Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦ Ainsi, pour le président Macron, la colonisation est une erreur doublée d’une faute. On le savait déjà. Après son infamante sortie algérienne sur les « crimes contre l’humanité » prétendument commis par la France outre Méditerranée, il a cru bon d’en remettre une couche à Abidjan le 21 décembre.
La colonisation est une mondialisation
Juger moralement un mouvement historique inévitable, et sur lequel il est impossible de revenir, est stupide. Le monde a été colonisé par les Européens tout simplement parce qu’il ne pouvait pas ne pas l’être. L’énergie de la « race blanche » dans sa volonté de découverte et d’expansion a changé le monde pour toujours et à jamais, comme celle de la Horde d’or mongole avait changé la Russie. Il n’y a eu en fait dans l’histoire qu’une seule véritable mondialisation : la colonisation. Parfois, il est vrai, cruelle et prédatrice. Mais aussi porteuse de progrès et de santé pour les populations soumises, en même temps qu’elle faisait reculer l’esclavage, le cannibalisme et la sauvagerie. Son histoire, notamment pour la France, a révélé des hommes d’un courage exceptionnel mais également d’une grande humanité, et donné lieu à des épopées qui participent à la fierté de notre histoire.
Des générations de petits Français ont été élevées dans la gloire de l’empire, ils voyageaient devant les cartes de territoires immenses et éloignés réunis dans un rêve civilisateur et même multiracial. La repentance obligatoire fait partie de la perte de notre conscience nationale qui est à la base de notre déclin.
On rendra justice à l’homme qui renonce à son régime spécial de retraite d’avoir souligne que c’était une erreur de la République : « Trop souvent aujourd’hui la France est perçue avec un regard d’hégémonie où les oripeaux d’un colonialisme qui a été et qui fut une erreur profonde, une faute de la République…»
Le paradoxe de l’ex-colonisé
Macron croit à nouveau (adieu de Villiers !) que tout commence avec la République. C’est son droit mais c’est une ânerie incontestable. On retiendra donc que c’est plus l’erreur d’un système politique trahissant ses valeurs que d’un pays assumant son histoire. L ‘« erreur » de la République est souvent une page de gloire de la France. D’ailleurs c’est la République universelle qui a transformé la colonisation en un nivellement idéologique ; la France n’en demandait pas tant.
Que pense le président de notre premier empire, du Canada à l’Inde en passant par les Antilles et puis le Sénégal et l’Algérie ? La France a été, derrière son ennemi héréditaire l’Angleterre qui gouvernait les mers, la deuxième puissance coloniale du monde. Il lui reste la francophonie et un empire maritime gigantesque et prometteur autour d’archipels oubliés. Il est une génération de Français qui par la lâcheté de nos dirigeants, sont nés dans un empire et se préparent à mourir dans un hexagone. Un hexagone qui vit une ancienne fierté comme une honte.
Il est vrai que cette République ressemble peu à la France impériale de Faidherbe et Gallieni. Quand on voit les conséquences démographiques et humaines de la colonisation, on peut comme Macron penser que c’était une erreur — qui pourrait nous être fatale. S’il y a grand remplacement, c’est la fille bigarrée de la colonisation et de l’échec des colonisés à vivre mieux chez eux sans nous. Fuir son pays pour se réfugier chez l’oppresseur dont on se vante de s’être débarrassé, quel paradoxe !
Mais cette erreur était malgré tout inévitable. Pourquoi Colomb a-t-il découvert Amérique ? Parce qu’il en avait les moyens techniques et surtout le courage humain. La colonisation est la conséquence d’une supériorité matérielle, mais aussi d’un sentiment naïf d’apporter le progrès — une nouvelle « pax romana ». La colonisation est une conquête et toute conquête est une brutalité comme l’auraient dit les Gaulois acceptant cependant le terme de civilisation gallo-romaine. Une colonisation subie puis acceptée dans ses conséquences irréversibles. Voilà, avec l’acquisition de la langue française, le chemin de la vraie indépendance des colonisés qui ne seront plus jamais ce qu’ils ont été. L’Amérique latine ne retournera jamais à l’époque des Aztèques et des Incas, n’en déplaise aux indiens, et le Maroc n’effacera jamais Lyautey et Casablanca. Les pourfendeurs de la colonisation sont souvent des obscurantistes qui confondent régression et authenticité et qui ont trouvé le moyen de justifier leurs échecs pitoyables depuis 70 ans.
Pour eux comme pour nous, il n’y a finalement qu’une chose pire que la colonisation et c’est la décolonisation. Car la première était peut être une erreur, toutefois inscrite inévitablement dans la marche du monde, mais la seconde a multiplié les fautes évitables. Le « temps béni des colonies » est peut être un fantasme mais le temps maudit des décolonisations est, pour certains pays, une indiscutable réalité.
Pierre Boisguilbert 24/12/2019
Crédit photo : Domaine public
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