De Charles Quint (1500-1558), on peut dire d'abord qu'il s'est juste donné la peine de naître. Ce qui compte avant tout dans sa personne, c'est son extraordinaire généalogie. Son grand père avait épousé Marie de Bourgogne, la fille de Charles le Téméraire. Son père Philippe, dit le Beau, avait épousé Jeanne la folle, fille de Fernand et d'Isabelle la Catholique. Le patrimoine de Charles s'étendit donc des Pays-Bas à Séville et du Tyrol à la Hongrie. Mais plus encore : Charles V était aussi Patrice des Romains selon le vieux titre de Charlemagne et grâce aux découvertes de Christophe Colomb, il était roi des Indes : son Empire s'étendait jusqu'aux Amériques. Sur ses terres le soleil ne se couchait jamais.
Dans sa très agréable biographie, Lindsay Armstrong commence à explorer cet imbroglio généalogique. Il lui faut 80 pages pour nous en découvrir les tenants et les aboutissants.
La vie de Charles Quint est un combat perpétuel pour garder ce à quoi sa naissance lui avait permis de prétendre. Son grand père Ferdinand l'investit comme son successeur dès l'âge de 14 ans. Très vite il rencontre celui qui se voudra son rival, François Ier, le vainqueur de Marignan, qui n'est que de quelques années son aîné. Au lieu de s'entendre et de renforcer face aux Turcs l'Europe chrétienne, les deux souverains jaloux de leurs prérogatives, se regardent en chiens de faïence. François veut devenir empereur, introduisant durablement en France cette tentation impériale qui est la démesure du destin français. Las. Charles gagne à Pavie le jour de son anniversaire et François est fait prisonnier. Le vieux duel entre Louis XI et le Téméraire semble psychologiquement inversé : le roi de France est un flambeur, qui a toutes les femmes à ses pieds et se prend non seulement pour Apollon mais pour Mars le dieu de la guerre. Le descendant du Téméraire, Charles, est un homme honnête, qui fatigue vite, qui ne paie pas de mine. C'est lui qui l’emporte. Il déclare à l'ambassadeur de France deux ans après Pavie, alors que François a payé sa liberté : « Votre roi m’a trompé et je ne me fierais jamais plus, à lui sans avoir des gages de sa parole. Il n’a agi ni en chevalier ni en gentilhomme. Plût à Dieu que ce différend eût à se débattre de sa personne à la mienne, sans exposer tant de chrétiens à la mort. » C'est dans ce contexte que le Connétable de Bourbon, son général, prit Rome avec les lansquenets luthériens de sa garde en 1527 le pape de l’époque Clément VII ayant eu la curieuse idée de s'allier au roi de France. C'est un carnage. Est-on revenu au temps de Genséric ? Pillage, viols, tortures se multiplient. Les lansquenets protestants restent maîtres de Rome pendant plusieurs mois et font régner la terreur aux cris de « Vivat Lutherus pontifex ». Cet épisode marque bien que Charles Quint, au comble de sa puissance, n’a pas toujours le contrôle des événements qui se déroulent pourtant à son profit. C'est en tout cas grâce au sac de Rome que Charles Quint pourra enfin être sacré empereur par le pape : « J'ai le plus grand désir, écrit-il, de me rendre en Italie pour y recevoir la couronne impériale. Ma puissance me le commande. Et ne me croyez pas orgueilleux sans l'aide de Dieu, je ne serais rien ».
Cette dernière remarque n'est pas une clause de style on sait que l'empereur termina sa vie dans un ermitage où il pouvait vaquer au salut de son âme.
La biographie de Armstrong est bien écrite on va droit aux faits et parfois un développement aiguise notre curiosité. Cet empereur profondément catholique, a vraiment marqué l'Europe de son empreinte et il a offert à l'Eglise catholique, face aux luthériens, le bénéfice d'une première mondialisation, vers l'Extrême Occident.
Lindsay Armstrong, Charles Quint l'indomptable, éd. Flammarion 2014.
Joël Prieur monde&vie 25 février 2015 n°904
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