D’Artagnan appartient à l'imaginaire collectif français et peut-être même mondial. Personne n'ignore le personnage créé par le génie d'Alexandre Dumas. Même ceux qui n'ont pas lu les romans connaissent les qualités de notre héros, cou rage, audace, insouciance, esprit chevaleresque, mais aussi ruse, désir de défendre ses intérêts et droits légitimes, ambition, tout cela sublimé par un extraordinaire sens du panache. D'Artagnan est le reflet de certaines mentalités et traditions françaises, mais il est aussi la représentation de ce que les Français aimeraient être. Sans doute parce qu'il est très français, ce personnage a séduit le monde. Preuve évidente qu'on ne peut séduire les autres qu'à la condition de rester soi-même et donc d'être différent d'eux. Ce mythe littéraire est pourtant fondé sur une incontestable réalité. D'Artagnan a existé. Mais littérature et cinéma lui ont donné une dimension exceptionnelle. Celui qui deviendra Charles de Batz-Castelmore, comte d'Artagnan est né, en réalité, à une date indéterminée qu'il est possible de fixer approximativement autour de 1615.
Il naît au château de Castelmore près de Lupiac, en Gascogne, fils de Bertrand de Batz et de Françoise de Montesquiou. Il quitte la Gascogne dans les années 1630 et rejoint Paris pour y faire une carrière militaire. Il sert chez les gardes françaises puis se retrouve chez les prestigieux mousquetaires. Durant ces années et celles qui suivent, il guerroie dans diverses campagnes militaires. Peu à peu, il entre au service du cardinal Mazarin qui lui confie de nombreuses missions durant la Fronde. Entre autres, il assure les contacts avec les différents chefs militaires demeurés fidèles au roi. Lorsque, en 1651, les Frondeurs contraignent Mazarin à l'exil, il l'accompagne et maintient les relations entre le cardinal et le roi. Il est devenu un fidèle de Mazarin et un de ses hommes de confiance. Cela le fait apprécier par le jeune Louis XIV et par sa mère, Anne d'Autriche. Le retour en France de Mazarin et la victoire du roi et de son Premier ministre contre les Frondeurs assurent l'avenir de Charles de Batz, comte d'Artagnan. En 1655, il est capitaine aux Gardes et, en 1658, il devient sous-lieutenant de la 1ère compagnie des mousquetaires dont il assure le commandement réel. En 1659, il épouse Charlotte-Anne de Chanlecy. Ils auront deux fils mais se sépareront dès 1665. La même année 1659, il accompagne Louis XIV lors de son grand voyage qui doit le mener à Saint-Jean-de-Luz pour son mariage avec l'infante Marie-Thérèse, fille du roi d'Espagne. D'Artagnan joue un rôle essentiel en assurant la sécurité du roi et du cortège à la tête de la compagnie des mousquetaires. En 1661, il est chargé par le roi d'arrêter à Nantes le surintendant des finances Fouquet. Il sera ensuite son geôlier dans diverses prisons durant plusieurs années. Il le conduit, en janvier 1665, à la forteresse de Pignerol où Fouquet terminera ses jours longtemps après. D'Artagnan remplira ces tristes fonctions avec humanité. En 1667 il est reçu par le roi dans sa nouvelle charge de capitaine lieutenant de la 1ère compagnie des mousquetaires. Il est aussi nommé brigadier de cavalerie. Il participe activement aux opérations militaires de la période et y joue un rôle important. En 1672, il est gouverneur de Lille, ville récemment rattachée au royaume. Il s'agit d'un poste très politique et de grande confiance. Il devient aussi maréchal de camp. Il est mortellement blessé, en juin 1673, lors du siège de Maastricht. Son dévouement au Roi, son courage, ses qualités le feront regretter par ses contemporains, au premier rang desquels Louis XIV. Telle est l'histoire du personnage réel.
En 1700, Courtilz de Sandras, un spécialiste de la biographie romancée, va publier Mémoires de Monsieur d'Artagnan où il mêle éléments réels et inventés. La légende commence à naître. Mais elle ne va réellement prendre forme qu'avec Alexandre Dumas. Il produit en quelques années les trois romans qui racontent trois épisodes marquants de la vie de notre héros : Les trois mousquetaires (1844) évoque la jeunesse, Vingt ans après (1845), la maturité, Le Vicomte de Bragelonne (1847-1850), l'approche de la vieillesse et le temps des désillusions. Il a l'idée géniale de joindre à d'Artagnan trois amis, autres héros à la personnalité marquée : Athos, Porthos et Aramis. Le succès sera considérable et ne se démentira jamais. D'Artagnan et ses amis mousquetaires vont contribuer à la formation intellectuelle et morale de plusieurs générations. Mais cette extraordinaire épopée va aussi influencer de nombreux écrivains. De Stevenson à Tillinac en passant par Jacques Perret, nombreux sont les auteurs qui considèrent la trilogie de Dumas comme incontournable et voient en d'Artagnan un personnage phare d'une mythologie moderne. Il va d'ailleurs être repris par d'autres romanciers populaires, preuve qu'il a une dimension universelle qui échappe même à Dumas. Albert Blanquet publiera Les amours de d'Artagnan (1858) et Paul Mahalin, un collaborateur de Dumas, écrira Le fils de Porthos (1883) et D'Artagnan (1890). Paul Féval fils poursuit l'épopée avec Le fils de d'Artagnan (1914), D'Artagnan contre Cyrano (1925), D'Artagnan et Cyrano réconciliés (1928). En 1955, sous le pseudonyme d'Arsène Lefort, Jean de La Hire publie Le grand secret de d'Artagnan. En 1962, D'Artagnan amoureux paraît deux mois après la mort de son auteur, Roger Nimier.
Mais d'Artagnan a aussi inspiré d'autres personnages. Le chevalier de Pardaillan créé, au début du XXe siècle, par le flamboyant Michel Zévaco rappelle par bien des aspects le mousquetaire de Dumas même si Pardaillan est bien moins respectueux de l'ordre établi. Dès ses débuts, le cinéma a encore contribué à populariser d'Artagnan avec de grands metteurs en scène comme Georges Sydney (les Trois mousquetaires - 1948) ou Abel Gance (Cyrano et d'Artagnan - 1964) mais aussi avec de bons artisans comme Cottafavi, Bernard Borderie, Richard Lester, Bertrand Tavernier, etc. Enfin, la télévision lui a consacré de nombreuses et souvent intéressantes œuvres. Personnage réel devenu une légende assez éloignée de la réalité grâce à Dumas, d'Artagnan continue ses aventures dans la culture populaire écrite ou filmée. Ne nous en plaignons pas car le mousquetaire du roi a toujours su galoper et nous entraîner sur le chemin de l'honneur.
Jacques Saint-Pierre monde&vie n°788 15 décembre 2007
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