mercredi 15 janvier 2020

L'Indochine française sous La botte nippone

L'Indochine française sous la botte nippone.jpeg
Les Kempeïtaï, police auxiliaire japonaise, similaire à la Gestapo, furent responsables de nombres d'atrocités.
Le coup de force japonais du 9 mars 1945 en Indochine est une page méconnue. Elle éclaire pourtant notre Histoire à plus d'un titre. Témoin du martyre vécu par notre peuple en Extrême-Orient, sous le joug japonais, cet épisode permet de mieux comprendre le passage éclair à un autre conflit la guerre d'Indochine.
Les Invalides sont le temple de la mémoire française. Sur le flanc ouest de l'église des soldats, la discrète chapelle de la Vierge est ornée d'une plaque blanche. Elle rappelle depuis 2015 un martyre trop souvent oublié :
« Guerre du Pacifique
Seconde Guerre mondiale
À la mémoire des combattants des Forces armées françaises et de la Résistance d'Indochine morts pour la France de 1940 à 1945.
Aux milliers de civils français et amis indochinois morts ou disparus suite à l'attaque nippone du 9 mars 1945.
Aux 2650 combattants morts le 9 mars 1945.
Ils apportèrent aux Alliés jusqu'à la capitulation japonaise le 15 août 1945 leur part de sacrifice et de gloire »
On croit parfois que la guerre s'est terminée en mai 45. Mais ce conflit a continué sous d'autres latitudes. Entre la délivrance de la Métropole et le 2 septembre 45, des Français ont subi une barbarie aussi inouïe que passée sous silence. Guillaume Zeller n'est pas homme à se satisfaire des trous de mémoire. Il a publié de beaux livres chez Tallandier, retraçant le destin tragique d'écorchés vifs de l'Histoire : Oran, 5 juillet 1962. Un massacre oublié (2012), ou encore La baraque des prêtres Dachau, 1938-1945 (2015). Il publie cette année Les cages de la Kempeitaï les Français sous la terreur japonaise. Cette tragédie qu'il raconte est aussi un drame familial ses grands-parents ont été détenus par les Japonais à Phnom-Penh.
Un contexte trouble
Mai 1940. Le monde assiste médusé à la défaite de la France et de son armée, la meilleure du monde. La métropole est envahie et découpée. A dix mille kilomètres de la Mère patrie humiliée, l'Union indochinoise vit des heures troubles. En juin 40, les Japonais, maîtres de l'Asie et bientôt du Pacifique, mettent la pression sur l’administration coloniale française. Ils lorgnent sur la colonie et obtiennent de faire circuler leurs troupes. Ce n'est cependant pas suffisant pour l'Empire du Soleil levant qui, quelques heures après la signature (22 septembre 1940) attaque sans sommation nos frontières indochinoises. Si les effectifs français sont réduits, la résistance est admirable. Il faut pourtant se résoudre à la défaite, et s'attendre au pire : le Japon vient de prouver qu'il a les moyens d'anéantir notre souveraineté en Indochine. Jusqu'en 1945, l'administration coloniale française (l'amiral Decoux, maréchaliste) veut « tenir » et garder le statu quo côté nippon, les pressions sont constantes.
La situation française est critique, face aux menaces des Thaïlandais voisins, désireux de grignoter des parcelles de territoires laotiens. Une guerre franco-thaïlandaise, totalement oubliée chez nous, a même lieu (octobre 1940-décembre 1941). Malgré l'éclatante victoire navale de Koch Chang - la dernière de la Royale ! -, la France doit céder aux Thaïs des provinces frontalières… Surtout, après Pearl Harbor (décembre 41), le Japon utilise l'Indochine comme un vaste porte-avions terrestre : il installe un QG à Saigon, s'empare d'installations stratégiques, tisse sa toile auprès des populations locales. Ce n'est pas un hasard si l'agitation nationaliste anti-française croît au même moment. L'amiral Decoux doit composer avec ces mille menaces et, comme ailleurs, des maquis de résistance - gaullistes, giraudistes, pro-anglais se constituent pour préparer la suite. Le Japon prend néanmoins les Français de court avec son coup de force du 9 mars 1945.
Le signal de la curée
Le Japon ne cesse de reculer depuis la victoire américaine de Guadalcanal (1943). Après la perte de Manille (3 mars 45), les Nippons ont un besoin criant de contrôler totalement le Vietnam. Ils proposent de faire passer les troupes françaises sous commandement japonais afin de contrer « l’invasion éventuelle des forces anglo-américaines ». Pour Decoux, c'est inacceptable. Le 9, il refuse et, moins d'une heure plus tard, tout Saïgon est bouclé l'opération Meïgo est lancée partout, les soldats de l'Empereur déferlent brutalement sur les casernes françaises. Le général Lemonnier, qui a refusé la capitulation, est décapité au sabre. De rudes combats ont lieu, notamment à Tonkin. Au fort de Dong Dang (frontière chinoise), la lutte dure trois jours et deux nuits. Les tirailleurs se battent jusqu'à la dernière cartouche mais doivent finalement se rendre. Le commandant japonais vient s'asseoir auprès du capitaine Annosse, le félicite puis le frappe violemment par surprise, avant de l'abattre au revolver à bout portant. Nous sommes le 12 mars 1945 et partout en Indochine, pour les Français civils et militaires, l'holocauste ne fait que commencer. Zeller distingue deux phases de violences meurtrières la première, autour du coup de force du 9 mars, est faite de massacres, brutalités et viols spontanés la seconde, elle, est une répression organisée et méthodique, avec notamment l'envoi de Français vers des camps de la mort.
En effet, alors que nos troupes mènent une guérilla héroïque et désespérée en brousse et que certains civils ont fui en Chine, le Japon songe à l’éradication pure et simple de la présence française. La population est serrée entre les griffes de la Kempeitaï, la gendarmerie militaire japonaise, un organisme clef et brutal comparable à la Gestapo. Les hommes de la Kempeitaï n'ont pas froid aux yeux et ont commis de nombreuses atrocités, notamment dans des camps en Corée. Sous leur férule, le quotidien des civils français est vite étouffant : quartiers bouclés, misère sociale, propagande anticoloniale dopée par le Japon. Déjà des sectes nationalistes et projaponaises manifestent bruyamment leur hostilité envers les Blancs. Toutefois, le pire est à venir : une terreur méticuleuse se met en place. La plupart des villes abritent désormais de sinistres prisons où des suspects français ou indochinois croupissent dans de minuscules cellules de quatre mètres carrés, véritables « cages à tigres » en bambou. Les prisonniers, surnommés les « encagés », doivent rester accroupis, tombent malades, meurent de faim et subissent la torture. Rien qu'à Hanoï, près de 500 personnes connaissent cet emprisonnement. Certains corps n'ont jamais été retrouvés ainsi celui de Jean Tricoire, un des premiers chefs résistants indochinois, dont les restes ont probablement été incinérés dans un four crématoire. Quant au système concentrationnaire, il prend des visages variés, allant des marsouins captifs dans leurs citadelles conquises, aux bagnes de travail (Hoa Binh). Chaleur, fièvre, sévices, travail harassant au camp de Xua Mai, sur 180 détenus, on parle de 110 morts ! À côté, le Pont de la rivière Kwaï peut sembler Une aimable bluette. Dans ce qu'on appelle parfois des « camps de la mort lente », la Faucheuse fit pourtant son œuvre en très peu de temps.
D'une guerre à l'autre
Deux jours après le coup de force, sous influence japonaise, l'empereur Bao Dai proclame l'indépendance du Vietnam. Et le Viet Minh ? Communiste et antifrançais, il danse sur plusieurs pieds lors de la Terreur japonaise. Il conclut parfois des accords avec les troupes françaises pour combattre l'occupant nippon, mais se dresse aussi régulièrement contre nos soldats. Le Viet Minh croît, notamment grâce au soutien américain qui escompte ainsi chasser d'Indochine les Japonais puis les Français. Avec Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945), l'Empire japonais s'effondre, suscitant une grande espérance chez les Français captifs. Pourtant, la confusion règne en Indochine, où le Viet Minh s'active pour prendre le pouvoir. Une autre terreur commence. En outre, les Alliés, anglo-saxons et soviétique, se sont accordé, à Potsdam, pour dépecer l'Indochine on a prévu de la découper en deux zones d'influence, chinoise au nord, anglaise au sud. C'est une humiliante libération que connaissent les Français d'Indochine, lesquels doivent attendre octobre pour voir arriver Leclerc, le héros de Koufra, de Paris et de Strasbourg. Lentement, la souveraineté française est recouvrée sur le territoire, jusqu'à Hanoï occupée par les Chinois. Quant au Viet-Minh, un pacte est conclu avec lui en 1946 pour établir un État autonome vietnamien associé à la France. Mais avec l’arrivée de l'amiral d'Argenlieu, l'accord achoppe, entraînant pour de bon l'ouverture de la guerre d'Indochine.
Parce que la terreur japonaise est chronologiquement enfermée entre la victoire alliée en Europe et la guerre d'Indochine, elle est un épisode fantôme, un angle mort. Les crimes commis au Vietnam n'ont pas retenu l'attention des juges du procès de Tokyo. Après la Libération, les Français d'Indochine, non contents d'être des victimes de seconde zone, ont été suspectés par la Métropole n'ont-ils pas vécu pendant cinq ans sous gouvernorat vichyste ? De quel côté étaient-ils au juste ? L'épuration a aussi fleuri sous les Tropiques. Aux sévices japonais succède l'ostracisme national. Aujourd'hui encore, des « gardiens de la mémoire » se battent contre l'oubli. Grâce à leur énergie, la bannière blanche et bleue déployée à Paris, lors de la Journée de souvenir de la déportation, porte des noms évocateurs Auschwitz, Birkenau, Treblinka, mais aussi « camps japonais ».
Aux refrains coloniaux se mêlent les échos du Chant des Marais
« Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira,
Liberté, liberté chérie,
Je dirai "Tu es à moi !" »

François La Choüe monde&vie 3 octobre 2019

Aucun commentaire: