dimanche 15 novembre 2020

Dieu, la raison et la démocratie

 

Frédéric Guillaud reprend à neuf la question : peut-on démontrer rationnellement l'existence de Dieu ? Et il n'en reste pas aux principes. Cette démonstration que la raison a quelque chose à dire sur l'existence de Dieu, il la fait lui-même en 400 pages. On croyait tout savoir sur « le Dieu des philosophes et des savants ». En réalité, on a beaucoup à apprendre - et d'abord que la raison humaine peut vraiment prouver Dieu.

Il y a eu deux grands livres en un siècle sur Dieu tel qu'il se donne à la raison humaine celui du Père Réginald Garrigou-Lagrange, sobrement intitulé Dieu, son existence et sa nature, qui connut beaucoup de rééditions entre 1915 et 1950, et celui de Claude Tresmontant, Comment se pose aujourd'hui le problème de l’existence de Dieu, qui paraît en 1961 et connaît une dernière édition augmentée en 2002. Le premier de ces deux ouvrages est un livre de métaphysicien il s'est agi pour le Père Garrigou de répondre au rationalisme kantien en montrant que ce sont les principes de la raison qui postulent l'existence de Dieu. Cet aérolithe intellectuel, souvent critiqué, n'a jamais vraiment reçu de réponse. Il n'a pas été réfuté.

Il considère l'évolutionnisme comme un fait acquis

Le livre de Claude Tresmontant part, quant à lui, de la cosmologie contemporaine, il considère l'évolutionnisme comme un fait acquis et montre que ce système darwinien par lequel on prétendait rendre caduque la question de Dieu, prouve une deuxième fois son existence. Non seulement, il y a dans l'univers une information qui ne peut pas venir de la matière, mais elle augmente par le fait de l'Evolution. Cette augmentation manifeste qu'une Source extérieure d'informations continue d'enrichir notre Monde. Par ailleurs, dans son livre sur Le problème de l'athéisme (1972), Tresmontant considère ce panthéisme mystique qui se nomme athéisme comme dénué de fondements rationnels.

Dans le livre de Frédéric Guillaud, Dieu existe, on retrouve comme neuve et la puissance métaphysique du Père Garrigou-Lagrange et une connaissance précise des cosmologies contemporaines. Ajoutons - c'est capital - que ce jeune Normalien n'hésite pas à désigner l'adversaire : Emmanuel Kant, à réfuter ses fameuses Antinomies, qui, selon lui, crayon en main, ne prouvent rien, et à dévoiler ses véritables raisons : non pas métaphysiques ou rationnelles mais essentiellement politiques. « Si le kantisme est une thèse aussi faible que nous le prétendons, écrit-il, comment expliquer qu'il ait un tel succès ? Comment expliquer la domination de l'agnosticisme kantien [cette position selon laquelle il n'y a pas de position parce que l'on ne peut rien savoir] sur les intellectuels européens ? À notre sens, les raisons de ce succès ne sont pas philosophiques. Elles sont idéologiques et politiques. Elles ne tiennent pas à la force des arguments du kantisme [rien ne reste après le passage de la moulinette Guillaud sur la construction trop savante, artificielle finalement de la Critique de la raison pure] mais à la teneur de ses conclusions. Voici notre thèse : le kantisme constitue la structure idéologique de la démocratie procédurale européenne. En affirmant que les convictions métaphysiques n’ont de valeur autre que subjective et privée, le kantisme justifie l'exclusion de ces dernières hors de l'espace public, qui est un impératif majeur du régime démocratique européen. » On peut dire que le premier mérite de Frédéric Guillaud c'est sa manière, si crâne, de désigner l'adversaire kantien, auquel il consacre un long prologue réfutatif de cent pages.

Pourquoi cette différence entre un côté et l'autre de l'Atlantique ?

Mais il faut ajouter que notre auteur sait aussi reconnaître ses amis. Pour lui, l'agnosticisme est une maladie spirituelle qui est essentiellement européenne et dont il faut chercher les racines dans le drame des guerres de religions. La philosophie américaine (que l'on appelle souvent la philosophie analytique) ne souffre pas de cette infirmité de l'esprit que nous devons à Kant. Elle continue à se poser les questions fondamentales, en montrant que la raison possède des arguments, qui ne sont pas pur fidéisme, simple étalage de convictions subjectives, mais démonstrations rationnelles, accessibles à tous. Pourquoi cette différence entre un côté et l'autre de l’Atlantique ? En Amérique, « l'idée selon laquelle les convictions métaphysiques ont droit de cité, droit de se faire valoir et d'être défendues de manière argumentée, n'a jamais paru contraire à l'idée démocratique ». Par ailleurs, le scientisme (qui est au fond tout le costume de Kant) a, de l'autre côté de l'Atlantique, perdu tout son prestige : « non pas qu'on soit passé à autre chose par lassitude, mais il a été bel et bien réfuté. Ce qui explique qu'on assiste aux États-Unis à une renaissance extrêmement vive de la métaphysique en général et de la théologie naturelle en particulier. La bibliographie sur ce sujet depuis quarante ans, défie toute recension Elle est océanique ». C'est en s'appuyant sur ces travaux récents de métaphysiciens américains que Frédéric Guillaud peut considérer qu'il a aujourd'hui les arguments philosophiques qui lui permettent d'affirmer rationnellement : Dieu existe. Ses démonstrations sont impressionnantes. On ne pourra pas faire demain comme si elles n'avaient pas été formulées aujourd'hui.

Frédéric Guillaud, Dieu existe,Arguments philosophiques, éd. du Cerf 2013, 416 pp.

Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 30 juillet 2013  n°879

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