Pourtant, on méconnut à Londres le succès d'Auchinleck. Churchill le contraignit à poursuivre l'attaque. "Auk" y perdit 86 chars "Valentine" sur 97. Il ne lui restait plus de réserves. Incapable de poursuivre sa contre-attaque, il dut s'arrêter Churchill ne le lui pardonna pas. Il le sacrifia aussitôt. Le 6 août, il le releva de son commandement et décida de faire subir le même sort à Ramsden, Corbett et Dorman Smith. Gott, excellent général et vieux routier du désert, fut désigné pour prendre le commandement de la VIIIe Armée. Il fut tué, le 7 août, son avion ayant été descendu par la Luftwaffe. C'est ainsi que Montgomery, servi par la chance, prit le commandement de la VIIIe Armée à sa place, alors que, le 8 août, le général Alexander (futur maréchal de Tunis) arrivait au Caire, pour assumer le commandement de tout le secteur du Moyen-Orient.
L'entrevue que "Monty" eut avec "Auk'' fut glaciale. Auchinleck accepta sa disgrâce avec dignité. "Monty" devait l'accuser ensuite, sur la foi, a-t-il dit, du témoignage de Guingand, d'avoir préparé la retraite sur le Nil, ce qui était faux. Puis, avec un incroyable aplomb, "Monty", nous conte M. Corelli Barnett, s'appropria les plans de "Auk". Une fois de plus il fut favorisé par la chance car Churchill réclamait toujours une contre-offensive immédiate qu'il était impossible de mener à bien avant l'arrivée des renforts. Mais heureusement pour "Monty", Alexander s'interposa et arracha à Churchill le délai refusé naguère à Auchinleck, ce qui donna le temps au nouveau chef de la VIIIe Armée de rassembler les énormes renforts en éléments cuirassés, artillerie et troupes qui lui parvenaient enfin par la route du Cap et la mer Rouge. C'est ainsi que "Monty" put enfin lancer à Alam Halfa du 31 août au 7 septembre 1942, l'offensive qu'avait précisément conçue "Auk" le vrai vainqueur « in absentia ».
Il devait lancer ensuite le 23 octobre la « seconde bataille d’El Alamein » dont il s'est si fort enorgueilli, bataille inutile et coûteuse (13 500 hommes et 600 chars perdus) commandée par des motifs politiques et des considérations de prestige et de propagande. Mais même si "Monty" n'eût pas livré et gagné cette seconde bataille d’El Alamein, Rommel aurait dû quitter l’Égypte avant un mois, et la Tunisie dans trois, parce que les Alliés déclenchaient précisément l'opération "Torch" et venaient de débarquer, le 13 novembre 1942, en Afrique du Nord. Pour échapper à la tenaille constituée par la Iere Armée et la VIIIe, l'Afrika Korps était donc contraint de battre en retraite vers la Tunisie. Or "Monty" connaissait l'imminence de "Torch". Il décida donc son offensive en calculant que, de toute façon, il était assuré de ne pas perdre la bataille. Mais il s'était déjà inspiré des plans d'Auchinleck, de Dorman Smith et de Ramsden à la bataille de Alam Halfa, livrée quinze jours à peine après le limogeage de "Auk"
Dans cette seconde bataille d'El Alamein, dont il tira tant de gloire, "Monty" avait bénéficié de tous les avantages refusés à son infortuné prédécesseur. Il avait reçu deux divisions cuirassées, équipées en chars "Sherman" et en "Grant", une centaine de canons de 105 m/m, une puissante artillerie antichars et deux divisions fraîches d'infanterie. Il avait 220 000 hommes à opposer aux 108 000 de Rommel (et sur ce total, celui-ci ne comptait que 54 000 Allemands). "Monty" disposait enfin d'un matériel bien supérieur à celui de l'adversaire (1 100 chars, y compris 480 chars lourds) et il put encore faire appel à 200 chars supplémentaires au cours de la bataille du 23 octobre. Rommel n'avait que 500 chars (200 allemands, 300 italiens, ceux-ci très inférieurs). Seuls les chars allemands "Mark III" et "Mark IV" étaient de taille à tenir tête aux "Sherman" et Rommel n'en avait que... 30. En outre, il ne disposait que de 300 avions alors que "Monty" en avait 800 sans compter une puissante artillerie et d'un millier de canons allemands (excellents d'ailleurs) de 88. Pourtant la « Panzer Armée » réussit ce fait d'armes de résister douze jours à un ennemi dont la puissance de feu et les effectifs étaient bien supérieurs et Rommel réussit à faire échapper son armée à la destruction qui semblait être inévitable. Quelques mois plus tard, à El Agheila, le 13 décembre 1942, Rommel se trouvait encore en mesure de résister avec succès alors qu'il ne lui restait que... 35 chars contre les 120 de son adversaire. Il dut pourtant reculer encore sur Buerat, le 13 janvier 1943. Mais la VIIIe Armée n'atteignit la ligne du Mareth que le 20 mars 1943, après la chute de Tripoli survenue le 23 janvier. Ainsi prit fin la guerre du Désert à laquelle devait succéder la campagne de Tunisie.
« La bataille d'El Alamein, déclara plus tard Montgomery, marqua le tournant décisif de la guerre », et même « un succès sans précédent dans l'histoire ». En réalité, ce fut le chant du cygne de l'armée anglaise. Les grandes décisions stratégiques lui échappèrent et passèrent ensuite aux Américains.
Rommel, homme de guerre génial, fut quant à lui secondé par des généraux de grande valeur, (Kesselring et Student, Fritz Bayerlin, Georg von Bismarck tué au combat Hildebrand von Hrnim, Gause, Neuman Silkow - tué le 7 décembre 1941 -, Klezmann, Krause, Hameke (le célèbre « papa Rameke » des "Paras"), von Randow, Rawenstein, von Thoma, von Melenthin, Walther Nehring le chef de. Panzer -, Seidermann, von Waldau, von Waest, von Wechmar, Bollowius, Weber, Westphal, Crûwell, Bottcer, Geissler, les colonels Craessemann, etc. Ces chefs intrépides ne succombèrent que sous le nombre, car, contrairement à la légende, ils n'avaient nullement l'avantage en chars, artillerie, aviation ou effectifs.
Les combattants allemands, qui avaient rendu hommage à Auchinleck, n'ont pas été moins généreux envers Montgomery. Le 11 septembre 1959, à Munster, eut lieu la réunion des anciens de l'Afrika Korps à laquelle avait été courtoisement invité le "brigadier" Carver, commandant du contingent anglais stationné dans la région. On applaudit chaleureusement la lettre adressée par un ancien de la VIIe Armée à ses ennemis de jadis. « J'ai perdu, écrivait le sergent Devlin, plusieurs de mes parents au cours des raids allemands sur Londres, mais en dépit de tout ceci, je ne garde nullement rancune à nos anciens adversaires. Mon vœu le plus cher est de pouvoir un jour venir me recueillir sur la tombe du maréchal Rommel et je serais heureux d'avoir pour ami un ancien de l'Afrika Korps. » Le général Siegfried Westphal, ancien chef d'état-major de Rommel, félicita le sergent de son esprit chevaleresque et rendit hommage aussi aux qualité militaires du maréchal Montgomery.
Parmi les combattants, la campagne d’Égypte et de Libye n'avait donc laissé aucun sentiment de rancune et de haine. Les survivants de la VIIIe Armée et de l'Afrika Korps s'estimaient les uns les autres. Suivant le mot d'un soldat allemand, adressé à Sir Brian Horrocks (lorsque celui-ci était prisonnier de guerre lors de son premier conflit mondial) : « Plus les gens sont loin du front et plus belliqueux et haineux ils deviennent. »
Frédéric Bartel Écrits de Paris N° 736 Novembre 2010
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