Tous les rebelles ne sont pas les idiots utiles du capitalisme ! La preuve, la jeune équipe du groupe Rébellion. Dans un livre-manifeste, ses animateurs posent les bases d'une renaissance d'un socialisme révolutionnaire authentique, qui ne méconnaît pas l'exemple des grands ancêtres, bien au contraire. On leur souhaite de garder la ligne !
Rébellion. C’est le nom d'un groupe et d'une revue. C'est maintenant un livre, présenté par Louis Alexandre et Jean Galié. Qui sont-ils. de jeunes gens qui réfléchissent au-delà des clivages partisans, qui refusent de se laisser enfermer dans les catégories de gauche et de droite instrumentalisées par l'hyper-classe mondialiste pour que rien ne change vraiment Que veulent-ils : lutter contre le despotisme du capital, sortir de l'aliénation capitaliste et salariale. Sortir d'un monde à la fois monoforme et unipolaire. Écrire pour cela ? Précisément, face au capital, il est subversif de continuer à penser et à écrire, même si on ne saurait se limiter à cela : il faut passer d'une critique théorique à une pratique critique. Mais penser reste le premier acte : c'est d'ailleurs pour cela que la pensée même est de plus en plus souvent criminalisée.
La revue Rébellion du groupe éponyme a publié des entretiens avec des intellectuels comme Georges Corm, Alain Soral, Claude Karnoouh, André Bellon ou encore Alain de Benoist. C'est ce dernier qui a préfacé, en fin analyste des catégories politiques et des mouvements d'idées, le livre Rébellion, sans cacher sa sympathie pour la perspective socialiste révolutionnaire de cette jeune équipe. L'idéal du groupe Rébellion est celui d'une communauté militante, ce qui évoque à la fois le Jünger des années 1920 et le bolchevisme. Qu'est-ce que le socialisme pour Rébellion ? On pourrait répondre que c'est l'esprit de révolte. C'est cela, mais pas seulement. C'est un régime où la satisfaction des besoins prime sur la recherche du profit. Pour être classique, cette définition reste sans doute indépassable, sachant bien sûr que les besoins ne sont pas seulement matériels, mais relèvent de la nature de l'homme : besoin de liens, besoin de chaleur, de reconnaissance, etc. L'homme n'a pas seulement besoin de pain et d'un toit.
Les auteurs ont compris la nécessité de se situer dans une continuité historique du socialisme, et d'identifier certaines figures majeures et fondatrices. Parmi celles-ci se situent Pierre-Joseph Proudhon, mutualiste et fédéraliste, et Marx bien sûr, dont la critique de Proudhon a d'ailleurs été plus nuancée qu'on ne le dit en général.
Il y a aussi des événements emblématiques. C'est le cas de la Commune de Paris, avec Eugène Varlin, Louise Michel, Benoît Malon, Edouard Vaillant ou encore l'officier Louis Rossel. Les auteurs soulignent à juste titre que tout un courant socialiste, avec Bakounine, mais aussi avec Marx, a défendu le principe de l'autonomie ouvrière et populaire qui était celui de la Commune de Paris comme une pratique révolutionnaire profondément nécessaire.
Elle n'était au demeurant pas spécifique à Paris, puisqu'il y eut des ébauches de Communes à Lyon, Marseille, Limoges, Toulouse, Narbonne, Le Creusot… La Commune est pour Marx une première ébauche de dépassement de l'État comme structure parasite de la société, au service de la domination bourgeoise.
Pour Rébellion, le socialisme est aussi une figure morale. C'est pourquoi un portrait est consacré à la belle figure panthéiste, libre et socialiste de Jack London, ou encore à l'Irlandais James Connolly, indissociablement socialiste et combattant d'un nationalisme de libération. Les portraits les plus inattendus sont sans doute ceux de Heinrich Laufenberg et de Fritz Wolffheim. Ce sont des socialistes révolutionnaires ou encore des nationaux-communistes, bien plus que des « nationaux-bolcheviks ». Bolchevik, un mot qui signifie « majorité », n'a de sens précis que pour désigner une fraction, d'ailleurs minoritaire, qui était celle de Lénine, du Parti ouvrier social-démocrate de Russie avant 1914 (social-démocrate ne voulait alors pas du tout dire « socialiste réformiste »).
Dès 1917 Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim défendent l'idée des Conseils ouvriers. Ce doit être pour eux la source nouvelle du pouvoir exécutif. Hostiles à la guerre et à l'Union sacrée, qui se met en place en Allemagne comme en France, ils ne désertent toutefois pas. Ils développent avec les socialistes de Hambourg les thèses d'une « révolution par le bas », décentralisatrice, à l'opposé du léninisme bolchevique. Ils prônent l'unité des classes laborieuses et appellent à l'appropriation de l'idée nationale par les travailleurs dans le cadre de la construction d'une «nation socialiste». Un temps membres du parti communiste allemand (KPD), Laufenberg et Wolffheim en sont exclus en 1920 et créent le parti communiste ouvrier allemand (KAPD) où se retrouvent notamment Otto Rühle et Paul Mattick, une autre figure inspiratrice du groupe Rébellion. Le KPD reprendra l'orientation très « nationale » du KAPD, mais, bien entendu, pas du tout la critique du « capitalisme bureaucratique d’État » qui tint lieu de socialisme en URSS.
Une autre figure inspiratrice de nos auteurs est George Orwell, engagé pendant la guerre d'Espagne dans le POUM (Parti ouvrier d'unification marxiste), liquidé par les communistes staliniens. Orwell dénonça ensuite tous les totalitarismes, y compris celui des sociétés dites «libérales», le totalitarisme de l'homme machinal. Orwell disait que le socialisme, c'est de se demander : « Qu'est-ce qui rend l'homme plus humain ? », ce qui suppose d'avoir une idée juste de l'homme et de ne le réduire ni à un producteur ni à un consommateur. Les auteurs s'attachent aussi aux figures de Hans et Sophie Scholl et de Christoph Probst, de la Rose Blanche, résistants au nazisme et patriotes allemands qui furent guillotinés en 1943.
Les parties philosophiques et théoriques du livre ne sont pas moins riches. Outre une belle synthèse de philosophie politique, qui prend parti pour Althusius contre Jean Bodin, en une opposition frontale qui gagnerait toutefois à être nuancée, le portrait philosophique de Lucian Blaga permet de découvrir un auteur roumain peu connu. Pour Blaga, c'est la compréhension des horizons éthiques et esthétiques qui transforme la vie en destin. Hostile au racialisme biologique, Blaga développe l'idée d'une « matrice stylistique » qui donne vie et sens aux individus et aux peuples. Ainsi, l'homme n'est pas « citoyen du monde » - qu'il ne le soit pas ne voulant pas dire pour autant qu'il n'y a pas d'enjeux planétaires -, mais au contraire inscrit dans un paysage, d'où l'importance du thème du village chez Blaga, thème certes un peu daté.
L'article «Orientations nationales-bolcheviques» a l'inconvénient de reprendre un terme ambigu, très marqué par la fascination pour les méthodes léninistes, dont il est prouvé qu'elles ont servi d'exemple à Hitler lui-même (Ernst Nolte). Mais c'est bien sûr à Ernst Niekisch qu'il est fait ici référence, avec le lien entre conscience de classe et libération nationale. Niekisch tenta d'orienter le SPD de l'intérieur vers le nationalisme après la défaite allemande de 1918, puis fonda ses propres groupes nationaux-bolcheviks, notamment en lien avec Karl-Otto Paetel. Il fut constamment hostile au régime hitlérien. Il est au demeurant heureux que les militants de Rébellion se définissent, non comme «nationaux-bolcheviks» mais comme «communistes nationaux» (pp. 174 et 175). Ce communisme national postule l'analyse de classe et la lutte de classes; c'est pourquoi il se distingue des nationaux-socialistes de gauche anti-hitlériens comme le Front noir d'Otto Strasser et des divers « fascistes de gauche ». Pour le groupe Rébellion, la nation est un point d'appui pour la défense des intérêts des travailleurs et pour la construction d'une patrie socialiste.
À suivre
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