L’histoire de la monarchie capétienne suscite toujours des vocations de chercheurs. Permettant de remonter aux origines les plus lointaines de la nation française.
Le 22 mai 987, alors que les grands de Francie occidentale sont convoqués pour juger l’archevêque de Reims, Adalbéron, accusé de complicité avec la dynastie germanique des Ottoniens, le roi Louis V, un Carolingien, meurt accidentellement. Il n’a pas d’héritier. Le 1er juin, devant l’assemblée des grands réunie à Senlis pour désigner le nouveau roi, Adalbéron retourne la situation et parvient à faire élire le candidat de son choix : Hugues Capet.
Celui-ci appartient à la famille des Robertiens, qui a déjà donné deux rois (Eudes en 888 et Robert en 922). Il est allié aux souverains germaniques, ce qui rassure Adalbéron. Mais Hugues Capet, héritier d’une dizaine de comtés (Paris, Senlis, Orléans, Dreux) et protecteur de plusieurs abbayes (Saint-Denis, Fleury ou Saint-Martin de Tours, cette dernière lui ayant valu peut-être son surnom en référence à la cappa, le manteau de saint Martin), est d’abord le prince le plus puissant du royaume, plus puissant que le roi. Le 3 juillet, sans doute dans la cathédrale de Noyon, Hugues est sacré roi par Adalbéron.
Avec le soutien de l’Eglise et des grands du royaume, le pouvoir passe ainsi du roi carolingien au duc des Francs. A la fin de cette même année 987, Hugues Capet fait élire son fils Robert (Robert II le Pieux) comme son successeur, et le fait sacrer à Orléans. Le principe héréditaire restauré, une nouvelle dynastie est née, renforcée par la mort du dernier Carolingien, Charles, duc de Basse-Lorraine, en 991.
Les débuts de la dynastie capétienne revisités
L’année 987 est donc décisive. Elle ouvre « deux siècles où la dynastie fondée en 987 par Hugues Capet a commencé, lentement mais sûrement, de faire la France comme nation », écrit l’historien Dominique Barthélemy. Ancien élève de Georges Duby, professeur à la Sorbonne (Paris-IV) et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes-études, celui-ci publie aujourd’hui un livre original (1). Il y revisite les débuts de la dynastie capétienne, sans renoncer ni à la chronologie traditionnelle ni à une vision historique de la monarchie française, mais, développant une perspective résultant de ses travaux antérieurs, en nuançant largement la vision convenue d’une royauté qui aurait été très faible au départ et qui se serait imposée par miracle aux élites dirigeantes du royaume.
Dominique Barthélemy, au contraire, insiste sur l’atout initial dont disposent Hugues Capet et ses successeurs immédiats : la royauté, institution nimbée de sacré et dont le prestige, imprimé de longue date dans les mentalités, était tombé du temps des ultimes Carolingiens. « L’étiage de la royauté en France occidentale, souligne l’auteur, se situe en amont de l’avènement d’Hugues Capet, lequel avènement restaure la préséance royale, et en ce sens contribue à l’ordre féodal et chrétien. »
« Le métier de roi est grand, noble et délicieux »
Barthélemy, au lieu d’opposer la royauté et la féodalité, montre comment le pouvoir royal, même s’il a souvent combattu les féodaux, tel Louis VI bataillant contre les sires de Montlhéry, a bâti sa légitimité en s’insérant dans les cadres de la société féodale, qu’il s’agisse de l’Eglise, de la chevalerie ou des communes, cadres qui n’étaient pas remis en cause. L’historien arrête son étude avec Philippe Auguste. Pour la France, le règne de celui-ci marque, par la spécialisation des fonctions qui s’opère au sein de la cour et par l’émergence d’une authentique administration royale, l’ébauche de l’Etat, au sens moderne du terme. Si cette évolution, encore une fois, ne bouleverse pas le soubassement social de l’époque, qui reste celui de la féodalité, elle amorce, entre les Capétiens et la France, un pacte qui durera jusqu’à la Révolution.
Que les rois aient fait la France, plus aucun historien digne de ce nom, de nos jours, ne conteste cette idée, sans croire devoir ajouter, comme pour s’excuser, une profession de foi républicaine, qui serait hors sujet. Les rois qui ont fait la France, c’est l’intitulé d’une collection que les Editions Pygmalion ont inaugurée il y a trente-quatre ans et dont les trois derniers volumes viennent de paraître (2). Pour réaliser cette entreprise éditoriale sans équivalent, deux auteurs auront été à la manoeuvre : Georges Bordonove, disparu en 2007, qui était un historien non universitaire mais qui travaillait selon les meilleures méthodes, et Ivan Gobry, qui fut professeur à l’université de Reims et à l’Institut catholique de Paris. La série représente 52 livres, soit les biographies de tous les rois de France, Mérovingiens, Carolingiens ou Capétiens, de Clovis à Louis-Philippe, et s’adresse à un large public.
« Le métier de roi est grand, noble et délicieux, quand on se sent digne de bien s’acquitter de toutes les choses auxquelles il engage ; mais il n’est pas exempt de peines, de fatigues, d’inquiétudes. » C’est un expert qui parle ici : Louis XIV en personne. Présentant la réédition des célèbres Mémoires pour l’instruction du dauphin (3), Jean-Christian Petitfils se demande si, en nos temps démocratiques de « gouvernance » et de « management », les réflexions du Roi-Soleil ont encore du sens. La réponse de l’historien de l’Ancien Régime est positive : trois siècles après sa mort, Louis XIV peut encore nous dispenser des « leçons de lucidité et d’énergie. »
Jean Sévillia
(1) Nouvelle histoire des Capétiens, 987-1214, de Dominique Barthélemy, Seuil.
(2) Louis II, Louis III, Carloman et Charles le Gros, et François II, d’Ivan Gobry, Pygmalion. L’ensemble de la collection Les rois qui ont fait la France, 52 volumes signés de Georges Bordonove ou d’Ivan Gobry, est disponible chez l’éditeur.
(3) Louis XIV. Le Métier de roi. Mémoires et écrits politiques, présentation de Jean-Christian Petitfils, Perrin, « Les Mémorables ».
https://www.jeansevillia.com/2015/04/11/ces-rois-qui-ont-fait-la-france/
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