En inventant l'armée de conscription, mise au service de l'idéologie, la Révolution a préparé les tueries massives des siècles suivant.
Deux dates se rencontrent au mois de septembre celles du 20 septembre 1792, bataille de Valmy, et du 5 septembre 1798 (19 fructidor an VI de la République) : ce jour-là, la loi Jourdan établit le service militaire obligatoire pour tous les jeunes Français âgés de 20 à 25 ans.
Il est vrai que cette loi ne faisait que régulariser une situation dictée, à l'origine par l'événement le décret du 24 février 1793 avait déjà ordonné une levée de 300 000 hommes, et celui du 23 août suivant organisé la levée en masse du peuple français, qui devait, précisait le texte, « se lever tout entier pour la défense de sa liberté, de sa Constitution et pour délivrer enfin son territoire de ses ennemis. » L'aventure devait se terminer 22 ans plus tard, à Waterloo.
Avant d'aborder les origines de l'armée de conscription, il n'est pas sans intérêt d'évoquer l'armée d'Ancien Régime, qui passait avant la Révolution pour la meilleure du monde, avec 110 000 fantassins répartis entre 102 régiments, 32 000 cavaliers (24 régiments de dragons et 6 de hussards), et une artillerie réformée par Gribeauval dont l'excellence allait se vérifier sur les champs de bataille de la Révolution et de l'Empire - à commencer par celui de Valmy.
Une réforme qui ferme l'accès a la noblesse par le champ de bataille
Pourtant la chute de la royauté s'explique en grande partie par la défection de cette armée, conséquence funeste de l'adoption par Louis XVI, en mai 1781, d'un « règlement sur les grades de l'armée » préparé par Ségur, ministre de la guerre : désormais quatre quartiers de noblesse seraient nécessaires pour devenir officier.
Cette décision royale répondait à une logique : le métier des armes est l'un des seuls que les nobles peuvent pratiquer sans déroger, tandis que les roturiers peuvent exercer d'autres professions.
Mais cette réforme ferme l'accès à la noblesse par le champ de bataille et bloque l'avancement des roturiers, qui devront se contenter de terminer leur carrière comme bas-officiers.
En pratique, la réforme fut appliquée avec souplesse; mais la théorie produisit des effets catastrophiques en ébranlant la fidélité des soldats envers le trône.
Parallèlement, la loyauté des officiers souffre de la guerre d'indépendance américaine, les jeunes nobles qui en reviennent, entichés d'idées nouvelles, admirent la Déclaration des droits américaine, ont adhéré aux loges maçonniques outre-Atlantique et entrent en relation avec les loges françaises et les sociétés de pensée. Pas sans conséquences le Code national élaboré par l'avocat maçon Bosquillon (de la loge « Réunion des Américains »), portant sur les bornes de l'obéissance due par les militaires, désapprouve par exemple la répression des mouvements populaires…
Lorsqu'en juin 1789 des régiments viennent camper autour de Paris sur l'ordre du roi, on craint déjà qu'ils ne subissent la contagion des idées révolutionnaires. Et les 3 600 Gardes françaises cantonnées à Paris sont clairement acquises à l'émeute : mutinées dès le 30 juin, elles participent à la prise de la Bastille le 14 juillet. Leurs soldats figurent aussi parmi les émeutiers qui vont chercher la famille royale à Versailles les 5 et 6 octobre 1789. Et cet exemple s'étend. « Les casernes deviennent des foyers d'agitation révolutionnaire où trônent des comités de soldats qui s'arrogent le droit de vérifier les comptes d'administration et de dénoncer à l'Assemblée et au ministère les faits et gestes de leurs colonels ou de leurs capitaines », écrit Pierre Gaxotte dans La Révolution française.
En 1790, 20 corps de troupe se sont insurgés. Fin 1791, 6000 officiers ont démissionné et émigré.
Ceux qui restent voient leur autorité contestée, bafouée par les représentants en mission qui entendent leur dicter leur conduite et leurs plans. Les régiments fidèles - gardes du corps à Versailles, Suisses aux Tuileries - subissent un triste sort. Désobéissante, désorganisée, l'armée française ne paraît pas capable de pouvoir résister à une offensive. Au printemps 1792, les premières défaites face aux Autrichiens semblent le confirmer.
On est déjà entré dans la logique du peuple en armes : la loi du 14 octobre 1791 oblige tous les citoyens actifs âgés de plus de 18 ans à faire partie de la Garde nationale, parmi laquelle la Révolution lève des volontaires pour défendre les frontières. Insuffisamment, en février 1793, la Convention décrète la levée en masse, et le décret du 23 août de la même année, cité plus haut, prétend mobiliser tous les hommes : pour se battre, ceux de 18 à 25 ans célibataires ou veufs sans enfant; ceux de 25 à 30 ans, en réserve. Même les vieillards doivent se rendre sur les places publiques « pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l'amour de la République. »
Quitte à se battre, autant se battre chez soi contre les oppresseurs
Mais déjà excédés par le traitement infligé aux « bon prêtres »; les paysans vendéens se soulèvent, quitte à se battre, autant se battre chez soi contre les oppresseurs... Des troubles éclatent ailleurs. En réaction, la Convention nationale crée, le 5 septembre 1793, une quarantaine d'« armées révolutionnaires » chargées de « comprimer la Contre-Révolution », ramassis de pillards qui joueront un rôle très actif dans la persécution anti-catholique, avant d'être licenciées pendant l'hiver 1793-1794.
Dans l'armée proprement dite, on enregistre des désertions massives : 25 000 dans l'armée de Dumouriez; 31 000 sur 77 680 conscrits en l'an VII (1799), sous le Directoire, selon René Sédillot.
Néanmoins la conscription s'est mise en place quand les armées de l'Ancien Régime ne disposaient que de 295 000 hommes en temps de guerre, la République en lève 1 200 000 et invente la guerre des peuples, inexpiable puisque idéologique : l'adversaire qui s'oppose au triomphe de la Révolution doit être détruit sans pitié. C'est l'origine du génocide vendéen.
René Sédillot parle avec raison de « la promotion démocratique de l'holocauste ». Les soldats de l'An II emportent avec eux les principes meurtriers d'où sortiront les grandes boucheries des siècles suivants. Valmy annonce Verdun.
Eric Letty monde&vie 17 septembre 2011 n°848
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