Un siècle s'est quasiment écoulé depuis la vive polémique provoquée par les découvertes archéologiques de Glozel. Cette « affaire Dreyfus de l'archéologie » agite toujours autant les passions des pros et des anti-Glozel, quand elle n'est pas tout simplement ignorée volontairement par peur des réactions hostiles. Retour sur une histoire ou l'Histoire avec un grand « H » fut chahutée.
Tout commence en 1924. Encastré sur les hauteurs méridionales de la montagne Bourbonnaise, dans le département de l'Allier, Glozel, petit hameau discret, est le lieu de vie de la famille Fradin. Le 1er mars 1924, Claude, le grand-père, et son petit-fils Emile défrichent une partie de leur champ quand tout à coup l'une des vaches de l'attelage s'enfonce dans un trou. En extirpant l'animal, les deux hommes ont la surprise de découvrir une fosse ovale de 2m 8o sur 1m aux parois cuites et recelant de nombreux objets : des tablettes comportant une écriture mystérieuse, des « idoles bisexuées », des vases ornés de visages dépourvus de bouches ainsi que quelques ossements humains. La nouvelle de cette fabuleuse découverte commence à se répandre dans les environs et l'institutrice de la commune voisine organise une visite avec ses élèves. Cette dernière prévient l'académie de l'Allier, puis divers personnages appartenant, pour la plupart, à la Société d'Emulation du Bourbonnais, viennent sur les lieux et rapportent des échantillons pour analyse, parfois sans les retourner à leur propriétaire !
Contre toute attente ladite société finit par refuser une subvention de 50 francs pour la poursuite des fouilles, condamnant la découverte des Fradin à l'oubli. Par chance, Antonin Morlet, docteur vichyssois et surtout archéologue amateur, apprend l'existence des trouvailles de Glozel. Il contacte donc la famille Fradin et leur propose de louer leur champ pour une période de neuf ans afin d'effectuer des fouilles, requête acceptée par ces derniers.
Fouilles, prises de positions et polémiques.
Le travail du docteur Morlet finit par récolter ses fruits. De nombreux objets sont exhumés et viennent étoffer de façon conséquente le mobilier glozélien. Parmi ceux-ci, on compte environ 150 tablettes sur lesquelles apparaît la fameuse « écriture de Glozel ». La communauté archéologique s'intéresse de plus en plus près aux découvertes effectuées au « champs des morts ». Au début, la majorité des scientifiques de l'époque ne remet pas en doute l'authenticité du site. Pourtant en 1925, Antonin Morlet va jeter un pavé dans la mare en affirmant, dans un fascicule cosigné avec Emile Fradin, que le mobilier glozélien daterait de la fin du paléolithique ou du début du néolithique. En d'autres termes « en reprenant la théorie du mirage oriental [...] Morlet abondait ainsi dans le sens de toute une école de chercheurs qui remettaient en question l'apport culturel de l'Orient » (1) ce qui, de facto, voudrait dire que l'écriture serait née en Europe ! Un an auparavant, René Dussaud, adjoint au conservateur des Antiquités orientales du Louvre, publiait justement un mémoire dans lequel il affirmait que l'écriture avait été inventée par les Phéniciens. Il deviendra un des plus farouches anti-glozéliens, accusant Claude et surtout Emile Fradin d'être des faussaires. Nombreux sont ceux qui crient à la supercherie. Mais de nombreux scientifiques de renom croient en l'authenticité de Glozel. Deux camps s'affrontent à travers des articles enflammés à tel point que l'on parlera d'affaire Dreyfus de l'archéologie ! En 1927 une commission internationale est chargée d'authentifier le site... En seulement trois jours (!), elle conclue à « la non-ancienneté de l'ensemble des documents qu'elle a pu étudier à Glozel ». Emile Fradin, quant à lui, expose depuis 1926 dans un petit musée ses fameuses trouvailles. L'entrée y est de 4 francs. Le 24 février 1928, le président de la Société Préhistorique de France, Félix Régnault, visite le site et son musée. Il porte plainte contre X pour escroquerie. C'est évidemment Emile Fradin qui est visé. Le lendemain, la police débarque, accompagnée du plaignant, à la ferme familiale pour une perquisition pour le moins mouvementée. Cette manipulation judiciaire permet surtout de reporter le procès que Fradin avait intenté contre René Dussaud suite à ses accusations de fraude. La même année, Antonin Morlet met sur pied un comité d'étude international qui conclue à l'authenticité du mobilier, datant celui-ci du néolithique. Finalement en 1941 la loi Carcopino soumet les fouilles archéologiques à l'autorisation du ministère de la Culture. Glozel restera dans l'ombre jusqu'en 1983 où de nouvelles fouilles sont effectuées.
Épilogue
Obtenir des réponses définitives concernant les découvertes de Glozel revient à vouloir compléter un puzzle avec des pièces manquantes ou/et avec les mauvaises pièces. Alice Gérard, auteur d'une étude sérieuse sur le sujet(2) dénonce « les insuffisances de la brève étude de 1983, autorisée par le ministre de la Culture, et le manque de publication d'un rapport complet et final (après douze ans), n'inspiraient aucune confiance dans les résultats »(3).
Néanmoins celle-ci affirme que « le temps a prouvé que Morlet était dans l'erreur à propos de l'ancienneté de Glozel ». En effet au regard des datations les plus récentes dont nous disposons, le mobilier glozélien correspondrait soit à la période celtique soit à une période allant de 400 après J.-C. au XVe siècle. L'authenticité du site serait donc confirmée, bien que « des rapports contemporains signalent que des étudiants de la section Arts de l'université de Clermont-Ferrand ont essayé d'introduire, apparemment avec succès, de faux objets sur le site »(4).
Bref, faire le tour de la question en un article est compliqué, voire impossible. Nous invitons donc le lecteur intéressé à se documenter sur l'affaire, et qui sait, pourquoi pas, contribuer d'une manière ou d'une autre, à ce que la vérité resurgisse du fond des âges.
1) Kaddath, L'Affaire de Glozel (Copernic, 1978), p.115
2) Alice Gérard, Glozel, les os de la discorde (Le Temps Présent, 2013)
3) Ibid, p.371
4) Ibid, p.376
Thierry Durolle Réfléchir&Agir
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