samedi 24 octobre 2020

Richesses linguistiques des provinces de France

  


Un beau livre sur l'histoire de la langue bretonne, qui vient de paraître, vient rappeler l'importance du patrimoine linguistique pour notre identité.

Savez-vous parler gaulois ? La langue de Vercingétorix a disparu, mais elle a laissé mieux qu'un souvenir à travers le breton, « qui constitue aujourd'hui, et ceci est une certitude, la langue vivante la plus proche du gaulois », écrit Serge Plénier dans « La Langue bretonne des origines à nos jours ». L'un des intérêts de ce livre richement illustré, est de montrer à quel point l'histoire des peuples est liée à celle du langage.

Nous ne retracerons pas ici l'histoire des Bretons et de leur langue - les lecteurs intéressés par le sujet pourront se reporter au livre de Serge Plénier. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les efforts déployés par la République, dès la Révolution, pour éradiquer le breton, que n’avait jamais menacé l’Ancien Régime. En janvier 1794, le conventionnel Barère de Vieuzac, qui s'illustrera aussi en préconisant dans un discours à la Convention l'extermination de la Vendée, « race rebelle » tonne contre le breton, le basque, l’allemand et l'italien qui, à l'en croire, ont « empêché la Révolution de pénétrer dans neuf départements importants » : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton l’émigration et la haine de la République parlent allemand la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur. » « Devenues le symbole d'un passé honni, écrit Serge Plénier, ces langues constituent une menace et un blasphème permanent à l’encontre du dogme jacobin. Cette hostilité véritablement religieuse est promise à un bel avenir. » Cet avenir trouvera sa pleine réalisation sous la Troisième République. La Bretagne est d’autant plus suspecte qu’elle demeure très catholique - l'apostolat du père Maunoir, au XVIIe siècle, a porté ses fruits. « La lutte contre le breton devient la lutte de la lumière contre les ténèbres féodales et cléricales » explique Plénier, qui parle d'une « détestation véritablement théologique de la langue bretonne » - langue de chouans. Dès 1881 les lois scolaires de Jules Ferry interdisent le breton à l'école.

Parallèlement, la langue trouve un secours du côté de l’Église : « Pour la hiérarchie ecclésiastique, le breton est maintenant la langue de la résistance contre une République perçue comme anticléricale, mais aussi contre tout ce qui menace l'équilibre de l’antique société rurale. »

Une inversion des valeurs

À l’anticléricalisme de la IIIe République, s’ajoute le jacobinisme qui proscrit les particularismes locaux : la République ne veut voir qu'une tête, celle de Marianne. En 1932 encore, malgré les sacrifices consentis sur les champs de bataille de la Grande guerre, le ministre de l'Instruction publique, Anatole de Monzie, affirme : « Pour l'unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître. » On pourrait en dire autant des autres langues (le basque, le provençal…) et dialectes des provinces françaises. Or, pas plus que l’amour des petites patries ne dissuade d'aimer la grande, l'amour du français n'interdit de s'intéresser aux langues et dialectes de nos pères quitte à faire justice du lieu commun qui veut, parce qu’au début du XXe siècle les hussards noirs du petit père Combes en avaient décidé ainsi, que la langue française soit un creuset de l'unité nationale en 1900 : encore, 80 % des Français parlaient une langue locale ou un patois, 30 % ne pratiquaient pas la langue nationale et nombre d'entre eux la comprenaient mal ou pas du tout - ce qui expliqua en 1902 la résistance du clergé breton à l'interdiction de prêcher et catéchiser en breton (voir Monde et Vie n° 828). Ce qui ne les empêcha pas une quinzaine d’années plus tard d'aller se faire tuer pour la France sur les champs de bataille de la Grande guerre.

Le moins paradoxal, dans tout cela, n est pas l'attitude de la droite française, qui a abandonné à des bobos de province gauchisants colorés d'indépendantisme, un régionalisme qui fut souvent à la racine de sa pensée - rappelons ce que la pensée maurrassienne, notamment, doit au félibrige : « On ne saura jamais ce que Mistral a fait de nous, écrivait le Martégal, si l’on n'a lu quelques extraits de ces poèmes majeurs force de pensée, rythme de la parole, essor du chant, tout était réuni pour cette céleste fascination. » On peut regretter au demeurant l’abandon de pans entiers de notre patrimoine national marqués par le régionalisme, du Barzaz Breiz de La Villemarqué à l’œuvre de Mistral.

L'inversion des valeurs est telle que l'homme de droite, aujourd'hui, se réclame paradoxalement du jacobinisme, par un patriotisme mal compris. C'est oublier qu’en coupant les hommes de leurs racines, le centralisme assèche l'idée de patrie pour la réduire à une adhésion intellectuelle ainsi, à la fin du XIXème, écrit Jacques Chastenet(1), « l’ouvrier parisien est, à sa manière, profondément patriote. Mais la France dont il a le culte est moins une patrie faite de champs, de bois, de maisons et de tombeaux, qu'une patrie idéologique. » Ce patriotisme idéologique, qui a peu de choses à voir avec « la terre et les morts » est en réalité fragile.

Un défenseur obstiné du français - et des langues locales -, Claude Duneton, a écrit « La langue est la vraie patrie des peuples » or, ajoute-t-il, « la France est le seul pays en Europe, et peut-être au monde où les quatre cinquièmes de la population ont changé de langue depuis cent ans. » Qui dira l'importance de ce déracinement linguistique - lié au déracinement géographique de la majeure partie de nos compatriotes - dans l'affaiblissement du patriotisme ?

1 Jacques Chastenet, préface de La Commune de Paris de Pierre Dominique, Grasset, 1962, cité par Jean Sévillia in Historiquement correct

Serge Plénier, La langue bretonne des origines à nos jours, Editions Ouest-France, 17,90€

Hervé Bizien  monde et vie 17 juillet 2010 n°830

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