À en croire Robert Spaemann, ancien professeur de philosophie à l'Université de Munich, Louis de Bonald nous a joué un drôle de tour. Ce chantre de la contre-révolution, alter ego de Joseph de Maistre serait, en fait, un moderne qui s'ignore.
Iconoclaste, propre à réveiller certains de leur endormissement, cette thèse a été défendue en 1951, devant un jury universitaire, par Robert Spaemann, alors âgé de 25 ans, mais déjà rempli de promesses. Pas plus le jeune thésard de l'époque que le retraité d'aujourd'hui ne voyait en Bonald un adversaire à abattre. Bien au contraire, c'est avec sympathie que Spaemann abordait l'écrivain français, sympathie d'autant plus manifeste qu'il partage avec lui une aversion pour les présupposés philosophiques de la Révolution française. Ce spécialiste de philosophie morale est considéré dans son pays comme un aristotélicien de renom. Comme philosophe et comme chrétien, il s’est également attaché au rapport entre la foi et la raison. Aujourd'hui encore, Robert Spaemann, proche du pape Benoît XVI, est un défenseur farouche de la messe traditionnelle.
Mais, alors, pourquoi ce discours à contre-mesure qui finalement réduit un adversaire de la modernité à être lui-même imprégné des maux qu'il dénonce ? L'explication psychologique ne saurait ici suffire. Ce serait faire injure à Bonald que de le considérer comme dépendant à ce point des effluves du temps. Plus profondément, si l’on en croit Spaemann, Bonald est habité d'une méfiance native envers la philosophie née « du besoin et de l'ignorance de la doctrine religieuse ». Au final, pourtant, s'il y a une philosophie possible, celle-ci est moderne. Bonald se montre ainsi fils de Descartes plutôt que d'Aristote ou de saint Thomas d’Aquin. Même Rousseau, qui n'échappe pourtant pas à sa vindicte, lui sert dans la mesure où il essayera de retourner contre lui le concept de « volonté générale ». Pour une grande part, la « modernité » de cet anti-moderne repose sur cette filiation, qui n'a rien d'exceptionnel, les prêtres et les religieux de l'époque de Bonald ayant sucé le lait de la modernité philosophique. Ce n'est pas pour rien qu'il faudra attendre Léon XIII pour assister à une redécouverte de la pensée de saint Thomas.
Mais la modernité de Bonald se trouve encore ailleurs. En faisant reposer l'origine des idées sur sa théorie du langage, il se retrouve en préfigurateur du structuralisme linguistique. Vraiment une étonnante parenté pour un réactionnaire !
Mais Bonald, dira-t-on, fut un inspirateur de Maurras ? Oui, et alors ? Loin d'être une preuve, cette réelle filiation (aussi réelle que celle qui relie Bonald à Lamennais) pose toute la question du substrat maurrassien. Sans entrer à fond dans la querelle, Spaemann montre pourtant qu’en quittant les rivages sûrs de la métaphysique, Bonald a offert son acte de naissance à la sociologie, cette prétention à étudier le corps social uniquement sous l'angle positiviste. C'est en recourant à Péguy, puis à Chesterton, que Spaemann critique une telle prétention profondément moderne. Ce ne sont pas forcément de mauvais guides.
Philippe Maxence monde&vie 31 janvier2009 n°806
Un philosophe face à la Révolution, La pensée politique de Louis de Bonald, Robert Spaemann, Hora Décima, 252 pages, 22 €
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