mardi 11 août 2020

Le régionalisme, une énergie conservatrice

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Frédéric Mistral

Alors que la refondation des droites est à 'ordre du jour, la question corse et le sujet des autonomies locales arrivent à point nommé. Un régionalisme intelligent pourrait permettre à la France de respirer et à la droite de retrouver son âme historique.

Il y a un malentendu entre la droite « moderne » et les autonomies locales. Un malentendu entretenu par l'histoire institutionnelle récente : depuis près de quarante ans, c'est bien souvent la gauche qui a eu l'initiative des mouvements dits de « décentralisation ». Qu'il s'agisse de la loi Defferre (1982), de la transformation des régions en collectivités territoriales de plein droit (1986) ou, en Corse, de la validation des statuts de l'Université de Corte (1981). Ajoutons à cela les tendances gauchisantes, depuis les années 60, de nombreux groupes régionalistes bretons ou occitans, et la coupe est pleine pour les droites françaises, dont l'un des réflexes grégaires sera l'assimilation du régionalisme à un séparatisme soit gauchiste soit bruxellois… Quel malentendu !

Aux origines de la droite

L'Histoire offre pourtant un autre récit, démarrant sous la Révolution. Coup sur coup, les idées nouvelles emportent privilèges et États provinciaux, créent des départements artificiels et font la chasse aux particularismes. La parenté est intime entre la nuit du 4 août, où se consume le vieil édifice gothique d'une France diverse et « hérissée de libertés » (Funck-Brentano), et le rapport implacable du régicide Barère, le 8 pluviôse an II, déclarant la guerre aux « jargons barbares ». C'est bien connu « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton : l'émigration et la haine de la République parlent allemand [en Alsace]; la contre-révolution parle l'italien [en Corse], et le fanatisme parle le basque ». Et vive la liberté !

Une réaction naît à droite, qu'il serait malaisé de qualifier de « régionaliste »; on ne parle pas encore de régions. Mais le combat pour la restauration des droits provinciaux, lui, est bien réel. Il faut relire Tombeau de la Rouerie, roman de Michel Mohrt où se déploie l'existence tragique de ce gentilhomme breton, héros des guerres d'Amérique, fondateur de l’Association bretonne et précurseur de la chouannerie. Autour de La Rouerie se regroupent des Bretons désireux de préserver des libertés (fiscales, judiciaires) appréciées comme gage d'autonomie et héritage politique et moral, que la Révolution a anéanti. Hélas ! Traqué, la Rouerie meurt de désespoir en apprenant la fin de Louis XVI. Son alter ego provençal, le juriste Pascalis, est pendu à un réverbère à Aix. La question provinciale préoccupe les auteurs conservateurs de l'époque. Edmund Burke fustige la disparition des vieilles provinces et la vampirisation du pays par Paris. L'enjeu est aussi identitaire, touchant au sentiment d'appartenance. « On se flatte d'avoir fait adopter le principe géométrique, et de vouloir mettre fin à tous les attachements locaux on ne connaîtra plus, nous dit-on, ni Gascons ni Picards, ni Bretons ni Normands, mais seulement des Français, qui n’auront qu'une patrie, qu'un cœur, qu'une assemblée. Mais il est beaucoup plus vraisemblable que votre pays sera bientôt habité non par des Français, mais par des hommes sans patrie On n'a jamais connu d'hommes attachés par la fierté, par un penchant ou un sentiment profond à un rectangle ou un carré. Personne ne se fera jamais gloire d'être originaire du carré numéro 71 ou de porter quelque autre étiquette du même genre » (Réflexions sur la Révolution en France 1790). Il s'agit aussi pour lui de défendre la valeur des « préjugés » guidant l'homme en société.

Chez Louis de Bonald, pourtant obsédé par la puissance de l'Un, le discours provincialiste, voire quasi-fédéraliste, se fait théologico-politique. Le Rouergat appelle de ses vœux une monarchie « où chaque province est un royaume, chaque chef-lieu une capitale, où le Roi est partout, comme Dieu sur nos autels, en présence réelle ».

Voilà pour les origines. Le Play, La Tour du Pin et d'autres seront leurs héritiers. Et si l'Union régionaliste bretonne (URB) est blanche, la Fédération régionaliste française, elle, voit cohabiter conservateurs, républicains et proudhoniens. Le flambeau du fédéralisme sera repris, bien sûr, par l'AF. Vieux topos politique des droites, le retour des régions sera instrumentalisé par un certain discours maréchaliste puis réinvesti par De Gaulle en 1969 ce fut pour le Général le clap de fin de partie. Depuis, fort peu de choses, et cela en dépit du formidable réservoir culturel que le régionalisme constitue pour la droite française.

Un vent de libertés

Notre régionalisme ? C'est d'abord un esprit. Le frisson à l'évocation de « la Terre et les morts ». L'émotion religieuse, toute barrésienne, à la vue de la Colline de Sion ou de la Sainte-Baume. La douce prière mistralienne à « Notre Dame de toute la France », merveille d'harmonie entre l'identité du particulier et la vérité de l'universel. La chaleur d'une veillée où courent les complaintes bretonnes de Le Goffic ou du Barzaz Breiz (La Villemarqué) chantant le combat des Trente et la défaite de Quiberon. L'odeur de tourbe et de sous-bois des Manants du roi de La Varende, le terroir étant un écosystème ancien et vivace où se côtoient le hobereau et le métayer, loin des artifices de la modernité. Loin du déracinement. Sans doute y a-t-il toujours, dans ces littératures, le risque d'un « folklorisme » de conservateur de musée ou d'amicale villageoise. Mais ces plumes nous disent quelque chose d'essentiel et d'intime à propos de la France et de la Cité. Sans forcément faire de politique, elles célèbrent un organicisme où la société est une famille de familles une nation où la souveraineté ne s'essuie pas les pieds sur la subsidiarité ni sur les usages. Elles chantent la légitime diversité des peuples de France. Ce qui ne veut pas dire désunion ces auteurs protestent de leur patriotisme. Barrés évoque la Lorraine et la patrie bleu horizon, Maurras promeut le provençal tout en scandant le français le plus classique. La Borderie célèbre la Bretagne de Du Guesclin et de Richemont, car « étudier la petite patrie, son génie et son histoire, exalter ses héros, c'est faire œuvre utile à la grande patrie, à la France ». Et le Martégal d'opposer le « patriotisme unificateur, simpliste, administratif et abstrait de la tradition révolutionnaire » au « patriotisme français nourri et rafraîchi à ses vives sources locales ».

Mais le conservatisme régionaliste est aussi politique. Mettons de côté les aventures indépendantistes (en Bretagne, par exemple), professées par un Olier Mordrel ou formant un cadre romanesque (Michel Mohrt, La Prison maritime, 1961). Le vocable « fédéralisme », mal perçu depuis que la Convention l'a dépeint comme une injure, a été réhabilité à gauche (Proudhon) avant d'être repris par les maurrassiens. On sait combien ces derniers défendent la « monarchie fédérative », associant la décentralisation aux caractères essentiels du régime désiré. Ce fédéralisme au service de l'enracinement est désireux de libertés fiscales, administratives, culturelles pour les « pays » historiques. Libertés politiques aussi, par l'établissement d'assemblées semblant tenir davantage du Parlement fédéré que du conseil régional. Le Félibrige proposait même de créer une « assemblée souveraine » à Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Marseille ou Aix afin de régir administration, écoles, tribunaux, universités. On en attend même des économies et une baisse du nombre de fonctionnaires ! La centralisation ayant été menée politiquement, le problème se pose bien en termes politiques - Poulitico d'abord ! s'exclame en provençal le grammairien Alibert, en 1927.

Cette décentralisation conservatrice, héritière d'une pensée où l'homme est animal social, n'oublie pas les vertus de la commune, son premier contact avec la Cité organisée : il s'agit alors de l'affranchir de l'autorité pesante de l'État, des préfets. Autant de dévolutions politiques de premier plan mais qui, toutes, demeurent conditionnées au retour du Fédérateur. Dans L’Almanach d'Action Française de 1922, Maurras demandait : « l'unité de commandement et le respect profond de la variété et de l'originalité des énergies ainsi commandées. Disons pour être net autorité puissante et décentralisation généreuse ».

Au-delà de la question, passée de mode, du régime, la générosité constitue précisément l'enjeu des revendications autonomistes. Le député corse Michel Castellani a ainsi déclaré, en 2017 : « Il y a deux France : une France impitoyable, qui coupe toutes les têtes, et une France généreuse, qui respecte la diversité des terroirs et des langues. Nous demandons simplement de prendre en compte la France telle qu'elle est ». Réalisme, héritage, identité, terroirs et rejet de l'idéologie : on n'est pas très loin du conservatisme. On est surtout en plein pragmatisme, à l'école d'un Tocqueville qui vantait la portée civique d'une décentralisation portant le citoyen à s'intéresser aux affaires publiques; un enjeu ô combien actuel. En définitive, si une droite authentique était et doit être régionaliste, c'est parce qu'elle préférera toujours les racines à l'abstraction, et l'initiative au Château de Kafka.

À nous de discerner les libertés adaptées au réel, variant selon les cas concrets capacités réglementaires, législatives et fiscales, bien commun régional, zones franches, co-officialité… Ces libertés, une droite sûre d'elle-même et déterminée à rendre à la France sa puissance n'aurait pas peur de les accorder; à condition de refuser le séparatisme. Sous quelles modalités constitutionnelles, avec quels outils juridiques ? Est-ce faisable sous le régime actuel ? C'est le rôle des politiques, non des historiens, de trouver les solutions propres à rendre possible ce qui est nécessaire. Poulitico d'abord !

François La Choüe monde&vie 8 mars 2018 n°952

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