En janvier 1814 commençait la bataille de France, au cours de laquelle le génie militaire de Napoléon ne parvint pas à renverser le cours des événements.
« Qu’est-ce que le trône ? Quatre morceaux de bois dorés, revêtus d'un morceau de velours. Le trône est dans la nation, et l’on ne peut me séparer d'elle sans lui nuire car la nation a plus besoin de moi que je n’ai besoin d'elle. » Les rois de France eussent-ils souscrit à cette définition ? Sous l'Ancien régime, le trône se confondait avec le principe royal et non pas avec la personne du monarque. Le 1er janvier 1814, lorsque Napoléon lance ces mots aux députés du Corps législatif qu'il s'apprête à renvoyer dans leurs départements après qu'ils lui ont remis un rapport critiquant son pouvoir absolu et l'appelant à conclure la paix, l'empereur peut mesurer à quel point la légitimité lui fait défaut.
Il a eu beau fonder une nouvelle dynastie, devenir, par son mariage avec Marie-Louise, le gendre de l'empereur d'Autriche et le cousin par alliance de Louis XVI, plier pendant des années l'Europe sous sa domination, il reste, au fond, un général parvenu grâce à la Révolution. Sans doute ne l'a-t-il jamais mieux compris qu'au lendemain de la tentative de coup d’État exécutée par le général Malet, en octobre 1812 alors que le bruit de sa mort avait été répandu, personne n'avait songé que le roi de Rome, son fils, pouvait - et, dans son esprit, devait - lui succéder.
Il est acculé à la victoire. Or, en ce 1er janvier, la guerre pénètre sur le sol français.
Face à Napoléon, comme l’écrit Jacques Bainville, ce sont « 600 000 ennemis qui se pressent sur le Rhin, aux portes des Pyrénées, l'Europe coalisée pour ramener la France à ses anciennes limites ». Lui, dispose encore de 300000 hommes, dont 100 000 se trouvent assiégés dans des places-fortes en Allemagne et 90 000 tentent de contenir, sur les Pyrénées, une armée réunissant des forces anglaises, espagnoles et portugaises placées sous le commandement de Wellington. Finalement, écrit Jean Tulard, « malgré des levées hâtives de conscrits souvent réticents, Napoléon n’aura guère plus de 70 000 hommes à sa disposition quand les Alliés attaqueront ». Encore s'agit-il souvent de tout jeunes conscrits, âgés de 18 à 19 ans, mal équipés et mal formés. Les vétérans ont été décimés en Russie en 1812 (380 000 hommes tués, faits prisonniers ou portés déserteurs), puis en Allemagne en 1813.
Surtout, la France est lasse de la guerre. Les cas d'insoumission se multiplient, de nombreux jeunes hommes préférant se mutiler plutôt que d'être appelés sous les drapeaux. Les généraux et maréchaux eux-mêmes, chargés d'honneurs et de richesses, aspirent maintenant à la paix. La situation économique est dégradée, les impôts deviennent de plus en plus lourds et les notables, que Napoléon regardait comme les soutiens du régime, lui ont retiré leur appui.
En novembre 1813, lors de négociations qui se sont déroulées à Francfort, les Alliés se sont servis de cette lassitude des Français pour feindre de formuler des propositions de paix, volontairement floues, avec pour condition première le retour de la France à ses frontières naturelles de 1799. Leur objectif réel, comme l'a souligné Jacques Bainville, consiste à convaincre les sujets de Napoléon que la responsabilité de la guerre incombe tout entière à ce dernier.
Une série de victoires sans lendemain
Telle est la situation lorsque, le 21 décembre 1813 et 1er janvier 1814, deux armées, respectivement commandées par l'Autrichien Schwarzenberg et le Prussien Blücher, pénètrent en France, tandis qu'une troisième, sous Bernadotte, ancien maréchal de France devenu roi de Suède, entre en Hollande et commence à envahir la Belgique, et qu'une quatrième, conduite par l'autrichien Bubna, entre en Suisse pour attaquer les Français par la Savoie. Le tsar, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, accompagnent eux-mêmes l'armée de Blucher.
La bataille de France commence. D'abord victorieux à Brienne, Napoléon essuie un revers à La Rothière face aux troupes réunies de Schwarzenberg et de Blücher, mais ses adversaires se séparent, lui donnant l'occasion de les rencontrer et de les battre tour à tour au fil d'une série de victoires éblouissantes, mais sans lendemain : Champaubert le 10 février, Montmirail le 11, Château-Thierry le 12, Vauchamps le 14, Montereau le 18, Craonne le 7 mars. La bataille d'Arcis-sur-Aube, le 20 mars, est plus indécise, les Français étant contraints à la retraite. Pis encore, le maréchal Augereau sur le secours duquel Napoléon comptait, fait défection et laisse Bubna s'emparer de Lyon, le 21 mars.
Pourtant, au lendemain de nouvelles négociations infructueuses à Châtillon-sur-Seine, les alliés, en proie au doute, hésitent sur la stratégie à adopter lorsque Napoléon fait mine de vouloir les tourner, en se dirigeant vers Saint-Dizier. Pozzo di Borgo, Corse et ennemi mortel de Napoléon, les convainc alors de foncer vers Paris. Le 30 mars, ils sont devant la capitale, que Marie-Louise, et le roi de Rome ont précipitamment quittée la veille. Le 31 mars, la ville capitule.
Napoléon avait prédit que Paris prise, il n'y aurait plus ni empire, ni empereur. La suite des événements montre qu'il ne se trompait pas. Tandis que se met en place, sous l'influence de Talleyrand, un gouvernement provisoire, que le Sénat proclame le 2 avril la déchéance des Bonaparte et appelle Louis XVIII (qui fera son entrée solennelle à Paris le 3 mai), la situation échappe de plus en plus à l'empereur, retiré à Fontainebleau. Le 6 avril, sous la pression de ses maréchaux menés par Ney, il abdique sans condition. Le 12, il tente vainement de s'empoisonner. Le 20, enfin, abandonné de tous, sauf de ses soldats, il fait d'émouvants adieux à la garde dans la cour du château et part pour l'Ile d'Elbe, dont les Alliés lui ont abandonné la souveraineté.
Malheureusement pour la France, il en reviendra moins d'un an plus tard et cette ultime aventure se soldera sur le champ de bataille de Waterloo.
Hervé Bizien monde&vie 14 janvier 2014 n°886
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