jeudi 29 août 2019

NOTRE FEUILLETON ESTIVAL : UN ETE AVEC JACQUES BAINVILLE... (38)

Il devint vite l'ami et le familier de notre maison, et je le vois à ce début du journal, présent à toutes nos réunions, attentif, un peu grave, donnant toujours avec une exacte mesure - sans nous éloigner de l'action - le conseil de la sagesse.
Peu d'années après, en 1912, il se mariait et nous amenait à Bourg-le-Reine, chez mes parents où nous séjournions alors, sa jeune femme aux yeux bleux, au teint clair, éblouissant de jeunesse qui riait sous un joli chapeau rouge et qui ressemblait à une de ces déesses de la mythologie symbolisant la joie, l'amour, la confiance dans le bel été qui ne finit pas.... Tout de suite nous fûmes amies, et nos deux ménages connurent alors des années d'amitié incomparables, une de ces amitiés où l'on partage tout, joie, peine, préoccupation, sans empiéter sur les libertés ou les préférences de chacun. Amitié idéale et sans tyrannie.
Que de voyages nous fîmes tous les quatre ! Que de dîners intimes, de séjours à la campagne, quelles parties de rire, parfois, quand nous mettions en commun, au cours de longues causeries, nos observations sur les gens, les choses, le spectacle de la vie ! Jacques Bainville, qui paraissait froid et distant à ceux qui ne le connaissaient pas, était affable, naturel avec ses amis, il avait le sens comique très développé. Je le vois encore riant de tout son coeur en secouant les épaules, un jour où, à un dîner de noces donné dans un hôtel de province, il était convaincu que nous avions mangé du chien, en civet, sous le nom de lièvre, car ce lièvre avait de si petits os et il était si dur !...
L'admirable équilibre intellectuel de Jacques Bainville - admiré de tous - tenait aussi, je crois, à ce qu'il était un grand travailleur, un journaliste-né. Il faisait ses articles quotidiens comme en se jouant, au milieu du bruit d'une salle de rédaction. Il emportait chez lui, chaque soir, avec un sourire un peu las, d'énormes paquets de journaux qu'il dépouillait en un clin d'oeil, car il saisissait avec la rapidité de l'éclair la chose essentielle parmi le fatras des textes ou des phrases vaines. Et comme il paraissait travailler facilement ! Il avouait pourtant que cela ne l'amusait pas tous les jours; mais cette règle de travail était absolue chez lui, elle faisait partie de sa discipline, de sa santé même, et n'est-ce pas elle qui lui a permis de lutter si héroïquement et si longtemps contre le mal obscur et terrible qui devait l'emporter ?
Au terme de cette vie droite et haute, il est doux de penser, pour ses amis qui le pleurent, qu'il laisse une oeuvre vaste, forte, un long sillage de pensées et de jugements qui pourront servir longtemps encore le pays et la cause monarchiste.
S'il a eu le malheur de naître en des temps sinistres où les plus puissants cerveaux constructeurs sont obligés de combattre dans l'opposition, il aura eu au moins le bonheur de rencontrer sur cette terre les véritables amis de sa pensée et de pouvoir toujours s'exprimer librement auprès d'eux. Il s'est imposé au monde par ses articles de politique étrangère parus dans l'Action française pendant vingt-huit ans, et par ses livres d'histoire. Il est devenu un guide, un maître, parce qu'il avait le coeur noble, l'esprit droit, et que tout ce qu'il disait ou écrivait avait le son de la vérité."
Tiré de notre Album "Maîtres et témoins"... (II) : Jacques Bainville" (186 photos)

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