Jean-Christophe Buisson est Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, journaliste historique et animateur d'Historiquement show sur la chaîne Histoire, Jean-Christophe Buisson est aussi le préfacier de l’anthologie de textes de Charles Maurras, fraîchement publiée chez R. Laffont dans la collection « Bouquins »
Jean-Christophe Buisson, publier et préfacer du Charles Maurras, aujourd'hui, n'est-ce pas un brin provocateur ? L'auteur est officiellement un proscrit, un maudit...
Par l'influence intellectuelle et politique qu'il exerça durant la première moitié du XXe siècle, Charles Maurras est une figure majeure des lettres françaises. Son œuvre est quantitativement immense (une centaine de livres et plus de 20 000 articles) et la liste de ceux qui l'admirèrent, fût-ce de manière éphémère, en dit long sur son magistère Proust, Apollinaire, Gide, Malraux, Bergson, Bernanos, Drieu La Rochelle, Maritain, Blanchot, Lacan, Althusser, etc. De nombreuses personnalités politiques, toutes plus républicaines les unes que les autres (Clemenceau, Poincaré, De Gaulle, Pompidou, Mitterrand), confessèrent aussi leur respect pour ce théoricien du nationalisme intégral qui estimait que la grandeur de la France ne s'était exprimée et ne pourrait s'exprimer à nouveau que sous un système monarchique. Dès lors, donner à comprendre comment et pourquoi cet homme, en effet condamné et maudit pour son attitude durant la Seconde Guerre mondiale, exerça une telle fascination sur des esprits si brillants et si divers, ne relève en rien de la provocation mais plutôt d'une forme d'éclairage. Ceux qui ne connaissaient pas Maurras, dont l'œuvre n'était quasiment pas rééditée, se feront une idée sur lui. Quant aux anti-maurrassiens autoproclamés, ils pourront désormais citer des textes précis pour motiver leur dégoût ou leur haine. Mais ils auront aussi découvert que le maître de l'Action Française ne se résume pas à ses diatribes antisémites. Maurras, c'est aussi une esthétique, un style, une réflexion géopolitique. Et une belle poésie.
Outre la poésie, le grand public retient surtout le Maurras politique. De ce point de vue-là, a-t-il donc encore quelque chose à dire à nos contemporains ? L'affaire Dreyfus et la HP République peuvent sembler choses fort lointaines.
Pour paraphraser Marx et Engels, je dirais qu'un spectre hante la droite française Charles Maurras. Qu'elle en soit consciente ou non. En effet, ayant synthétisé la pensée contre-révolutionnaire du XIXe siècle avec le positivisme moderne pour formuler une théorie politique originale qui ne serait ni libérale, ni socialiste, il a abordé de près ou de loin tous les thèmes qui traversent jusqu’à aujourd'hui la pensée dite de droite l’articulation entre les notions d'autorité et de liberté, le poids de l'État-Providence, le rôle des communautés naturelles contre les assauts de l’individualisme, la lutte contre la centralisation jacobine, la critique d'une élite politique, économique ou médiatique confisquant trop de pouvoirs c'est le fameux « pays légal contre pays réel »), la défense du « splendide Tout catholique » comme pilier historique et civilisationnel de la nation française, etc. Au risque de nager dans certaines contradictions sans doute insolubles, d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, peu ou prou, de Marion Maréchal-Le Pen à François Fillon en passant par Nicolas Dupont-Aignan ou Laurent Wauquiez, les ténors de la droite ont relayé ou relaient la pensée maurrassienne. Quitte à l’affiner l’amender, la contester ou la moderniser.
D'autres antimodernes peuplent la collection Bouquins (Charles Péguy, Léon Bloy, Maurice Barrès, Jacques Bainville, Léon Daudet). En quoi Maurras se singularise-t-il ? Et en quoi cette anthologie - dont tous les textes ne sont pas politiques - se démarque-t-elle ?
Chacun de ces auteurs courait avec excellence dans un ou deux couloirs au maximum l’histoire pour Bainville, la critique littéraire et la polémique pour Daudet, le pamphlet et le roman teinté de mysticisme chrétien pour Bloy le journalisme de combat et la poésie pour Péguy la politique par le journalisme ou la littérature pour Barrès. Or, Maurras, à lui seul, couvre et rassemble tous ses domaines et même d'autres ! Il clôt d'une certaine manière un cycle, et je pense que c'est ainsi que l'a envisagé l’éditeur Christophe Parry qui est à l'origine de la plupart de ces rééditions.
Entretien par François la Choüe monde&vie 19 avril 2018
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