En ce double anniversaire gaullien (la future « Jeanne d'Arc à moustaches » naquit le 22 novembre 1890 à Lille et s'éteignit le 9 novembre 1970 à Colombey) qui, n'en doutons pas, sera abondamment célébré, il nous paraît opportun de reproduire la percutante démythification publiée par Marcel Signac en juin 2000 dans Rivarol pour le 60e anniversaire du (faux) Appel du 18-Juin. E. de P.
Il fut un temps, sous la IIIe République, où l'école primaire avait pour mission de faire croire au peuple des mensonges utiles - avant le 14 juillet 1789, c'était la tyrannie des prêtres et des rois, etc. - tandis que le lycée, pour une minorité, enseignait l'esprit critique. Aujourd'hui, la tendance est à une école primaire qui n'enseignerait plus rien, et la mission de conditionner les esprits est transférée au lycée pour tous.
Rien de surprenant, donc, si un inspecteur général d'Histoire, Jean-Pierre Rioux, connu d'ailleurs par ses articles du Monde, vient de signer dans Ouest-France 18 mai) une présentation époustouflante de la défaite de 1940. C'est simple, et même plus que simpliste : « la France a d'abord été vaincue parce que cette poignée de gradés suprêmes, Pétain et Gamelin en tête, s'obstinait "dans" une stratégie militaire ringarde »; et « un seul a sauvé l'honneur », car le 18 juin il y eut « une espèce de Jeanne d'Arc à moustaches » (sic) pour sauver la France malgré les « manigances de Pétain et Laval pour ramasser le pouvoir ».
Avec des profs formés à cette école, pas besoin de travailler dans la nuance pour avoir son bac...
Pucelle (à moustaches )...
Passons sur les controverses militaires (il n'est pas vrai qu'il y avait assez d'avions de chasse en 1940, ils commençaient juste à arriver en mai) et sur l'amalgame entre Pétain, qui n'exerçait plus de commandement depuis 1919, et Gamelin, responsable suprême, mais mis hors de combat par le tréponème. Plus étonnante est une autre phrase de J.-P. Rioux, selon qui « tout attestait qu'un vrai sursaut national, venu des profondeurs du peuple, montait depuis l'humiliation de Munich » : où a-t-il vu jouer ça ? C'est superficiellement, au contraire, dans la presse et certains milieux politiques, qu'il y avait un parti de la guerre immédiate et dans n'importe quelles conditions, par pure idéologie; et il y avait aussi, mais ça J.-P Rioux n'en parle pas, un homme qui faisait imprimer en manchette de son journal « Armons ! », mais qui, en 1939, tenta de sauver la paix en disant « Nous ne sommes pas prêts » : où était la clairvoyance, sinon du côté de Maurras ?
Mais l'essentiel de l'article, c'est l'exaltation de la « Jeanne d'Arc à moustaches ». Reportons-nous, là aussi, à l'époque il suffit de regarder de près l'affaire de Dakar, où De Gaulle incita les Anglais à tirer sur des Français qu'il accusait, contre toute vraisemblance, de trahison au profit de Hitler (1), pour prendre la mesure du sens de l'honneur chez ce personnage - qui mentit aussi impudemment, dix-huit ans plus tard, dans ses manigances pour ramasser le pouvoir de la IVe République chancelante.
En réalité, si l'on veut comprendre, il faut remiser les cocoricos et simplement poser la question : que se serait-il passé, si De Gaulle n'avait pas existé ? Et la réponse vient toute seule, en considérant les faits : en 1942, quand les Américains ont débarqué en Afrique du Nord, tous les chefs nommés là par Vichy se sont ralliés à eux et sont entrés dans la guerre. Ils n'attendaient que cela ! Héritier désigné du Maréchal Pétain, Darlan, avant d'être assassiné, avait donné cette directive, suivie d'enthousiasme par tout ce qui tenait de Vichy une responsabilité militaire ou politique.
En métropole même, l'« Armée de l'Armistice », loin d'être faite de figurants d'opérette, s'était renforcée dans toutes les limites du possible à l'imitation de ce qu'avait fait la Prusse après Iéna, exemple qui hantait les esprits de ses chefs; son aviation, en 1942, était plus puissante que celle de 1940 ! L'esprit de revanche que cultivait Vichy, un détail suffit à le montrer : en zone libre, un livre entier à la gloire des combattants français de 1940, où à chacune des 200 pages il est question de « l'ennemi » - il reprenait le texte d'émissions radiodiffusées par les soins de Tixier-Vignancour -, fut distribué, en 1941 dans ces lycées qu'aujourd'hui Jean-Pierre Rioux inspecte. Sur ce livre, Le Mémorial de France, faits d'armes de la Guerre 1939-1940, la couverture porte un cachet : « Offert par le Maréchal Pétain aux meilleurs élèves de France, 1er mai 1941 ». Si ça ne s'appelle pas préparer l'avenir dans une certaine direction.
... Ou parasites ?
Quel rôle a donc joué De Gaulle ? Celui, très exactement, du parasite, ou du captateur d'héritage. Ce qui se serait fait sans lui, et qui, à Alger, avait commencé de se faire avec Darlan et Giraud, il se l'est annexé, et sans aucun scrupule quant aux procédés. Un test l'affaire Pucheu. Celui-ci, ancien ministre de l'Intérieur de Vichy avait rallié Alger, en demandant seulement à reprendre sa place dans le combat militaire contre les Allemands. Qu'a fait De Gaulle ? Il l'a fait fusiller, non seulement pour satisfaire la volonté de vengeance des communistes sur lesquels il s'appuyait - il se serait allié avec le diable ! - mais aussi pour supprimer ce témoin de la volonté de revanche du personnel de Vichy.
Sans De Gaulle, le sort de la guerre n'eût pas été différent. Celui de la France non plus : les Américains, meneurs du jeu à l'Ouest, et qui avaient maintenu à Vichy leur ambassadeur, l'amiral Leahy, étaient prêts à accepter le ralliement de la hiérarchie de l'« État français ». Sans De Gaulle, la Résistance intérieure n'aurait été ni plus, ni moins efficace, sauf peut-être contre les Français; le communisme eût été mieux contenu, alors qu'il le favorisa jusqu'à amnistier le déserteur Thorez, quitte à se présenter, deux ans plus tard, comme le seul rempart contre ceux qu'il appelait les « séparatistes ». Bref, sans De Gaulle, une seule chose eût été différente beaucoup moins de sang français eût été versé dans des discordes civiles, et une fracture durable ne se serait pas installée dans notre vie politique.
En effet, la vraie différence entre De Gaulle et Pétain, c'est que le second, comme Paul Valéry l'en félicitait, avait compris que « le feu tue » et qu'il fallait éviter de faire tuer des Français inconsidérément. C'est la clé de toute sa politique après avoir été celle de sa stratégie. Au contraire, la statue de De Gaulle, personnage inutile et personnage funeste, est cimentée du sang des Français, ceux qu'il a poussés à se faire tuer sans nécessité et ceux qu'il a fait tuer lui-même.
Cette vérité simple, Jean-Pierre Rioux, qui touche à la fois à la police de la pensée, par son rôle dans la presse, et, par l'inspection générale, à celle de l'enseignement, ne peut pas l'admettre. Elle finira tout de même par s'imposer, parce qu'elle ressort tout simplement des faits.
Marcel Signac Écrits de Paris N° 736 Novembre 2010
(1) Voir là-dessus La Bataille de Dakar, par le bon historien militaire Jacques Mordal (éditions Ozanne, 1956), un livre probe que personne n'oserait plus rééditer aujourd'hui mais disponible sur Internet à partir de 10 €.
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