Le maréchal britannique Montgomery 1887 1976) s'est taillé une grande réputation non seulement par ses mérites qui lui valurent d'être fait vicomte of Alamein mais aussi par son sens aigu de la publicité. Ses thuriféraires et ses propres écrits lui ont accordé le crédit de la victoire d'El Alamein, faisant de lui l'irrésistible vainqueur du maréchal Rommel. Une légende écornée par l'historien anglais M. Correlli Barnett dans son livre Les généraux du désert qui nous conte les vicissitudes de la campagne d’Égypte et de Lybie, commencée le 9 décembre 1940 par une première offensive du général O'Connor, et qui aboutit, le 3 février 1943, à la prise de Tripoli par Montgomery, ce qui contraignit l'Afrika Korps à battre en retraite sur la Tunisie.
Le début de la guerre avait été marqué pour l'Angleterre par une série de défaites retentissantes : la retraite de Dunkerque, la perte de la Somalie britannique dans l'été 1940 avaient été suivies de désastres en Grèce et en Crète, en Extrême-Orient - en Malaisie, à Singapour où le général Percival capitula avec 100 000 hommes presque sans coup férir devant 35 000 Japonais -, en Birmanie, etc. L'armée anglaise était totalement impréparée, en Afrique comme en Europe ou ailleurs. M. Correlli Barnett rappelle ses insuffisances, le dédain de ses chefs pour la guerre de chars, la structure archaïque des unités régimentaires, nullement adaptées à la guerre de mouvement et aux vastes opérations de masses. Les généraux anglais, pour la plupart, étaient tout juste capables de commander de petites unités. Ils ignoraient l'interdépendance de l'artillerie, des unités cuirassées, de l'aviation. Ils ne surent d'abord qu'organiser des colonnes qui se faisaient bravement hacher par un ennemi plein de ressources. Cependant l'Angleterre eut la chance d'avoir, en Afrique, dans cette période catastrophique, deux remarquables soldats : Wawell et Auchinleck, son successeur, tous deux fort injustement décriés par la suite et tous deux victimes du ressentiment colérique de Churchill, obsédé par l'idée de jouer au petit soldat - ou plutôt au généralissime, ce qui, en maintes occasions, aboutit à des résultats désastreux.
Le général sir Archibald Wawell, qui avait remporté de très grands succès en Afrique orientale, n'avait à sa disposition que des troupes peu nombreuses et mal équipées. Pourtant avec le général O'Connor, autre très remarquable soldat, il réussit à s'emparer, en six mois, de la Libye, faisant 200 000 prisonniers aux Italiens et raflant une énorme quantité de matériel. Au début de décembre 1940, Wawell avait pris l'offensive contre Graziani et dégagé l’Égypte. Le 12 décembre, il reprenait Sidi Barrani, capturait 20 000 Italiens. Le 16, il s'emparait de Sollum et de Capuzzo. Le 4 janvier 1941, il prenait Bardia et y faisait 30 000 prisonniers. Le 22, il forçait Tobrouk à capituler puis s'emparait de Derna et de Benghazi.
C'est alors que Hitler envoya au secours des Italiens Rommel, soldat génial. Dès le mois de mars 1941 il déclencha une contre-offensive foudroyante qui lui permit de reconquérir la Cyrénaïque. En réalité, Wawell avait été frustré des fruits de sa victoire par les incohérences et les imprudences de Londres, imputables à Churchill, à Anthony Eden et à sir John Dill - le chef d'état-major impérial - qui s'étaient follement lancés dans une campagne de Grèce après avoir entraîné les malheureux Grecs dans une aventure où, finalement, ils furent abandonnés. Il fallut donc prélever des troupes sur les maigres effectifs de Wawell pour tenter une faible diversion en Grèce, puis en Crète - où elles furent taillées en pièces. La catastrophe grecque éclipsa la brillante victoire de Wawell et de O'Connor. Le maréchal Lord Alanbrooke s'était en vain opposé à une entreprise futile qui ne réussit ni à aider les Grecs, ni à sérieusement embarrasser les Allemands. « Je la considérais, dès le début, a-t-il dit, comme une erreur grave, car nous ne savions déjà où donner de la tête au Moyen-Orient et l'intervention en Grèce ne pouvait que provoquer une dangereuse dilution de nos forces. » Mais Churchill se refusa opiniâtrement à l'écouter : « Pour la première fois, il démontra que, s'il était un Churchill, il n'était pas un Marlborough », observe sarcastiquement Barnett.
Le 2 février 1941, Rommel débarquait en Afrique. Pendant plus de deux ans allait se dérouler une guerre courtoise, menée sans haine de part et d'autre par des professionnels qui avaient, pour l'ennemi, une estime réelle. Dans les deux camps, le soldat connaissait les mêmes épreuves physiques et morales, chantait le même air nostalgique de Lili Marlene. La campagne se déroula « comme un match de polo ». On traitait chevaleresquement : l'adversaire Rommel ne toléra jamais la Gestapo dans son armée, et traita toujours humainement ses prisonniers, fussent-ils membres des commandos juifs. Les généraux anglais invitaient à dîner les généraux allemands prisonniers (ce qui valut à Montgomery une semonce furieuse de Churchill lorsqu'il convia von Thoma - vingt blessures, les plus hautes décorations allemandes - et lui serra la main après qu'il fut tombé dans une embuscade le 4 novembre à El Daba). Les « soldats du désert » gardèrent toujours un esprit de corps remarquable qui se traduisit par des affectations vestimentaires (souliers de daim, écharpe de soie, pantalons de velours kaki, etc. qui les différenciaient des unités métropolitaines. « Historiquement, remarque Barnett, la campagne du désert continua le dernier acte militaire de l'empire britannique en tant que grande puissance indépendante et unifiée. Elle résume ironiquement le suicide de la vieille Europe. Aujourd'hui, ni Allemands, ni Italiens, ni Anglais ne contrôlent plus le Moyen-Orient pour lequel ils luttaient si âprement. Dans cette aventure épique, les hommes de dix nations recherchèrent la victoire parmi le tumulte d'une guerre mécanisée telle qu'on n'en avait jamais vu et que l'on n'en verra probablement jamais de semblable. »
À suivre
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