Les travaux que produisit Augustin Cochin au début du xxe siècle, sur la nature du phénomène révolutionnaire, de 1789 à 1794, n'ont pas été dépassés. Les éditions Tallandier offrent un gros volume de ses Œuvres, republiées sous la direction de Denis Sureau : Un événement éditorial !
Augustin Cochin a été l'un des premiers à vouloir « penser la Révolution française » lorsque tant d'autres se contentaient d'en raconter les événements et d'en présenter les acteurs. Joseph de Maistre en 179S et Jules Michelet en 1850, avaient bien compris la nécessité d'un regard qui cherche non seulement à narrer les événements mais à mettre au jour leur logique interne, cachée aux regards distraits. C'est pourquoi Maistre analysa la révolution en théologien et y vit l'image de Satan. Quant à Michelet, il étudia la Révolution en poète et plaça « le peuple » au-dessus de toutes les contingences chronologiques. Maistre et Michelet firent de la métaphysique, chacun à leur manière. Quant à Augustin Cochin, c'est en sociologue qu'il aborde le problème, au grand dam des historiens de son temps, qui ne comprennent pas sa tentative. Sociologie ? Augustin est un jeune homme brillant, qui a touché un peu à tout littérature, philosophie. Finalement il termine major de l'École des Chartes. En même temps, il se passionne pour l'œuvre d'Emile Durkheim, le "père" de la sociologie, qui lui apprend que la société est un véritable sujet de réflexion, que toutes les sociétés ne fonctionnent pas de la même façon et que la Révolution française est fondée sur un nouveau modèle social, un modèle rationnel, fait d'individus abstraits, sans passion, sans autre foi commune que la Révolution elle-même, individus qui créent un modèle de société, qui pour la première fois n est pas fondé sur la foi commune (comme dans le modèle social qui a nom chrétienté), mais qui se forme à partir du calcul des intérêts de ceux qui peuvent ou qui savent les faire valoir. Foi commune ou intérêt commun ? Le premier modèle, la foi commune, est celui de la monarchie démocratique de Louis XVI, le « roi bienfaisant », qui s’est voulu au service du peuple. Le second modèle est la République de Rousseau, théorie d'un Pouvoir absolu (celui de l'unanimité présumée des citoyens), représentant une sorte de rêve d'absolutisme à la française.
Cochin mourut en héros, mais prématurément, durant la grande Guerre il avait 39 ans. Pour son œuvre d'historien de la Révolution française, ce fut le commencement d'un long purgatoire : personne ne parlait plus du travail de cet homme, qui laisse quelques études scrupuleuses, un ouvrage terminé et de fulgurantes intuitions, que l’on retrouve en particulier dans une magistrale correspondance, publiée dans ce volume.
C'est en 1978 que son nom franchit le cercle très fermé de ses lecteurs fidèles. Le grand historien François Furet, spécialiste de la Révolution française, venait de faire paraître un ouvrage ambitieux dans son dessein: Penser la Révolution française. Il expliquait que la Révolution française n'avait vraiment été pensée, telle qu’en elle-même, que par deux grands historiens Alexis de Tocqueville, l'auteur de L’Ancien régime et la Révolution et Augustin Cochin, théoricien de « la machine révolutionnaire. » Dans les deux cas, Tocqueville ou Cochin, il s'agissait de prendre de la distance par rapport aux événements, de les étudier dans le temps long de l'histoire, d'un peuple, comme le fit Tocqueville, ou de les replacer dans le cadre d'une sociologie politique, comme le fit Cochin.
« Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau » expliquait Alexis de Tocqueville, à propos de la Révolution française. Les travaux d'Augustin Cochin exaucent œ vœu, en rentrant dans le mécanisme de la Révolution. C'est dans une lettre qu'il écrivit à Charles Maurras qu’Augustin Cochin explique le plus clairement sa sociologie de la Révolution « Que dans un pays où les anciens corps indépendants, provinces, ordres ou corporations tombent en poussière, un parti organisé d'une certaine manière s'empare fatalement de l'opinion, la dirige artificiellement, par le seul fait de son jeu mécanique, sans rien devoir ni à des causes naturelles économiques ou autres, nia l'action légitime de ses idées, ni au nombre de ses affidés ou au talent de ses chefs (...) Le peuple passe de la minorité qui a le droit de commander à la minorité qui a l'art de tromper Une telle organisation existait en 89, d'autant plus dangereuse que la société d'alors ne songeait à se garder que du côté de l'autorité légitimé », le pouvoir royal « depuis longtemps inoffensif ».
Ce Parti organisé existait en France depuis la fin du règne de Louis XV c'est ce que l’on l’a appelé « le parti philosophique ». À travers les salons, les académies, les loges maçonniques, il a pu faire circuler dans l’ensemble du pays les mêmes mots d'ordre et représentera lui tout seul la Liberté, avec une majuscule. Dès 1788, il fait triompher ses revendications pour l’organisation des États généraux doublement des voix du Tiers état et compte par têtes et non par ordre. Le reste découle logiquement de ces deux premières décisions et de l'Organisation de l’opinion qu'elles ont supposée.
La Révolution française est un bloc. Elle se construit logiquement de deux manières contre toute logique démocratique, la minorité philosophique revendique les pleins pouvoirs, au nom de l'Idée de liberté individuelle. Elle épure en son sein tous ceux qu elle jugera indignes d'une telle cause, jusqu'à transposer au plan politique la théorie théologique dite « du petit nombre des élus ». Les purs ne sont pas nombreux. S'ils sont trop nombreux, c'est qu'ils sont impurs. Telle est la logique folle de l’Incorruptible, Robespierre, épurateur en chef, finalement épuré par le coup d'État de Thermidor, que Cochin qualifie de « seule anomalie » dans le déroulement mécanique du processus révolutionnaire.
Ce fonctionnement épurateur est encore aujourd'hui, violence en moins, celui des partis politiques, dont les logiques de pouvoir, sur le mode « plus révolutionnaire ou plus libertaire que moi tu meurs », prennent le pas sur les nécessités de gouvernement et ce que l'on appelle le bien commun. La sociologie politique d'Augustin Cochin visait à « penser la Révolution française ». Elle peut aisément être utilisée pour montrer combien nous sommes encore aujourd'hui dans un régime d'opinion dirigée, dans lequel ce n’est pas le nombre qui s’exprime mais la Raison, que l’on appelle désormais Political correctness. Augustin Cochin a laissé un vaste champ de réflexion à des continuateurs éventuels, parmi lesquels aujourd'hui Timothy Tacket, avec son ouvrage Anatomie de la Terreur (Seuil 2018) et Patrice Gueniffey présent préfacier d'Augustin Cochin, qui fit paraître un livre courageux Le nombre et la raison (EHESS 2013), sur la Révolution française et les élections (pour montrer le peu de cas que révolutionnaires faisaient du suffrage qui n’était guère universel) Dans les deux cas, on constate que le phénomène révolutionnaire nous éloigne considérablement de la démocratie réelle et qu'il représente en quelque sorte la démocratie capturée ou captée par un groupe de pression qui utilisera le plus souvent la Violence à son profit.
) Augustin Gochin, la machine révolutionnaire Œuvres, éd. Tallandier, 688p., 29,90€
monde&vie 31 mai 2018
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