L'immense patrimoine imaginaire de John Ronald Reuel Tolkien n'avait pas encore été totalement exploré. En février a paru l'édition française de The Children of Húrin sous le titre Les Enfants de Húrin. Dû au travail de Christopher Tolkien, le fils de l'auteur, aidé lui-même de son fils Adam Tolkien, cet ultime volume parvient à faire du neuf avec du vieux. Et, surprise, l'opération est parfaitement réussie.
Le nouveau livre a la particularité d'avoir été reconstitué à partir d'une multitude de textes dont la plus grande partie avait déjà été publiée de manière séparée. On les trouvait aussi bien dans le célèbre Silmarillion que dans Le Livre des Contes perdus, Les Lais du Beleriand ou les Contes et légendes inachevés. Ainsi dispersé et découpé, ce récit n'avait jamais été présenté dans son unité de narration Un manque ? Oui, comme le lecteur, d'abord méfiant, le découvre page après page. Il aura fallu trente ans à Christopher Tolkien pour accomplir cette tâche d'unification après avoir mené les recherches nécessaires dans les papiers de son père.
Tolkien avait lui-même considéré ce récit comme abouti et achevé. En 1951, il écrit ainsi à l'éditeur Milton Waldman, des éditions Collins : « Il y a d'autres histoires [que le récit de Beren et Lúthien, ndlr] presque aussi complètes et tout aussi indépendantes bien que liées à l'histoire générale ». C'est parmi ces histoires que Les Enfants de Húrin prennent place. Dans cette lettre à Waldman, Tolkien explique non seulement le lien qu'il établit entre Le Seigneur des anneaux et Le Silmarillion, mais il présente sa démarche et sa conception du mythe. On la trouve intégralement dans le volume des Lettres de J.R.R Tolkien publié en France en 2005(1). Les passionnés de l'œuvre du professeur d'Oxford pourront s’y reporter avec profit.
Et pour les autres ? Tout cela n'est-il pas une succession de détails finalement assez insignifiants ? D'une certaine manière, l'histoire de la reconstruction de œ nouveau récit intéresse effectivement peu le lecteur, dans la mesure où il souhaitera surtout découvrir l'histoire même, contée à travers ce nouvel ouvrage. Mais, en même temps, il n'est pas inutile d'en reconstituer brièvement le processus d'édition. En effet, à partir du moment où il s'agit bien d'un récit « abouti », complet en lui-même, il peut se lire et se découvrir sans connaissance particulière. Cette version longue et inédite, dans sa forme intégrale, constitue de ce fait une porte d'entrée dans le monde de Tolkien, même pour celui qui ignore tout du Seigneur des anneaux ou du Silmarillion.
Le Mal est proche quand l'orgueil traverse l’âme
Ecrits pendant la Première Guerre mondiale, puis repris à différents moments pendant des décennies - soit en vers, soit en prose - les récits qui forment Les Enfants de Húrin constituent désormais un conte aussi captivant que la longue quête du Seigneur des anneaux. L'histoire est celle de la confrontation du Bien et du Mal et de cette difficulté à échapper à ce dernier dès lors que l'orgueil traverse l'âme.
Jeune seigneur des terres de Dor-ló-min, Húrin est l'heureux époux de Morwen et le père de Turin, d'Urwen et Niënor. Alors que l'emprise de Morgoth (le Noir Ennemi) s'étend de plus en plus sur la terre des hommes et qu'elle menace celle des Elfes, Húrin s'en va combattre l'ennemi menaçant. La bataille se soldera par un échec et, après avoir défié Morgoth, Húrin verra s'abattre la malédiction sur sa famille. La suite de l’histoire est donc le récit de la quête de son fils Túrin qui ne cesse de buter contre l'infortune de sa destinée. À travers un long périple, où il croise elfes, nains, orques, hommes hors-la-loi et Glaurung, le Père des dragons, Túrin ne cesse de vouloir briser le terrible sortilège qui emprisonne sa famille.
Tout au long de œ récit, le lecteur retrouve avec ravissement la force narrative et éminemment poétique de Tolkien qui permet de se laisser saisir par l'aspect chevaleresque et tragique de ce conte. En même temps, son écriture, malgré l'emploi de noms qui peuvent déconcerter, est suffisamment visuelle pour que l'imagination du lecteur soit elle-même sollicitée en permanence. Elle est d'ailleurs aidée dans cet ouvrage par les superbes dessins d'Alan Lee (bien connu des fans de Tolkien) dont cinq sont entièrement en couleur.
C'est donc à une plongée dans le Premier Âge du monde, à la fin des Jours anciens, que nous invite Les Enfants de Húrin. Il n'est point question encore de ce petit peuple sympathique que forment les Hobbits. Mais il permet de saisir nombre d'aspects évoqués dans Le Seigneur des anneaux. Pourquoi s'en priver ?
Romain Bénédicte Le Choc du Mois n°25 Septembre 2008
Les Enfants de Húrin, par J. R R. Tolkien, Christian Bourgois, 298 pages, 25 euros.
1. Christian Bourgois éditeur.
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