Anne Le Pape vient de publier, aux éditions Pardès, une biographie de Well Aliot, mieux connu sous son nom de plume : François Brigneau. Monde et Vie l'a rencontrée.
Eric Letty : Well Allot, alias François Brigneau, est né en 1919, à Concarneau, dans une famille non pas « blanche », mais « rouge ». Comment lui est venue la passion du journalisme ?
Anne Le Pape : Le père de François Brigneau était en effet communiste, mais surtout syndicaliste. Il lisait Le Peuple, quotidien de la CGT, et écrivait dans La Révolution prolétarienne de Pierre Monatte, membre du mouvement anarcho-syndicaliste, qui venait en vacances à Concarneau. C'est à Monatte que le jeune Well s'ouvrit de son désir de devenir journaliste. Certains écrivains sont journalistes faute de pouvoir vivre de leurs livres. Brigneau avait vraiment la fibre journalistique et y mettait tout son feu, toute sa plume, tout son talent, parce que c'était vraiment ce qu'il préférait : être « chroniqueur de l'instant », et raconter le monde. Jeune, il était légèrement bègue et s'était donc dit que, pour raconter le monde, il lui fallait passer par l'écriture. C'était d'ailleurs un point commun avec Antoine Blondin, lui aussi légèrement bègue. Le petit Well créa son premier journal à 12 ans : il n'y avait qu'un seul exemplaire, manuscrit, qui était loué - et non pas vendu - au prix d'un rouleau de réglisse. Plus tard, il en créa un autre, en prison, qu'il appela le Passe-murailles et dans lequel on trouvait notamment des poèmes de Brasillach.
E. L. : Sa rencontre avec Robert Brasillach a été déterminante. Dans quelles circonstances s'est-elle produite ?
A. L. P. : Quand Brasillach quitta Je suis partout, ses anciens amis montèrent une cabale contre lui. Well, qui habitait alors rue Mouffetard, à Paris, lui écrivit pour le soutenir. Ils se rencontrèrent et se virent beaucoup pendant quelques mois. Quand les événements se précipitèrent, Well tenta de convaincre Brasillach de gagner l'Espagne à vélo, mais l'écrivain refusa de quitter la France. Brasillach est le grand frère que Brigneau n'a jamais eu. Il lui apporta une amitié qui fut pour lui essentielle, et c'est lui aussi qui le poussa à écrire.
E. L. : C'est aussi grâce à Brasillach que Brigneau a lu pour la première fois Maurras…
A. L. P. : Oui, et Maurras a eu beaucoup d'importance pour lui. Ce qui définit l'homme de droite, aux yeux de François Brigneau, c'est la fidélité à ses racines et la conscience de tout devoir au pays qui l'a vu naître et dont il se sent redevable. Il a tout hérité, à commencer par la langue française qui l'émerveille, et il doit défendre cet héritage, si possible l'enrichir et le transmettre à ceux qui viendront après lui. C'est une idée profondément maurrassienne. Certes, il n'est pas monarchiste, mais il trouve chez Maurras un support à la réflexion, une pensée qui l'a de plus en plus influencé au fil du temps.
E. L. : Au lendemain de la guerre, après avoir été emprisonné un temps, il est employé par de grands titres de presse. Son passé, à cette époque, ne lui portait-il donc pas tort ?
A. L. P. : Quand la chape du politiquement correct s'alourdissait, dans les années 1980, François Brigneau disait qu'il avait existé plus de liberté pendant l'immédiate après-guerre, même si à cette époque l'on épurait encore. Juste après là guerre, Brigneau collabora à Paroles françaises, avec Pierre Boutang, et dans divers petits journaux. Puis il fut recruté par la grande presse, travailla - sous pseudonyme puisqu'il avait été condamné à 10 ans d'indignité nationale - à France-Dimanche, qui était à l'époque un grand quotidien, puis à Paris-Presse, où il était grand reporter, ce qui lui permit de sillonner le monde en « flâneur salarié », comme disait Henri Béraud. Cependant, au moment des événements d'Algérie, il se rendit compte qu'on le cantonnait à des sujets qui n'étaient pas politiques et préféra partir, plutôt que rester dans un placard doré. Il trouva alors un emploi à l'Aurore, dont il claqua la porte quand Robert Lazurick voulut lui interdire de donner des papiers à Minute. Brigneau a toujours voulu s'exprimer, quitte à renoncer à des places en or plutôt que de mettre sa plume dans sa poche. Il entra ainsi à Minute, en 1964.
E. L. : Minute était un journal d'autant plus haï que dans les années 1970, il avait 250 000 lecteurs. Cette haine est d'ailleurs persistante.
A. L. P. : II reste fidèle à sa réputation. Minute était détesté parce qu'il gênait. Le Nouvel Observateur appela à un mouvement de masse contre lui. Il fut entendu, puisque plusieurs attentats furent perpétrés contre cet hebdomadaire, y compris au domicile de son fondateur, Jean-François Devay, et à celui de François Brigneau, où une bombe blessa grièvement un malheureux éboueur algérien. Elle aurait aussi bien pu frapper le journaliste, sa femme ou l'un de ses enfants.
E. L. : Editorialiste à Minute, co-fondateur de Présent, chroniqueur à National-hebdo, entre autres, Brigneau est devenu un personnage incontournable de la presse nationale et l'un des derniers grands polémistes français. Quelle était sa définition du polémiste ?
A. L. P. : II faisait une distinction très intéressante entre le polémiste et le pamphlétaire, que l'on confond souvent. À ses yeux, Maurras ou Bernanos étaient des pamphlétaires, qui mettaient sur le papier tout ce qu'ils avaient sur le cœur, tandis que Léon Daudet incarnait le polémiste, qui doit avoir de l'humour, un peu de méchanceté et terminer par une pirouette. Brigneau ajoutait que le polémiste devait être un peu romancier, pour imaginer la vie de celui qu'il met en scène et, bien sûr, s'en prendre aux puissants qui défendent des idées que l'on considère comme extrêmement nocives.
E. L. : Le désir de faire rire aux dépens des puissants ?
A. L. P. : C'est presque un alexandrin ! On verrait bien Luchini dire ça.
photo : François Brigneau et Anne Le Pape lors d'un dîner des Publications FB en 1991
Propos recueillis par Eric Létty monde&vie 2 novembre 2014 n°899
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