dimanche 27 septembre 2020

Vaincre à Lépante

  


L'histoire offre parfois des surprises et confirme l'idée qu'elle repasse souvent les plats.

Jugez-en nous sommes à Venise, en 1569, à l'époque de la Sérénissime République. Dans la nuit du 13 au 14 septembre (!), des espions du sultan ottoman Sélim - fils aîné de Soliman le magnifique - font exploser un magasin à poudre au cœur de la ville. Les destructions sont considérables et les pertes en vies humaines provoquent l'indignation de l'Europe. Quelques mois plus tard, Chypre - possession vénitienne - tombe aux mains de l'empire turc. Le vainqueur de la prise de Nicosie, Lala Mustapha, livre la ville à la folie destructrice de ses 120 000 soldats et transforme l'église Saint-Nicolas en mosquée. La frayeur engendrée par l'événement sera à l'origine de la Sainte Ligue, victorieuse un an plus tard au large de Lépante. Guerre de civilisations comme l'écrira plus tard Samuel Huntington ? Rien n'est moins sûr. Ni l'empereur allemand, Maximilien II, ni l'Angleterre, ni le roi du Portugal ne s'engagent dans la partie. De son côté, Charles IX, roi de France, dans la continuité de François I" reste lié par l'alliance avec la Turquie, qui a permis à Marseille de posséder l'exclusivité du commerce méditerranéen.

Le salut viendra donc de l'Espagne, première force d'une coalition dont l'âme, à n'en pas douter, reste le pape Pie V. Pourtant, le roi d'Espagne Philippe II mettra un certain temps avant de se décider et de dépêcher son demi-frère, don Juan d'Autriche, futur vainqueur de la plus grande bataille du XVIe siècle. Ce dernier est loin d'être un personnage obscur. Fils naturel de Charles Quint, né à Ratisbonne, Don Juan d'Autriche va très vite se distinguer au sein de « la noblesse de son temps, légère et guerrière, catholique et combattante ». Héros du Grand Siècle espagnol, Geronimo - tel était son nom d'origine -, a d'abord été fidèle à son demi-frère alors que ses qualités auraient pu écraser le roi austère et mystérieux. Destiné aux ordres religieux, il se révéla finalement guerrier fougueux et intelligent, mais aussi et surtout, ardent défenseur du catholicisme. On ne peut comprendre l'histoire de l'Espagne sans garder en tête cette idée qu'elle fut championne de la chrétienté, alors qu'au sein de l'Europe progressait le protestantisme et qu'à ses frontières l'empire turc menaçait. Ainsi, quand don Juan s'adresse à ses troupes la veille de la bataille de Lépante, il évoque la mission divine de la monarchie catholique quand, en face, Ali Pacha parle de domination et de butin de guerre. Cette mission divine est sans nul doute un « élément constitutif de l'identité espagnole ». Il faut savoir gré à l'historien Jean-Pierre Bois de nous offrir un portrait tout en nuance de ce héros du Grand Siècle espagnol. Par sa connaissance de l'histoire diplomatique, Bois nous permet de plonger dans les arcanes des relations complexes entre les princes, où se mêlent les intérêts à la fois politiques, religieux et économiques. Il nous décrit enfin dans les moindres détails cette bataille de Lépante, si souvent citée dans nos milieux, et pourtant bien méconnue.

Christophe Mahieu Don Juan d'Autriche, Jean-Pierre Bois, Taillandier, 40 pages, 29 €

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