André Posokhow
Dans le cadre des émissions « De Gaulle premières batailles », il a été possible, le 25 mai 2020, de regarder sur LCP un documentaire d’une heure sur les batailles de Montcornet et Abbeville auxquelles a participé le colonel De Gaulle à la fin du mois de mai 1940.
Ces deux engagements ont déjà été abordés dans un article pour Synthèse nationale. Il est juste de souligner le grand talent de Serge Tignères pour détailler les affrontements et pour faire revivre les combats d’il y a 40 ans dans les paysages d’aujourd’hui.
Les interventions d’historiens de haut niveau, aussi bien au cours du documentaire que pendant le débat de 40 minutes qui a suivi, ont évité bien des pièges de l’historiquement correct. Malheureusement ce n’a pas toujours été le cas de certains des propos tenus par la voix off tout au long du documentaire.
Il est vrai que des milliers de Français ont répondu à l’appel du 18 juin 1940 et rejoint les rangs de la France libre et de la Résistance pour combattre et, pour beaucoup, sacrifier leur vie.
Mais ce ne sont pas les cohortes de la France libre qui ont permis de reconstituer « la puissance militaire » de la France. Cela a été l’œuvre, à partir de l’Armée d’Afrique, du général Weygand, puis des généraux Juin et Giraud. Lorsque De Gaulle a pris le pouvoir en Afrique du Nord en 1943, il a trouvé un instrument de combat déjà constitué à partir de peu de choses et qui avait combattu vaillamment en Tunisie.
Le livre de De Gaulle Vers l’armée de métier est évoqué et à juste titre, car l’auteur a été un grand lanceur d’alerte par ambition mais aussi au risque de sa carrière. Trois points peuvent retenir l’attention :
- non la ligne Maginot n’a pas été inutile, ce qu’a confirmé l’historienne Alya Aglan pendant le débat. Mais les erreurs stratégiques de Gamelin ont fait obstacle à l’économie de forces que cette fortification aurait dû permettre au profit du front belge.
- le titre Vers l’armée de métier a été une grave erreur. Il a braqué toute la gauche parlementaire contre les audacieuses propositions gaulliennes. "Pas d’armée de prétoriens !", clamaient ces ânes, Blum en tête !
- oui, De Gaulle a eu du mérite, mais le livre de Gudérian Achtung panzer est beaucoup plus précis, technique et documenté. Et les véritables précurseurs de l’arme blindée ont été des Britanniques dans les années 20 : Fuller et Lidell Hart.
- enfin, contrairement à ce que semble évoquer la commentatrice, la grande lacune de l’auteur a été celle de la coopération du fameux binôme char-avion qui nous a fait tant de mal en 1940. De Gaulle a ignoré le rôle de l’aviation d’assaut, pourtant décisif en 1918.
Le commentaire semble opposer un officier : De Gaulle, tourné vers la guerre moderne de mouvement à une vieille caste militaire fossilisée préoccupée par la seule défensive et incarnée par le général Maxime Weygand. Même si le haut commandement a été effectivement responsable d’une terrible faillite, cette présentation apparait biaisée :
- sans même évoquer le pionnier que fut le général Estienne, d’autres noms apparaissent dans notre histoire militaire : les généraux Doumenc et Héring, les colonels Velpry et Keller ont proposé la création de grandes unités mécaniques. Même Gamelin a réclamé la constitution d’unités cuirassées en 1938-39. La controverse a fait rage ;
- c’est en catimini que le général Weygand qui lança la motorisation de l’armée en 1930, a créé la première des trois Divisions Légères Mécaniques qui fut prête en 1935 ;
- jusqu’en 1939 le pouvoir politique de gauche s’est opposé par sectarisme idéologique à cet effort que réclamaient nombre de militaires. C’est pourquoi les premières divisions cuirassées n’ont été mises sur pied de manière inachevée qu’au début de 1940, bien trop tardivement ;
Maxime Weygand a accepté avec une abnégation totale, de remplacer Gamelin. Il n’a pas seulement voulu sauver l’honneur comme le dit un commentaire, il a insufflé une énergie incroyable à une armée dévastée pour résister au début de juin 1940 à l’assaut allemand à un contre trois après la désertion anglaise.
Une fois le front enfoncé et la défaite consommée, ce que, dans le documentaire, on appelle son défaitisme, était en réalité de la lucidité, vertu qui a tragiquement manqué à nombre de politiques dont Paul Raynaud.
S’il a insisté pour envisager un armistice ce n’est seulement pour sauvegarder l’armée, c’est pour éviter une capitulation interdite par la Loi et désastreuse pour la France qu’a semblé envisager avec bienveillance l’historien Robert Franck. Il l’a fait pour sauver l’essentiel : un territoire, l’Empire et la Marine et pour donner à la France du temps et de l’espace.
Au cours du débat les deux historiens ont réfuté dédaigneusement les responsabilités du Front populaire dans le désastre. Il est vrai qu’à la fin de 1936 ce gouvernement à lancé un effort budgétaire considérable en faveur du réarmement. En réalité, du fait de l’inflation, des 40 heures, de l’inorganisation industrielle et par manque de volonté, le réarmement effectif n’a réellement démarré qu’au second semestre 1938 c’est à dire trop tard.
Robert Franck a évoqué le titre du livre de Marc Bloch « L’étrange défaite ». Comme l’a écrit le grand historien Georges-Henri Soutou « La défaite de mai-juin 1940 n’a rien d’étrange ». La France a simplement payé l’addition de toutes les erreurs intellectuelles, politiques, budgétaires, diplomatiques et stratégiques accumulées depuis la victoire de 1918.
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