Vous aurez du mal à trouver cette carte en Français. Les hussards noirs de la République n'entendaient pas voir rappeler à leurs élèves la réalité charnelle des provinces de l'ancien régime....
À Droite ligne nous n'avons rien contre les Celtes la preuve, nous avons décidé d'alimenter le débat sur la nécessaire simplification des échelons administratifs français en exhumant un texte ancien - très ancien même - du Breton (de l'académie française tout de même) Charles le Goffic La preuve que les Français n'ont pas attendu d'être ruinés pour vouloir se débarrasser des départements.
Je sais bien ce qu'on dit : que, coûte que coûte, il fallait détruire le particularisme de l'ancien régime, centraliser, afin d'unifier. Et, si l'on objecte à cela qu'un morcellement en quatre-vingt-trois circonscriptions administratives n'était point nécessaire pour opérer l'unification, que ce morcellement excessif ne pouvait qu'étendre la plaie du fonctionnarisme et grever inutilement le budget, Mirabeau, Duquesnoy, Rabaud Saint-Étienne, Thouret, Gossin et tous les partisans du projet ne laissaient pas d'avoir réponse à l'objection :
« Nous voulons de nombreux départements, disaient-ils, afin que l'étendue et la position géographique de chacun de ces départements permettent à tous les intéressés d'accéder au centre de l'administration en une journée de voyage. »
Voilà un argument qui pouvait avoir sa force en 1790. (…)
Les vraies unités locales de la France, nous les trouverons dans ces régions naturelles qui ont conservé le beau nom clair de pays.
« Parlez de "pays" à un paysan, dit M. Foncin, il est de la maison, il vous entend aussitôt. Vous l'étonneriez en lui disant que le pays est l'ancien pagus gaulois. Peu lui importe mais, étant plus près que nous de la nature, il en a gardé le sens et, plus conservateur que nous, il est resté attaché à la tradition du vieux langage français. Cela suffit pour que le terme de "pays" ait à son oreille une signification très précise ».
C'est en vain qu'ont passé sur la Gaule tant de dominations étrangères, tant de régimes politiques ; c'est en vain que la carte de France a été grattée et regrattée, obscurcie de surcharges et de ratures. Sous les caprices des délimitations les plus contradictoires, le « pays » a maintenu ses frontières presque aussi visibles qu'aux anciens âges. Il s'appelle le Queyras et la Maurienne dans les Alpes, la Soûle ou le Labourd dans les Pyrénées, ici le Médoc, ailleurs le pays de Caux, là le Velay, la Bresse, la Thîérarche, le Gâtinais, chez nous le Goëlo, l'Avaugour, le Penthièvre, le Quéménet-llly, le Pou-Alet, etc. Il continue, sous nos yeux, ces petites contrées naturelles que le climat, la géologie, le relief, etc., avaient distribuées comme berceaux aux peuplades antiques de la Gaule. L'homme s'y est à tel point incorporé au sol qu'après deux mille ans de vie nationale, dit M. Jullian, la plupart des « pays » de France observent encore une manière à eux de parler, de penser et de travailler, comme si « la vue éternelle des mêmes horizons, la recherche et l'espérance des mêmes récoltes, la jouissance des mêmes sources et les hommages aux mêmes dieux » avaient perpétué chez les habitants « ces besoins d'union et ces airs de ressemblance que leurs ancêtres avaient déjà fixés par des légendes familiales et par la communion en un père unique ».
Le « pays » n'est pas seulement plus vivant, plus réel, que le canton et le département : il est plus réel et plus vivant que la province, laquelle a bien pour elle son ancienneté, mais est presque partout, sauf en Bretagne, en Auvergne et en Béarn, l'œuvre des hommes et non pas une région naturelle.Sans doute, M. Foncin le reconnaît, si l'expression de « pays » est aussi claire qu'elle est antique, il y a pourtant pays et pays. La politique ne paraît pas étrangère à la conformation de quelques-uns, qu'il conviendrait de distinguer des « pays » géographiques, les seuls dignes du nom. Je crois savoir que depuis plusieurs années déjà une enquête est ouverte, par les soins et sous les auspices de M. Foncin, pour faire cette répartition délicate, établir une carte aussi précise et aussi nette que possible des véritables divisions naturelles de la France. Le jour où cette carte sera établie, c'est alors vraiment qu'on aura une solide assise pour la réorganisation administrative du territoire. La région, ou de quelque autre nom qu'on l'appelle, ne sera plus, comme dans un des précédents projets dont je parlais tout à l'heure, un syndicat de circonscriptions et d'intérêts artificiels, mais un groupement naturel de forces naturelles et actives.
« Il est digne de remarque, dit quelque part Fustel de Coulanges, que les vieux États gaulois ont conservé jusqu'à une époque très voisine de nous leur nom, leurs limites et une sorte d'existence morale. Ni les Romains, ni les Germains, ni la féodalité, ni la monarchie n'ont détruit ces unités vivaces on les retrouve encore dans les "pays" de la France actuelle ».
Croyons-en l'auteur de la Cité antique. Cent ans ne sont qu'un moment dans l'histoire d'une nation mais un moment peut décider de toute une vie, et nous pourrions payer cher l'erreur constituante. Car la nouvelle division administrative du territoire fut incontestablement une erreur. On le sent, on le dit un peu partout : ce n'est point assez et il faudrait remonter d'abord à la cause du mal pour être sûr de ne point se tromper dans le genre de remède à lui appliquer. Or, tout fait penser que le mal ici est né d'une méconnaissance des lois de l'anatomie géologique. Fustel a mis le doigt sur la plaie et l'œuvre de la Constituante n'est devenue si rapidement caduque que pour avoir négligé précisément ces « unités vivaces » dont il parle et qui devraient jouer dans l'organisme administratif le rôle que jouent les cellules dans l'organisme humain. En politique, comme en toutes choses, il n'est de durable que ce qui ne contrarie point le plan de la nature. (…)
Formés de bric et de broc, les départements français sont un perpétuel défi à la nature et au bon sens, ils ne tiennent compte ni de l'orographie, ni de l'hydrographie, ni des besoins économiques, ni des affinités ethniques et morales des habitants. Mais où la puérilité éclate surtout, c'est dans le choix de leurs noms, bien plus choquants que celui des Côtes-du-Nord (Modifié depuis en Côtes d'Armor [DL]) : sur 86 départements, 62 portent des noms de rivières. Comme l'a très bien montré un distingué géographe de ce temps, M. Charles François, il eût fallu au moins, pour la clarté de la classification, que ces rivières fussent propres aux départements qu'elles baptisent et qu'elles y eussent à la fois leur source et leur embouchure. En fait 6 départements sur 86 sont dans ce cas : le Loiret, la Nièvre, la Drôme, la Corrèze, l'Ardèche et le Gard. Ces départements sont donc fort bien nommés, puisque leurs noms ne prêtent à aucune amphibologie. J'en dirai autant du Vaucluse qui tire son nom de la célèbre fontaine chantée par Pétrarque. Restent 55 autres départements à noms de rivières et fort mal nommés - M. François a grand'raison - en ce sens que la rivière qui « définit » le département n'est pas renfermée exclusivement dans la circonscription définie : l'Eure, la Mayenne et la Sarthe naissent toutes les trois dans le département de l'Orne ; la Vienne, qui nomme deux départements, descend du plateau de Millevaches, dans la Corrèze ; la Charente, qui nomme aussi deux départements, s'écoule des monts du Limousin, près de Chéronnac, dans le département de la Haute-Vienne ; la Dordogne débute dans le département du Puy-de-Dôme, au mont Dore, où elle est formée de deux ruisseaux, la Dore et la Dogne ; l'Allier, le Lot, le Tarn ont leur berceau dans les montagnes de la Lozère ; l'Hérault prend naissance dans le département du Gard, l'Aude sort du massif de Carlitte, dans les Pyrénées-Orientales ; le Gers vient des Hautes-Pyrénées ; l'Isère prend sa source et son nom au mont Iseran, en Savoie.
On pourrait continuer l'énumération, si les partisans de la nomenclature actuelle ne nous arrêtaient en objectant que les membres de l'Assemblée nationale et de l'Assemblée constituante savaient fort bien que les rivières dont ils donnaient les noms aux départements n'étaient point spéciales à ces départements, mais qu'ils avaient pris pour désigner ceux-ci le nom du principal cours d'eau qui les traversait.
À quoi les adversaires de la nomenclature répliquent que l'observation n'est point juste pour le Loiret, « magnifique département qu'arrose la majestueuse Loire » et auquel on a donné, dit M. Louis Madelin, le nom « d'une riviérette baignant une centaine de jardins » que les départements de la Nièvre, de l'Aisne, de l'Aveyron, de la Drôme et de l'Isère sont dans le même cas ; que le département de la Vendée est ainsi nommé d'une rivière qui a trente kilomètres de moins que le Lay qui le traverse également, que la Corrèze n'est qu'un affluent de la Vezère, etc., etc.
Incohérence et confusion presque partout voilà la vérité. Et qu'est-ce, grand Dieu, quand les départements sont affligés de noms composés comme les Basses-Alpes, les Hautes-Alpes, la Charente-Inférieure, les Bouches-du-Rhône, etc. ? Vingt-sept départements ont ce malheur. Nos pauvres écoliers s'y perdent.
« J'ai entendu des candidats, dit M. François, répondre bravement que Digne était le chef-lieu des Hautes-Alpes et Gap le chef-lieu des Basses-Alpes. L'examinateur pestait contre leur ignorance et moi je pestais avec plus de raison contre le caprice de ceux qui ont imaginé ces dénominations bien faites pour embarrasser la mémoire des élèves. Car, enfin, pourquoi ici les Hautes-Alpes et au-dessous les Basses-Alpes ? C'est, dit-on, parce que les Alpes sont plus élevées dans le premier de ces départements que dans le second. La raison n'est pas bien bonne. Si, en effet, le département des Hautes-Alpes a quelques sommets supérieurs, tels que le pic des Ursins (4100 mètres), la Meije (3 900 mètres), le mont Viso (3 850 mètres), les Alpes du département voisin ne sont pas déjà si basses, car on y trouve le Grand-Bubren, qui a 3 340 mètres, le Bérard, qui en a 3 047, et le Pousenc, 2 900 ; ce sont presque des rivaux.
Appliqué aux rivières, ce mot de haut ne prête pas à des confusions moins regrettables. Induits en erreur, parce qu'ils sont tombés juste une fois et que la Marne prend effectivement sa source dans la Haute-Marne, nos écoliers croient qu'il en va de même des autres rivières et ne manquent pas de dire imperturbablement que la Saône prend sa source dans la Haute-Saône, la Loire dans la Haute-Loire, la Vienne dans la Haute-Vienne, la Garonne dans la Haute-Garonne, etc..
Les départements maritimes sont-ils mieux partagés du moins que les départements à noms de rivières ?
Rien à dire, nous l'avons vu, du Finistère, du Morbihan, même de l'Ille-et-Vilaine et, à la rigueur, de la Loire-Inférieure (Modifié depuis en Loire-Atlantique [DL]). Rien à dire non plus du Pas-de-Calais, des Landes, du Calvados, de la Somme, de la Gironde, des Bouches-du-Rhône. En revanche on a lu plus haut nos critiques sur l'appellation des Côtes-du-Nord. Et pourquoi encore l'appellation de Manche ? Le département qui porte ce nom n'est pas le seul qui soit baigné par la Manche il n'est même pas à l'avant-garde, il est au centre de cette mer. Mais le plus mal nommé de tous nos départements côtiers, c'est incontestablement le Var. M. François a été amené à se demander comment il se faisait que la rivière qui a donné son nom à ce département se trouve tout entière dans le département voisin, et voici ce qu'il a découvert : le Var est un torrent qui servait autrefois de limite entre la France et l'Italie, sur une faible partie de son parcours (une vingtaine de kilomètres) ; on avait trouvé bon d'en faire l'enseigne du département dont Draguignan est le chef-lieu, de préférence à l'Argens, qui a son cours entier de 100 kilomètres dans ce département. Arrive, en 1860, la réunion du comté de Nice à la France et, pour arrondir le nouveau département des Alpes-Maritimes, on détache du département du Var l'arrondissement de Grasse. Il s'ensuit que le torrent du Var se trouve tout entier dans le département annexé : le Var n'est plus dans le Var ! (...)
Et pourtant, si l'on en croit M. Dubreuil, tous ces défauts, toutes ces inconséquences apparentes, y compris le nom ridicule donné au département, ont eu leurs raisons. Nous n'en disconvenons pas. Mais ce sont ces raisons qu'il importe d'examiner et de peser. Les plus méchants actes ont leurs raisons, ce qui revient à dire que tout effet a sa cause. On n'a pas justifié nos Constituants parce qu'on a démontré qu'ils ont agi avec réflexion il faudrait démontrer encore que leur réflexion fut sage et conforme aux intérêts du pays.
Remarquons tout d'abord la conception géométrique de la nouvelle division administrative.
« On avait partagé la France par quatre grandes lignes, dit M. D. Tempier, qui, se croisant du haut en bas et de gauche à droite, donnaient neuf cases. Une division semblable dans chacune de ces cases donna 81 cases plus petites, ce fut à ce nombre que l'on assimila celui des départements. En y ajoutant Paris et l'île de Corse, on en eut 83. Ce morcellement de territoire fractionnait la Bretagne en cinq départements. Celui de Saint-Brieuc ou des Côtes-du-Nord fut divisé, suivant le même système, en 9 districts, et chaque district en 9 cantons. »
La France n'était plus une nation : elle était un échiquier. Toute considération cédait, aux yeux de l'Assemblée nationale et des Constituants, devant la nécessité de donner la même importance territoriale aux cases de cet échiquier et le hasard seul a voulu que certaines de ces cases correspondissent exactement à d'anciennes divisions gauloises : la Dordogne au territoire des Pétrocores, la Lozère au territoire des Gabales, le Lot-et-Garonne au territoire des Nitiobroges, l'Indre-et-Loire au territoire des Turons.(…)
Une poignée d'idéologues et d'énergumènes, à la tête de laquelle était Siéyès, gouvernait l'Assemblée, tranchait décidait. Elle était la loi et les prophètes. Elle inaugurait ce régime centraliste, oppressif et hypocrite, pour qui le respect de la souveraineté populaire n'est qu'un mot, un article de la constitution, excellent dans les programmes électoraux et qu'on n'applique jamais.
Charles Le Goffic Droite Ligne n°6 - septembre 2010
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