblant beaucoup moins gêné par la légalisation du « mage » homosexuel et l'adoption, par la loi santé, ou par la loi liberticide sur le renseignement qu'il approuve d'ailleurs. Mais les programmes de 2008, concoctés pendant son quinquennat par le ministre Xavier Darcos, valaient-ils beaucoup mieux ? Laurent Wetzel rappelle que n'y figuraient ni la guerre de Cent ans (et donc Jeanne d'Arc), ni Louis XV ni les guerres d'Algérie et d'Indochine, et que l'on y trouvait l'Hégire (le départ de Mahomet et de ses fidèles de La Mecque en 622), mais pas la bataille de Poitiers, malencontreusement remportée sur les Sarrasins par un islamophobe nommé Charles Martel.
Donner un cours magistral est plus grave qu'être candidat du FN !
« En fait, les programmes de Darcos cherchaient à contenter tout le monde », explique Vincent Badré, professeur d'histoire-géographie et auteur de l’Histoire fabriquée. « Ils étaient détaillés au primaire (l’enseignant aillant la liberté de les traiter de manière chronologique), détaillés et chronologiques au collège, et très thématiques au lycée. Pour la gauche, c’était insupportable. On revient donc au pédagogisme, y compris en primaire et au collège. Mais il entre dans cette démarche une large part de communication et une grande hypocrisie : pour la galerie, on rompt avec « l’élitisme" mais dans la pratique, pour que le système n’explose pas, le camp adverse doit pouvoir continuer à exister. Officiellement, le pédagogisme triomphe, mais en pratique, la marge d'application laissée aux professeurs est assez large pour que chacun fasse ce qu'il veut dans son coin… du moins tant qu'il n’est pas inspecté, car l'Education nationale est le théâtre d'une violente "guerre des pédagogies " et il est aujourd'hui plus grave de donner un cours magistral que d'être candidat du Front national aux élections ! »
La pression exercée sur les enseignants pour qu'ils adoptent les méthodes pédagogistes est beaucoup plus forte que celle qui porte sur le contenu des programmes, analyse Vincent Badré. « Cette pression de tous les instants finit par produire des résultats et fabriquer des crétins, mais c'est un travail d'usure, plus "brejnevien" que "stalinien" dans la méthode… Les enseignements doivent rester très théoriques, très abstraits, se cantonner aux idées en évacuant tout ce qui relève de la "petite histoire" : autrefois, le manuel Lavisse expliquait que Louis XV était indigne parce qu'il avait des maîtresses, aujourd'hui la question ne sera même pas évoquée. Ce qui est vivant : la mort, l'amour, le pouvoir, le travail, les biographies, est à bannir. Il en résulte que l’on ennuie les élèves. » Les professeurs eux-mêmes en souffrent : « Comme me l’a dit un jour une collègue, professeur d'anglais "Nous sommes très mal, parce que nous savons que ce que nous faisons n'intéresse pas les élèves" », rapporte Vincent Badré.
Pour résumer l'esprit qui anime l’Éducation nationale, l'auteur de l'Histoire fabriquée évoque une formule tirée du livre et du film) Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Et pour illustrer la méthode par laquelle est gouverné ce ministère chargé de la formation des jeunes français, le professeur le compare à un super-tanker : « On donne une petite impulsion et le bateau dérive un peu plus d'un côté ou de l’autre, mais globalement, les programmes sont très stables dans le temps et les évolutions très progressives. »
Mais les programmes de Najat Vallaud-Belkacem accentuent la mauvaise impulsion donnée depuis longtemps, et le super-tanker de « l'Ed-nat » ressemble de plus en plus au Titanic.
Laurent Wetzel, Ils ont tué l’histoire-géo, éditions François Bourin, 20l2.
Vincent Badré, L'Histoire fabriquée, éditions du Rocher, 2015.
Eric Letty monde&vie 20 mai 2015 n°908
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