À l'époque où l’Éducation nationale enseignait encore l'histoire de France, les écoliers français connaissaient mieux Crécy et Azincourt que la bataille, pourtant décisive, de Patay, remportée le 18 juin 1429 par l'armée de Jeanne d'Arc sur une armée anglaise commandée par John Fastalf et John Talbot. Cette rencontre suivait la délivrance d'Orléans, le 8 mai, et les prises de Jargeau, le 12 juin, Meung-sur-Loire, le 15, et Beaugency, le 17. Tandis que la Pucelle exhortait le duc d'Alençon à poursuivre les Anglais - « En nom Dieu, il faut combattre et tout de suite. S'ils étaient aux nues, nous les aurions » -, Talbot décida d'attendre les Français près du village de Patay.
La tactique anglaise devait être la même qu' à Azincourt quatorze ans plus tôt. les archers armés du longbow - grand arc en bois d'if -, bien entraînés et protégés par des pieux fichés en terre en avant de leurs positions, décimeraient la cavalerie française. Mais à Patay, l'armée anglaise n'eut pas le temps d'organiser sa défense. Un cerf effrayé par des éclaireurs français s'enfuit du côté des archers qui poussèrent des cris, révélant leur position aux Français. La cavalerie de l'avant-garde française, conduite par Etienne de Vignolles, dit La Hire, les attaqua de flanc et les massacra, puis la cavalerie anglaise fut à son tour bousculée. Talbot fut fait prisonnier, Fastalf prit la fuite. Pour les Anglais, le bilan était lourd 2000 à 2500 tués, contre une centaine de Français (moins de cinq selon certaines sources…). La bataille de Patay ouvrait à Charles VII la route de Reims, où il fut sacré le 17 juillet, ce qui établit sa légitimité face aux prétentions anglaises et aux doutes sur sa filiation.
Waterloo, fin d'une partie perdue d'avance
Aussi décisive, la bataille de Waterloo, en Belgique, le 18 juin 1815, associe dans la mémoire française le souvenir d'une défaite cuisante avec les derniers feux de la gloire impériale. Napoléon dispose de 125000 hommes, l'anglais Wellington de 90000, le prussien Blücher de 120000. L'Empereur décide de battre ses adversaires séparément. Le 16 juin, le maréchal Ney repousse les Anglais aux Quatre-Bras, tandis qu'à Ligny, Napoléon défait les Prussiens qu'il ordonne au général Grouchy de poursuivre avec deux corps d'armée. Le 17 au soir, l'empereur rejoint les Anglais retranchés sur le plateau du Mont-Saint-Jean, au sud du village de Waterloo. Il pleut toute la nuit et le lendemain l'attaque doit être différée en raison du terrain boueux et de la fatigue des soldats : la bataille ne s'engage que vers 11 h 30, sur un front de quatre kilomètres. En contre-bas du plateau, les Britanniques ont transformé en redoutes les fermes d'Hougoumont à l'ouest, de La Haye-Sainte au centre et de la Papelotte à l'est. Les assauts français sont partout repoussés. Vers 15 heures, au centre, Ney conduit, de sa propre initiative mais trop tôt, la charge des cuirassiers dont Victor Hugo restituera plus tard la dimension épique - « C'étaient des hommes géants sur des chevaux colosses »(1) Napoléon lui-même lance toute sa cavalerie pour casser les carrés anglais. Mais vers 14 heures, les Prussiens, échappés à Grouchy, sont apparus à l'est, contraignant Napoléon à envoyer pour les contenir ses réserves d'infanterie, qui lui manquent contre les Anglais. À 19 heures, l'empereur fait donner la garde… mais ces vétérans eux-mêmes reculent ! Wellington passe alors à l'offensive, tandis que les Prussiens s'emparent du village de Plancenoit, sur les arrières des Français qui, gagnés par la panique, se débandent. Le souvenir s'est conservé de la résistance désespérée du dernier carré de la Vieille garde et du « mot » - légendaire - du général Cambronne, sommé de se rendre par les Anglais « La garde meurt et ne se rend pas ! Merde ! »
La bataille de Waterloo termine l'aventure vouée à l'échec des Cent jours. Napoléon eût-il vaincu que la guerre n'en aurait pas pris fin pour autan. Les puissances coalisées étaient déterminée à en finir avec la Révolution, qu'il continuait d'incarner. « Son génie a prolongé, à grands frais, une partie perdue d'avance », a écrit Jacques Bainville(2). Pour la France, le dernier sursaut de l'Aigle a eu un coût démesuré.
Le glaive contre le bouclier
Victoire ou défaite, Patay et Waterloo ont vraiment influencé le cours de l'histoire. Le troisième « 18 juin » n'est pas de même nature. Le bref discours radiophonique prononcé le 18 juin 1940 par Charles De Gaulle habille la légende d'un homme, construite à des fins de propagande. Peu de Français l'ont entendu combien devaient écouter un général presque inconnu sur la BBC, alors que la France entière était stupéfaite par la défaite, que les soldats français continuaient à se battre et à mourir (l'armistice ne sera signé que le 22 juin), qu'un million d'entre eux étaient prisonniers et que dix millions de civils erraient au long des routes, épuisés et mitraillés par les stukas ? Le texte de ce fameux appel à la résistance commence par une accusation : « Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. » L'adversaire désigné n'y est pas la classe politique de la IIIe République qui a conduit la France au désastre, mais les militaires - en premier lieu le maréchal Pétain, que le président Lebrun a en effet chargé, le 16 juin, de former un gouvernement pour conclure un armistice qui paraît inévitable. Depuis Londres, le « glaive » choisit de frapper le « bouclier ».
1). Victor Hugo, Les Misérables.
2). Jacques Bainville, Napoléon.
Hervé Bizien monde&vie 2 juillet 2015 n°910
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire