vendredi 25 septembre 2020

Des solutréens en Amérique ?

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Symbole de l'habileté des solutréens : les longues et fines lames de silex en feuilles de laurier.

Des Solutréens en Amérique ?.jpegLa découverte de squelettes préhistoriques d'origine européenne et de récentes études ADN ont bouleversé les théories sur les premiers habitants du continent américain. Et si les chasseurs européens du solutréen avaient déjà été présents sur la terre d'Amérique, il y a 25 000 ans ?

Plusieurs douzaines d'outils de pierre vieux de 19 000 à 26 000 ans ont été découvertes ces derniers mois en six endroits différents, tous situés à proximité de la côte atlantique des États-Unis. Trois de ces sites se trouvent sur la péninsule de Delmarva, dans le Maryland, où ils ont été explorés par Darrin Lowery, de l'Université du Delaware. Les trois autres se trouvent respectivement en Pennsylvanie, en Virginie et sur un fond marin des côtes de Virginie qui, à l'époque préhistorique, était encore une terre émergée. Il s'agit là d'une série de découvertes absolument décisives, qui bouleversent les connaissances acquises sur le peuplement originel du continent américain et permettent de relancer une théorie encore controversée celle d'une arrivée précoce en Amérique d'Européens appartenant à la culture solutréenne.

La doctrine officielle, jusqu'il y a encore quelques décennies, était que la première culture humaine apparue aux États-Unis ait été la culture de Clovis, découverte en 1932 dans un village du Nouveau-Mexique, qui s'est développée outre-Atlantique il y a entre 11500 et 13100 ans. Ses porteurs, venus d'Asie nord-orientale par le détroit de Behring, qui était alors une bande de terre ferme, en profitant du « corridor arctique » apparu dans la banquise au lendemain de la dernière glaciation - plus précisément lors du dernier Maximum glaciaire (il y a entre 16 500 et 13 000 ans) -, se seraient ensuite progressivement répandus dans tout le continent américain. Leur territoire d'origine se situait probablement dans le sud de la Sibérie orientale, qu'ils semblent avoir quitté il y a 14000 ans. Des études d'ADN menées récemment par une équipe de l'Université de Pennsylvanie sur les populations actuelles de la région montagneuse de l'Altaï ont en effet permis de retrouver chez elles des marqueurs génétiques (mutation Q, haplotypes C et D) caractéristiques des Indiens d'Amérique, ce qui ferait de ces derniers de lointains cousins des Mongols et des Ouighours.

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Pierre taillée d'origine française en Virginie !

Très vite, cependant, les découvertes se sont accumulées qui ont mis en doute le caractère de premiers arrivants des membres de la culture de Clovis. Dès 1957 des artefacts datés de près de 38 000 ans ont été retrouvés sur le site de Lewisville, au Texas. À partir de 1978, d'autres artefacts vieux de 25 000, 35 000, voire 55 000 ans ont été mis au jour sur les sites de Monte Verde, au Chili, de Pikimachay, dans les Andes péruviennes, de Meadowcroft, près de Pittsburgh, de Cactus Hill, en Virginie, de Topper, en Caroline du Sud, de Pendejo, au Nouveau-Mexique, de Old Crow, dans le Yukon, etc. D'autres sites, notamment dans leWisconsin, la Pennsylvanie et l'Oregon, ont plus récemment encore livré d'autres artefacts antérieurs à la culture de Clovis. Il y a quelques mois, plusieurs milliers d'outils de pierre et d'artifacts vieux de quelque 15 500 ans (15 528 objets exactement) ont été mis au jour près de Buttermilk Creek, à 55 km au nord-ouest d'Austin (Texas), sur le site de Debra L. Friedkin fouillé depuis plusieurs années par une équipe d'archéologues dirigée par Michael Waters, de l'Université A&M du Texas. Une ou plusieurs autres migrations ont donc précédé celle des fondateurs de la culture Clovis. Mais il y a 19 000 ou 26 000 ans, le détroit de Behring n'était pas encore accessible comme il l'est devenu quelques millénaires plus tard, ce qui pose le problème de l'origine de ces nouveaux venus. Or, les outils retrouvés dans le Maryland, en Pennsylvanie et en Virginie, ne sont pas seulement très antérieurs à la culture de Clovis. Ils attestent surtout d'une technologie différente de celle qui prévalait dans cette dernière (pièces bifaciales en silex très caractéristiques, pointes à enlèvement flûte, que l'on a retrouvées par milliers dans toute l'Amérique du Nord et jusqu'à Panama et au Costa-Rica), mais qui présente en revanche une grande similitude avec la technologie de la culture solutréenne, qui s'est développée au paléothique supérieur dans le Sud-Ouest de la France et le Nord de l'Espagne. Cette similarité entre (Industrie lithique solutréenne, notamment celle des pointes foliacées bifaciales très fines dites « feuilles de laurier » et certains artefacts retrouvés dans l'Est des États-Unis avait déjà été constatée dans le passé. Mais on faisait observer que les artefacts mis au jour en Amérique dataient d'une époque, 15 000 ans environ, où la culture solutréenne avait déjà disparu depuis longtemps en Europe (elle prit fin en effet il y a environ 17 000 ans, pour être remplacée par la culture magdalénienne). C'est cette objection qui est maintenant levée, les plus récentes découvertes portant sur des objets vieux de 19 000 à 26 000 ans, et donc tout à fait contemporains de la culture solutréenne d'Europe. Qui plus est, une analyse chimique réalisée en 2011 sur un couteau de pierre découvert en Virginie a montré que celui-ci avait été taillé dans une pierre d'origine française !

Squelettes préhistoriques de type « caucasien »

Faut-il donc envisager que des chasseurs solutréens venus d'Europe occidentale soient dès cette époque parvenus en Amérique ? C'est ce qu'affirment depuis plusieurs années un certain nombre de chercheurs, parmi lesquels Dennis Stanford, ancien directeur du département d'anthropologie de la Smithsonian Institution de Washington, et Bruce Bradiey, de l'Université d'Exeter, qui viennent de publier un livre intitulé Across Atlantic Ice qui expose leurs conclusions. Stanford et Bradley considèrent comme très probable que des chasseurs solutréens, à qui l'on reconnaît une grande habileté (ce sont eux qui inventèrent l'aiguille à chas et le traitement thermique pour la fabrication des outils en silex), soient parvenus en Amérique, soit en utilisant des bateaux en peaux de bêtes et en cabotant le long des côtes de l'ancien glacier qui recouvrait alors l'Amérique du Nord, soit en voyageant à la surface des glaces à la façon des Inuits. Ils auraient ensuite fait souche dans la partie orientale de l'Amérique, puis auraient pénétré jusqu'en Amérique du Sud.

Stanford et Bradley font également observer qu'aucune présence humaine n'est attestée en Alaska ou en Sibérie du Nord-Est avant il y a 15 000 ans. Ils signalent enfin que certains marqueurs génétiques européens, totalement absents chez les populations du Nord-Est de l'Asie, ont été retrouvés dans l'ADN de plusieurs squelettes vieux de 8 000 ans mis au jour en Floride (haplogroupe U). Ils citent aussi le cas de l'haplogroupe X, qui n'a pas été identifié en Asie, mais qui est présent dans certains groupes d'Amérindiens du Nord, tels les Ojibwé, les Algonquins, les Sioux et les Navajos, l'évaluation de son arrivée en Amérique du Nord indiquant entre 12 000 et 36 000 ans. À cela s'ajoute le fait que des squelettes préhistoriques de type nettement « caucasien », c'est-à-dire européen, ont déjà été retrouvés par le passé sur le continent américain. C'est le cas notamment du célèbre homme de Kennewick, vieux de 9 500 ans, découvert en juillet 1996 sur les bords de la rivière Columbia, dans l'État de Washington, et surtout de la femme de Peñon, vieille de 13 000 ans, découverte près de Mexico. L'hypothèse soutenue par Dennis Stanford et Bruce Bradiey ne fait toutefois pas encore l'unanimité (certains chercheurs, comme Lawrence Guy Strauss, restent farouchement « anti-solutréens », d'autres allant jusqu'à évoquer l'hypothèse d'une origine Homo sapiens autochtone). Mais de toute évidence, l'affaire est à suivre.

B. O' D. Sources. Science, 24 mars 2012 The Independent, 28 février 2012, American Journal of Human Genetics, janvier 2012 Science, 20 octobre 2011 ).

éléments N°143 Avril-Juin 2012

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