« Les Justes meurent comme des chiens, les crapules ont leur chance. C'est un monde totalitaire déserté par toute transcendance. Le Mal n'y est pas un scandale mais la règle commune. » (Commandant Hélie Denoix de Saint Marc, officier putschiste du 1er REP).
Le 21 avril 1961, il y a tout juste un demi-siècle, éclatait à Alger ce que l'on a appelé le « putsch des généraux » (Salan, Challe, Jouhaud et Zeller), auxquels se ralliaient plusieurs régiments dont le célèbre 1er REP - légionnaires parachutistes - et le 18e RCP chasseurs parachutistes commandé par le colonel Georges Masselot. Mal préparé et mal compris d'une opinion métropolitaine lobotomisée par la propagande gaulliste, ce sursaut qui, circonstance à souligner, ne fit aucune victime échoua faute de soutiens mais, sur place, il devait donner un grand élan à la résistance à l'abandon de l'Algérie, symbolisée par l'Organisation Armée secrète ou OAS.
Dès lors, la lutte contre l'OAS s'intensifiant et se confondant désormais avec celle contre la population européenne tout entière, le gouvernement gaulliste décida, à l'appui d'innombrables escadrons de gendarmerie mobile (gendarmerie rouge) et de Compagnies Républicaines de Sécurité, d'envoyer en Algérie une nouvelle race de "policiers".
Leur mission était claire : noyauter l'Organisation afin d'obtenir les renseignements indispensables qui mèneraient à l'arrestation des cadres du mouvement "subversif".
Ces nouveaux policiers avaient rejoint en novembre 1961 les rangs du « Mouvement pour la Communauté » (MPC) qui deviendra, pour les besoins de la cause, « Mouvement pour la Coopération », organisme de lutte anti-OAS. Pour eux, « l'Algérie française » n'existait plus depuis que s'étaient ouverts les pourparlers de Melun (25/29 juin 1960) dont il importait désormais qu'ils débouchassent rapidement sur un "cessez-le-feu" puis sur une indépendance inéluctable.
De Gaulle avait nommé le sinistre Jean Morin à la Délégation Générale et confié le commandement des troupes à Alger, à Oran et à Constantine à « ses hommes à lui » Ces généraux d'opérette, s'ils n'étaient point brillants sur le plan professionnel, avaient l'avantage d'être sûrs. Une étoile supplémentaire avait converti Massu à la discipline et une brillante promotion l'attendait en Allemagne.
À Alger, le colonel Debrosse, responsable du maintien de l'ordre, faisait merveille. Acharné à réduire, « par tous les moyens » la résistance des Européens, il s'était spécialisé dans la torture contre les membres de l'OAS et n'hésitait pas à participer en personne aux interrogatoires et aux sévices en tous genres, y compris sur les femmes. Dans cette entreprise de destruction des volontés et des corps, il était secondé admirablement, par son acolyte, le commandant Laporte, ainsi que par quelques civils sans scrupules, alléchés par les primes et le « profil de carrière sécurisant » que leur avait assuré le chef de l'Etat.
Le président du MPC s'appelait Jacques Dauer; la délégation d'Alger était présidée par Yves Le Tac (qui échappera à trois attentats de l'OAS), secondé par un secrétaire général actif, Lucien Bitterlin. D'autres responsables avaient pour nom : Jacques Foccart, André Goulay… et le ministre (de l'Intérieur) Roger Frey, en personne.
Dauer, aux ordres directs du ministre des Affaires algériennes, Louis Joxe, avait toute latitude pour organiser, sur place, une « troisième force » pro-française, dont le but était de promouvoir, après l'indépendance, une coopération franco-musulmane. À cette fin, d'importants fonds, directement versés par la Délégation Générale, lui étaient alloués.
Pour obtenir cette « troisième force », il fallait créer dans les grandes villes d'Algérie un sentiment de peur et d'extrême confusion au sein de la population européenne en fomentant des attentats contre les intérêts français, les biens et les personnes et en attribuant à la seule OAS la responsabilité de ces actes terroristes. Le but avoué détourner la masse des "criminels" de l'OAS.
Cependant,- ces opérations notamment les plastiquages - devant se dérouler de nuit et l'instauration du couvre-feu de minuit à cinq heures du matin ne permettant pas de se déplacer sans risque dans les villes, armes et laissez-passer mentionnant de fausses identités allaient être fournies par la Sécurité militaire. Les "barbouzes" étaient nées.
Sans mandat officiel, et recrutés dans les milieux les plus divers, c'étaient pour la plupart un ramassis de repris de justice, d'hommes de main en chômage, de Vietnamiens réfugiés en France depuis la perte de l'Indochine mais non insérés, de marginaux et de truands comme Jean Auge et le proxénète Georges Boucheseiche, ancien de la Gestapo française. Tous ces gens avaient été attirés par des primes alléchantes, confortés de surcroît dans cette mission par le sentiment de puissance et d'invulnérabilité que cette « marginalité républicaine » leur conférait. Comme l'avait indiqué France-Soir le 30 novembre 1961, ils avaient reçu « carte blanche pour liquider l'OAS ». C'était des gens « décidés à en découdre », capables de résister aux coups de l'OAS mais aussi de lui livrer bataille par les armes et, surtout, par la récolte de renseignements qui étaient, soit immédiatement exploités, soit transmis à la Sécurité militaire…
D'autres chefs viendront renforcer, sur place, les effectifs l'avocat Pierre Lemarchand (au cabinet duquel un petit-fils de De Gaulle devait ensuite faire son stage d'avocat) et l'écrivain Dominique Ponchardier, le père du "Gorille" ainsi qu'une bande de truands auxquels on donnera une carte du SAC (Service d'Action Civique).
Dans France-Soir du 2 décembre 1961, sous le titre « Les "barbouzes" arrivent », Lucien Bodard définissait leur mission :
« Très prochainement, les autorités vont employer les principes de la guerre secrète contre l'organisation de l'Armée Secrète (OAS)... L'objectif c'est de décapiter l'OAS en arrivant à détecter et à capturer les 10 hommes qui, à eux seuls, l'ont crée et l'animent. En réalité, les événements de ces derniers mois ont prouvé que le gouvernement était trahi dès qu'il voulait faire procéder à l'arrestation des chefs de l'OAS en se servant des moyens normaux… Cette force de choc sera indépendante. Les nouvelles formations anti-OAS ne feront partie d'aucune hiérarchie classique. Ce seront des organismes autonomes, sans sujétion à l'égard des autorités normales, agissant par leurs propres moyens et ne dépendant que des instances les plus hautes. Ils agissent largement en dehors de l'armée et de la police.
Avant tout, cette nouvelle force sera secrète. Un secret absolu couvrira les activités et surtout l'identité des membres des formations anti-OAS. Cette force appliquera les méthodes des commandos et de la guerre secrète. Il s'agira non seulement pour elle d'avoir des « tuyaux » mais de les exploiter immédiatement et de façon décisive. Tout se passera sans papiers, sans rien. Les transmissions et les communications seront réduites au minimum, de façon à ne pas donner l'alerte. »
Cet article, qui souleva l'indignation et l'inquiétude de la population européenne d'Algérie, sous-entendait, en réalité, qu'il ne s'agissait pas, là, des barbouzes déjà en place - et que les commandos Delta du lieutenant Roger Degueldre, à Alger, traquaient sans répit -, mais d'une nouvelle vague bien plus redoutable la « force C », préparée en grand secret par Michel Hacq, directeur de la Police Judiciaire au ministère de l'Intérieur. Assimilés aux barbouzes en raison de leur objectif et de leurs méthodes, c'étaient des fonctionnaires (200 commissaires et officiers de police soigneusement choisis) agissant en secret mais dans la légalité, exactement comme ceux de la Sécurité militaire. Quatre mois plus tard, ils devaient "décapiter" l'OAS.
Ces hommes étaient chargés de faire du contre-terrorisme, c'est-à-dire des plastiquages, de réaliser des interrogatoires musclés, au cours desquels la torture sera utilisée sans modération contre les Français d'Algérie soupçonnés d'appartenance à l'Organisation, et de transmettre les renseignements recueillis par le FLN (désormais devenu allié) sur l'OAS.
Tout sentiment de clémence et de pitié leur était étranger, et ils n'étaient sensibles qu'à l'intensité des sévices de toutes sortes, exercice dans lequel ils excellaient, et de la torture, celle qui faisait vibrer les nerfs les plus éloignés, qui enserrait dans son réseau toutes les régions du corps, qui se perpétuait, enfin, régulière et égale, avec une sensation d'éternité comme celle qui dût accabler les damnés précipités dans les flammes sans fin.
Dès lors la répression s'abattit sur les Français d'Algérie, déclenchant indignation, colère, terreur même… Coupables, suspects et innocents étaient soumis aux mêmes interrogatoires, aux mêmes sévices…
Les fiches médicales que les médecins établissaient auprès des victimes - quand ils réussissaient à les approcher ! - signalaient à peu près toutes ceci : « État absolument catastrophique et impressionnant ! Couvert de plaies, traces rouges aux poignets, ongles boursouflés, brûlures électriques. Le sujet est très "asthénie", marche difficilement, présente des troubles auditifs et urine du sang. Il est constaté chez lui des plaies rectales qui n'ont ni le siège, ni l'aspect de fissures spontanées. »
Les tortures n'épargneront ni les adolescents, ni les femmes, telle Mme Salasc. Cette mère de cinq enfants, femme d'un chirurgien estimé, fut arrêtée (et sa mère avec elle) dans la nuit du 8 au 9 septembre 1961 sous prétexte d'avoir hébergé des membres de l'OAS dont le colonel Godard. Des sévices affreux furent pratiqués sur elle par les sbires du colonel Debrosse. Face au "sanguinaire" en personne (c'est ainsi que les algérois avaient surnommé Debrosse), elle fit preuve d'un digne courage, soutenant son regard de fauve et ne livra pas son secret.
Pour limiter l'effet du scandale, Mme Salasc fut transportée à la clinique Lavernhe afin d’y recevoir des soins appropriés à l'état où elle avait été mise, tout en restant sous surveillance policière. Debrosse se livra alors à un chantage : l'affaire serait classée sans suite, si le professeur Salasc acceptait de signer un certificat médical attestant « d'une affection chronique » pour justifier le séjour en clinique, et s'il ne portait pas plainte. Le Professeur refusa. Rentré en France, Debrosse obtint aussitôt ses étoiles de général. Tout comme son compère Katz, surnommé « le boucher d'Oran », promu général d'Armée (5 étoiles). De Gaulle savait payer ses séides…
« Il y a des hontes à côté desquelles mourir n'est rien ». L'OAS ne pouvait demeurer inerte face à ces atrocités. C'est ainsi que le 29 janvier 1962, une bombe de très forte puissance, particulièrement soignée par le Roger Degueldre, explosa dans la villa "Andréa" qui abritait l'équipe d'Alcheik, la plus dangereuse avec ses Vietnamiens, en tuant dix-neuf et provoquant le rapatriement des survivants en métropole.
La presse progressiste et de nombreuses organisations "humanitaires" s'étaient élevées, en France, contre les interrogatoires pratiqués en Algérie par l'armée sur les terroristes du FLN. Elles avaient alors obtenu la création d'une commission de sauvegarde et un droit d'enquête à leur sujet. Dès lors, le FLN était devenu la victime et les parachutistes, les assassins… ! Par contre, elles s'étaient généralement abstenues de critiquer ou de révéler au public les affreuses tortures pratiquées sur une vaste échelle par le FLN, tant sur les Européens que sur la population musulmane pour la soumettre à sa volonté.
Aujourd'hui, elle demeurait muette sur les tortures infligées par une certaine police contre les membres et les sympathisants de l'OAS qui se battaient uniquement pour demeurer Français sur une terre française. Où étaient les articles tonitruants de l'Humanité, La Croix, Témoignage Chrétien, l'Express, Le Monde... qui s'étaient découverts des dons de « défenseurs de la morale » ?
Que faisait Jules Roy, lui qui fut l'un des plus virulents prescripteurs des méthodes employées par l'armée contre les « pauvres petits fellagha » ? Il ne s'agissait pourtant pas d'égorgeurs, d'écorcheurs et de violeurs d'enfants qui se trouvaient en ce moment entre les mains des bourreaux, mais de ses compatriotes, d'hommes de sa race, qui avaient, eux, le tort de trop aimer leur pays !
Aucune voix, alors ne s'était élevée pour demander à nouveau la création d'une commission de sauvegarde et un droit d'enquête. Leur silence ne fut, en fait, qu'une vile approbation.
José CASTANO. Écrits de Paris N° 741 Avril 2011
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