mardi 12 mai 2020

Comment en est-on arrivé là ? (Partie 1), par Frederic Poretti-Winkler.

En relisant Marie Madeleine Martin...
« Toutes les révolutions ont été faites par des livres » Bonald

On ne peut distinguer le social du politique. C’est une grave erreur (XVIIIe siècle) et une utopie d’imaginer une distinction entre les deux. De tous temps il y eut des idées « subversives » voir destructrices, nommées idées nouvelles. Nous voulons dire des idées qui, selon l’étude attentive du passé, bref l’empirisme, entraînent les sociétés vers le chaos et finalement l’abime…Ces idées sont souvent sortis d’esprits tourmentés et chimériques, essayant d’imposer leurs idées, souvent égoïstes et mues par des cerveaux dérangés, à une société, qui selon eux, devrait être construite à leur image…En général et l’histoire, le montre continuellement, les utopies finissent vite dans le chaos, le sang et les charniers.

Certaines sociétés arrivent mieux à endiguer de tels déviances mais d’autres, plus fragiles, y succombent. Les arguments de ces fauteurs de trouble sont souvent les mêmes : « progrès, liberté, égalité, modernisme, vertu » Lorsque ceux-ci arrivent au pouvoir, les belles idées sont vite oubliés pour que les vainqueurs se servent. Ces expériences amènent régression, guerres (civiles ou extérieures) et massacres. Une caste plus « égalitaire » que les autres, devient privilégiée et entraînera dans ses chimères le peuple vers le néant…

Il n’y a pas d’idée nouvelle qui n’est déjà été pensé par les antiques grecs. La monarchie lutta sans cesse contre la subversion, guerre de religions, Renaissance et libre examen. Sous Louis XIV, Bayle préparait déjà la venue de Rousseau et Voltaire. Dans les temps médiévaux, les hommes d’Eglise pouvaient critiquer le monarque en secret ou ouvertement quelquefois, mais cela restait local et ne portait pas à conséquence. Lors des rencontres entre peuple et roi, certains n’hésitaient pas à faire des remarques au souverain. Cela faisait partie de la vie dans l’ancienne France, même si quelquefois, l’esprit « frondeur » du peuple choquait les visiteurs étrangers. Lors des repas royaux, où le peuple était convié, on parlait ouvertement au roi et certaines anecdotes sont restées… La société de l’époque, organisations de village, communautés de métier, etc… étaient fortes, structurées et représentées dans des conseils. Les parlements refusaient ouvertement certains Edits du roi et c’était comme cela, même sous Louis XIV… Louis XV doit affronter une nouvelle force : « l’opinion publique »
Bien que les pamphlets existaient avant, ils n’avaient pas la même audience : « Jamais il n’avait existé, comme au XVIIIe siècle, une organisation puissante, ramifiée à l’infini, reliant tous les manieurs de plume d’un bout à l’autre du territoire et couvrant la France d’un réseau serré, propre à fortifier partout l’union des principes pour une œuvre commune. L’action des intellectuels devint alors une véritable machine de guerre… » (M.M.Martin) En 1789, la France est monarchiste. L’opinion sera orientée par l’Education Nationale, Préfets, Préfectures et les puissances d’argent qui détiendront les journaux au XIXe siècle. Tout cela dans le but de changer l’esprit français. « Ce qui avait été, au temps de Voltaire, le triomphe de l’esprit dénigrant et ironique, attaquant néanmoins toujours sur le terrain des idées, devient désormais une organisation mécanique et froidement calculée pour servir des intérêts. »
Pierre de la Gorce rajoutait : « La vraie puissance ne réside alors ni aux Tuileries, ni au Luxembourg, ni au Palais-Bourbon ; elle n’appartient ni à l’armée, ni aux fonctionnaires, ni aux nobles, ni aux bourgeois, ni au menu peuple. Dans le corps social, un seul organe, le journalisme, l’a accaparée toute entière » Ce qui sous la plume d’Henri Heine (vers 1835) donnait : « L’argent est le dieu de l’époque et Rotschild est son prophète » et Sainte-Beuve « Toujours et au fond de tout, l’argent, le dieu caché, Crésus ». C’est ainsi que l’édifice monarchique multiséculaire tomba malgré un peuple profondément royaliste…
« Il est frappant que, pendant plusieurs siècles, les doctrines subversives s’étaient heurtées chez nous à la monumentale solidité de la société de l’Ancien Régime, avec ses familles centrées sur la maison, bien quasi immortel dominant les passions fluctuantes des individus ; avec ses professions organisées à partir de la notion d’intérêt commun entre employeurs et employés, du respect, aussi, d’idéal professionnel transcendant la notion de bas profit ; avec son organisation poli¬tique, héritière à la fois de Rome, gardienne du Droit, et de la chevalerie médiévale exaltant les notions de service et de fidélité... ».

Marie Madeleine rajoute plus loin : « Après 1789, la société se désagrège, de façon très peu apparente d’abord, puis à partir de 1860 de manière frappante... Les doctrines ne se heurteront donc plus au rempart d’un ordre quasi intangible, mais viendront accélérer une anarchie qui aboutira à la véritable dissolution étalée aujourd’hui sous nos yeux. » La monarchie fut toujours contre le pouvoir des féodalités. Même si l’argent représentait un pouvoir, il n’était pas le seul. Alors qu’il détiendra l’entier pouvoir et deviendra roi avec la Révolution et la République. « Le processus de cette dissolution aura été de pair avec l’influence de plus en plus importante de la bourgeoisie d’affaires, grande triomphatrice de 1789, à la fois contre le pouvoir royal, contre la noblesse terrienne et contre le peuple lui-même. Au lendemain de la Grande Révolution, seule une certaine partie de la classe bourgeoise vit restaurer et même accroître ses privilèges : la noblesse et le clergé avaient perdu les leurs ; le peuple était blessé à mort par la suppression des corporations et des autonomies locales ou provinciales. La haute bourgeoisie, au contraire, a conquis en 1789 cette place qu’elle avait cherché pendant si longtemps à arracher aux autres privilégiés ; de plus, elle a institué dans les assemblées révolutionnaires, un système électoral donnant prépondérance au pouvoir de l’argent (elle affirmera ce système, dans toutes les Assemblées de la Restauration, où le suffrage censitaire consacrera la suprématie des détenteurs de biens). Grisée par son pouvoir grandissant, la bourgeoisie d’argent voit bientôt dans la monarchie le seul ennemi qui défende l’intérêt général contre ses intérêts particuliers ; les débuts du XIXe siècle sont remplis par ce conflit entre le monde de la finance et une autorité royale héroïquement accrochée pour la dernière fois à la grande tâche capétienne : la défense de la nation contre les excès des féodalités. »

Ce nouveau pouvoir allait changer peu à peu les mentalités, la bourgeoisie venait de triompher du roi et du peuple : « La question d’argent était devenue la préoccupation dominante d’une société transformée. L’accès aux affaires de la bourgeoisie, gestionnaire d’intérêts matériels, avait amené ce changement. Les questions de finance et leur importance avaient pénétré dans l’esprit d’un public beaucoup plus vaste. La notion de l’argent et de son pouvoir dans l’Etat, les facilités ou les obstacles qu’il pouvait rencontrer, selon la forme et l’esprit d’un régime, étaient des notions toutes nouvelles mais qui retenaient déjà l’attention de certains milieux » ( Marcel Chaminade).

Marie Madeleine Martin parlant d’Emmanuel Beau de Loménie rajoute : « Ce fait est la persistance du pouvoir de certaines familles, à travers toutes les révolutions et changements de régime, au cours des XIXe et XXe siècle. En consultant les annuaires et almanachs où figurent les noms, les titres et les emplois des fonctionnaires publics ainsi que les membres des corps constitués…Certaines familles de la haute bourgeoisie ont maintenu leur pouvoir à travers tous les régimes. Or, ce pouvoir, né au cours de la Grande Révolution, est le plus éclatant démenti que l’on puisse donner aux historiens qui datent de 1789 la fin du règne des privilégiés. En réalité jamais la monarchie capétienne française, au cours des dix siècles de son histoire, n’avait connu une semblable persistance d’un pouvoir dynastique des Grands maintenu à ses côtés avec un tel succès » Un partie de la noblesse se pervertira et la Gauche dénoncera dans les années 30, les « 200 familles » : « Et c’est l’argent, prenant une place primordiale dans la vie du pays, qui va pervertir une partie de l’aristocratie, après avoir fait, de la haute bourgeoisie d’Ancien Régime, une caste plus implacable que celle des tyrans de la société antique : c’est l’argent qui enfin, un jour, arrachera le peuple lui-même à ses traditions séculaires de respect du travail et de l’économie, à sa désinvolture moqueuse, à son mépris joyeux envers les forces matérielles, pour faire naître un troupeau sans réaction devant la mainmise de l’Etat parce qu’il aura été préalablement annihilé par le goût du confort. ». Charles Péguy qu’il faut aussi citer : « Tout le monde devient bourgeois : les seigneurs sont devenus bourgeois, le peuple est en train de devenir bourgeois ». Honoré de Balzac sera d’ailleurs aussi clairvoyant…

« C’est pourquoi, lorsque les premiers textes des socialistes et surtout ceux de Karl Marx verront le jour, au milieu du XIXe siècle ils présenteront une justesse certaine dans leur partie critique : en dénonçant le Capital comme le grand responsable des maux de l’époque, Marx ne commet pas une erreur, puisqu’on ne peut nier l’influence néfaste de l’argent en son temps. Les thèses socialistes s’avéreront fausses seulement parce qu’elles ne distingueront pas une société bouleversée jusqu’en ses bases par le libéralisme du XVIIIe siècle, et la société normale, telle qu’elle existait par exemple en France pendant des centaines d’années et dans laquelle les féodaux de l’argent étaient solidement maintenus en place par un Etat indépendant, au même titre que les féodaux du sang. Dans cette société ancienne, le capital familial, transmissible, avec ses accompagnements de responsabilité et de service rendu, de travail et d’effort, n’était pas un dissolvant, mais bien au contraire un élément vital de la nation. »

Le règne de l’argent installera de nouveaux privilégiés comme les fonctionnaires, que l’histoire avait déjà connu dans la Rome déclinante. Parmi ceux-ci les Universitaires : « entièrement reliés au régime par le monopole établi sous le Premier Empire, constituant une véritable Eglise dont l’influence sur le peuple français se développera avec les progrès de la République, aura fourni au triomphe de certaines doctrines un corps dévoué, parfois inconscient du rôle néfaste qu’il joue, fermé à la critique des idées générales par la spécialisation outrancière de l’enseignement officiel, mais disposé ainsi à servir les doctrines de l’Etat avec une obéissance dont les ecclésiastiques de l’Ancien Régime auraient pu railler le caractère absolu ! »
Frederic PORETTI-Winkler (Histoire Social, à suivre)

http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2020/05/12/comment-en-est-on-arrive-la-par-frederic-poretti-winkler-6237488.html

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