lundi 16 novembre 2020

Giap, serviteur de Moloch

 

« Les Français m'en ont fait voir de toutes les couleurs. Ils se démenaient autrement plus que les Américains. Ils étaient rudement plus forts. » L'homme qui a décerné ce bel hommage aux soldats français qu'il a combattus sans pitié, est mort le 4 octobre dernier à Hanoï, à l'âge de 102 ans.

Võ Nguyên Giap est né en 1911 à An-Xa, dans le Nord-Annam, non pas fils de paysan comme le veut la légende, mais de mandarin. Entré au collège de Hué, capitale de l'Annam, puis au lycée de Hanoï, il embrasse dès cette époque la cause de l'indépendance et organise des grèves étudiantes. À 19 ans, il adhère au parti communiste, qu'il ne quittera plus. Cet engagement politique lui vaut d'être emprisonné pendant trois ans. Libéré, il rejoint Hanoï, où il est hébergé par un professeur, Dang Thaï-Mai, futur dirigeant vietminh, dont il épousera la fille.

Lui-même devient professeur d'histoire. En 1939, cependant, le parti communiste est interdit Giap se réfugie en Chine, où il rencontre le futur président Hô Chi Minh, mais sa femme est arrêtée et meurt en prison deux ans plus tard, ce qui lui inspirera une haine farouche de la France et du capitalisme. En 1944, à la demande du Comité central du parti communiste, il rentre au Tonkin pour y animer la lutte contre les Français, avec le soutien des Japonais.

C'est à cette époque, écrit Hélie Denoix de Saint Marc dans Les Champs de braises que le « petit professeur d'histoire au chapeau mou » commence « sa fabuleuse aventure avec une poignée d'intellectuels annamites et quelques irréductibles » avec lesquels il organise des groupes de guérilla. Cette aventure le conduira à vaincre d'abord l'armée française, puis l'armée américaine malgré les moyens considérables déployés par cette dernière.

Mettant à profit la défaite du Japon face aux Américains et l'effacement de la France, le vietminh prend le contrôle en août 1945 d'une partie du territoire vietnamien. S'ensuit un bras de fer qui conduit, le 6 mars 1946, à la signature d'une convention avec la France, aux termes de laquelle cette dernière entérine le principe de la liberté du Vietnam au sein de l'Union française. À cette occasion, Giap rencontre le général Raoul Salan et les deux hommes sympathisent si bien qu'après la mort du « Mandarin » - comme on surnommait le futur patron de l'OAS -, en 1984, Giap enverra un officiel vietnamien saluer sa dépouille.

La convention ayant débouché sur un accord en avril 1946, Salan et Giap se retrouvent à la conférence de Da Lat, en avril-mai, puis en juillet à la conférence de Fontainebleau, qui se termine sur un désaccord. En décembre 1946 commence la guerre d'Indochine, avec l'entrée des vietminh à Hanoï et le massacre des Français dans cette ville.

La mort du maréchal de Lattre le délivre d'un redoutable adversaire

Entretemps, le professeur vietnamien a été nommé, au sein du cabinet d'Ho Chi Minh, d'abord ministre de « l'ordre révolutionnaire » - il pratique alors une épuration sanglante au sein des milieux « nationalistes » non marxistes -, puis ministre de la Défense et généralissime.

Par deux fois, il inflige aux Français de lourdes défaites : une première fois en 1950, au Tonkin, sur la sinistre Route coloniale 4 (RC4), où il parvient à empêcher le repli de la garnison de Cao Bang en détruisant les deux colonnes françaises des colonels Charton et Le Page. Le vietminh fait 3000 prisonniers, dont deux tiers ne reviendront jamais des camps. Une deuxième fois, lors de la bataille de Dien-Bien-Phu, qui se déroule du 13 mars au 7 mai 1954. La chute du camp retranché se solde par l'évacuation par les Français du nord Vietnam au lendemain des accords de Genève.

Entretemps, cependant, Giap a essuyé lui aussi de cuisants revers, à Vinh Yen, Dong Trieu, Ninh Binh, Nghia Lo, infligés par le maréchal de Lattre de Tassigny et le général Salan. La mort du maréchal, le 11 janvier 1952, le délivre d'un redoutable adversaire.

Un général dépensant sans compter la vie de ses hommes

Les Français furent finalement battus par le nombre, les Vietnamiens bénéficiant du soutien logistique et militaire de la Chine communiste. La stratégie de Giap fut extrêmement coûteuse en vies humaines. Hélie Denoix de Saint Marc la résume en évoquant la bataille de Nghia Lo, à laquelle il participa : « Durant d'interminables heures, enterrés, nous avons subi les assauts des bo-doïs qui avançaient au coude à coude, en rangs serrés. Giap n’économisait jamais les vies humaines de son camp. Il profitait du nombre. En 1946, Hô Chi Minh avait prévenu le ministre français des Colonies, Marius Moutet : "Cette affaire peut se régler en trois mois ou en trente ans. Si vous nous acculez à la guerre, vous me tuerez dix hommes quand je vous en tuerai un. À ce prix, c'est encore moi qui gagne..." »

Il n'eut pas plus pitié de ses adversaires que de ses hommes, comme ont pu en témoigner les prisonniers rescapés des camps, ainsi que les survivants des massacres dont furent victimes les populations alliées après l'évacuation du Tonkin par les Français. Ces derniers partis, une autre guerre commencera au sud Vietnam, à l'issue de laquelle les Américains subiront eux aussi une lourde défaite. La chute de Saigon, le 30 avril 1975, a laissé dans l'histoire un souvenir particulièrement sinistre.

Hélie de Saint-Marc a tiré la conclusion de tant de souffrances : « La culture asiatique a constitué un catalyseur monstrueux pour le bacille de Lénine. La discipline et la cruauté de l'Asie ont apporté une dimension redoutable au communisme. En deux générations, le communisme asiatique (…) a broyé plusieurs dizaines de millions d'hommes et de femmes, engloutis sans un remords par un Moloch sans tête et sans âme. » Giap avait été l'un des serviteurs de Moloch.

Hervé Bizien monde&vie 22 octobre 2013 n°882

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