Aujourd'hui : 32. Le Mémorial, "évangile" malfaisant... (III/III)
(en guise de complément, et de réponse, au très contestable Napoléon de Secrets d'Histoire, ce jeudi 15 Août...)
Illustration : caricature d'Honoré Daumier, contre le militarisme prussien, " La Prusse annexant le Hanovre". Mais ce "militarisme prussien", cette immense puissance allemande, qui nous a fait tant de mal en 1870, 1914, 1939... c'est "nous" qui l'avons rendue possible, et qui l'avons même voulue et créée !
Nos rois l'avaient rendue impossible avec les Traités de Westphalie, organisant l'émiettement des Allemagnes en une poussière d'Etats, dans les affaires intérieures desquels nous avions même le droit d'intervenir, avec quelques autres puissances ('Allemagne était alors la fameuse "croix des géographes"...) : notre prépondérance en Europe, et nos agrandissements territoriaux vers le Rhin viennent de là....
Ce sont les "nuées" révolutionnaires et républicaines, reprises et imposées par les deux Bonaparte - sous le nom de "principe des nationalités" - qui ont délibérément rompu avec cette sage politique et qui ont, au contraire, créée cette énorme puissance, qui devait nous écraser : "nuées" criminelles...
Nos rois l'avaient rendue impossible avec les Traités de Westphalie, organisant l'émiettement des Allemagnes en une poussière d'Etats, dans les affaires intérieures desquels nous avions même le droit d'intervenir, avec quelques autres puissances ('Allemagne était alors la fameuse "croix des géographes"...) : notre prépondérance en Europe, et nos agrandissements territoriaux vers le Rhin viennent de là....
Ce sont les "nuées" révolutionnaires et républicaines, reprises et imposées par les deux Bonaparte - sous le nom de "principe des nationalités" - qui ont délibérément rompu avec cette sage politique et qui ont, au contraire, créée cette énorme puissance, qui devait nous écraser : "nuées" criminelles...
Le Mémorial, "évangile" malfaisant... (III/III)
(De "Histoire de Trois générations, avec un épilogue pour la quatrième", Chapitre I, L'évangile de Sainte-Hélène, pages 22 à 27) :
"...Que disait Napoléon dans ces entretiens que les compagnons de sa captivité se chargeaient de répandre ? Il se faisait l'apôtre d'une politique nouvelle, et cette politique avait les caractères et les attraits d'une religion. C'était un vaste programme idéaliste, une déclaration des droits et des devoirs du peuple français, une audacieuse refonte de l'Europe d'après les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de justice... Que voulaient ces gouvernements timorés, ces diplomates professionnels asservis aux vieilles recettes de l'équilibre et que l'empereur déchu, à qui ils avaient succédé, traitait avec un suprême dédain ? Ce qu'ils avaient restauré, c'était la routine. Leur prudence diminuait, déshonorait la nation française, l'empêchait de se relever. Sans eux, contre eux, la politique dont Napoléon traçait les grandes lignes promettait de rénover le monde, et de le rénover d'un seul coup, sans attendre le travail du temps, dédaignant les précautions égoïstes et lâches. La cause de la France est celle de l'affranchissement universel. Alors la liberté sera la devise magique de notre grandeur. La France se doit à elle-même de briser les chaînes des nationalités. A la Sainte-Alliance des rois, elle substituera la Sainte-Alliance des peuples. Des maximes de 89, naîtront les Etats Unis d'Europe. Ainsi tous les problèmes seront résolus. Les conflits n'auront plus de causes. Sur les races apaisées, devenues semblables par les institutions et par les moeurs, il régnera, dans un monde fraternel, une paix et une joie sans mélange, sous l'égide de la nation française, mère aimée de tous ces bienfaits....
Ce rêve, la Révolution l'avait entrevu. Il mêlait, à des chimères ignorantes, des souvenirs confus, mal compris, de la politique généreuse, raisonné et féconde que la France avait suivie comme protectrice des faibles, dans son dessein constant d'empêcher une hégémonie en Europe. La guerre, l'action, les victoires sous des généraux heureux, avaient dissipé cette rêverie qui, très vite, avait fait place au goût de la domination et à l'appétit des conquêtes. Mais loin de ramener les esprits à la réalité, la chute de l'empire napoléonien fit renaître le vieux songe obscurci. Ce songe grandit, il prit des formes précises, lorsque, de Sainte-Hélène, monta la voix de celui qui, déjà, avait manié et partagé le vieux monde.
Napoléon disait ce qu'il eût voulu faire, ce que la méchanceté des rois, les retours offensifs du passé ne lui avaient pas permis de finir. Waterloo avait été la tombe des peuples libres. Napoléon convoquait le peuple français à reprendre, avec lui ou avec les siens, l'oeuvre interrompue. "Il y a des désirs de nationalité qu'il faut satisfaire tôt ou tard" disait la voix du captif. Allemagne, Italie, Pologne sont nos soeurs. Il faut qu'elles soient affranchies et unifiées comme nous. Nul peuple ne doit plus souffrir. Aucun ne doit rester sous la tyrannie d'un autre. Qu'à l'avenir les hommes de même race qui veulent se rassembler, avoir une vie commune, ne soient plus séparés. "On compte, en Europe, bien qu'épars, plus de trente millions de Français, quinze millions d'Espagnols, quinze millions d'Italiens, trente millions d'Allemands, disait le Mémorial. J'eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation." Voilà donc pourquoi, pendant quinze ans, Napoléon avait fait la guerre. Il s'en persuadait lui-même. A distance, il reconstruisait sa propre histoire, il lui donnait une couleur libérale et humanitaire, il mettait l'accent sur l'idéologie.
C'est ainsi qu'il se vantait d'avoir été le bienfaiteur de l'Allemagne. Pourquoi les Allemands, comme nous-mêmes, n'auraient-ils pas leur unité ? Pourquoi ne formeraient-ils pas un Etat ? La France et l'Europe avaient été injustes envers eux, depuis les traités de Westphalie jusqu'aux traités de Vienne. Erreur de les tenir en suspicion, de les diviser comme un peuple dangereux, de les mettre en surveillance ! Napoléon se félicitait d'avoir "simplifié leur monstrueuse complication". Son voeu eût été de "réaliser la nationalité germanique", d'en faire "une vaste et puissante monarchie fédérative, une grande union nationale ayant le même drapeau, les mêmes impôts et les mêmes intérêts". Cette grand monarchie fédérative, la voici justement. C'était celle de Guillaume II. Elle a été le fléau du monde et, contre elle, le monde a dû se liguer...
"Les nations, reines par nos conquêtes,
Ceignaient de fleurs le front de nos soldats..."
Béranger, qui a été le poète populaire de la propagande napoléonienne, adoptait et répandait, par ces vers du Vieux Sergent, la légende et l'évangile de Sainte-Hélène. Napoléon avait porté dans les imaginations le coup qui lui livrait la France du XIXème siècle. Sa cause se confondait désormais avec celle de la liberté et de la Sainte-Alliance des peuples. Sa dictature elle-même, il l'avait représentée comme la dictature d'un libéral, d'un "Washington couronné", despote malgré lui et pour le bien du monde.
Ses ennemis seuls ne lui avaient pas permis d'achever son dessein, de compléter l'affranchissement de l'Europe par des institutions libres à l'intérieur. J'ai été "le Messie" de la Révolution, disait-il, et mon nom sera pour les peuples "le cri de guerre de leurs efforts, la devise de leurs espérances".
Par là, Sainte-Hélène est devenu pour le XIXème siècle le Sinaï de la religion démocratique. "Les visions de Sainte-Hélène conservaient le vague des prophéties, c'était l'éclair dans la nue" a dit Emile Ollivier, qui a eu la charge funèbre de conduire à son terme en 1870 la politique des nationalités..."
"...Que disait Napoléon dans ces entretiens que les compagnons de sa captivité se chargeaient de répandre ? Il se faisait l'apôtre d'une politique nouvelle, et cette politique avait les caractères et les attraits d'une religion. C'était un vaste programme idéaliste, une déclaration des droits et des devoirs du peuple français, une audacieuse refonte de l'Europe d'après les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de justice... Que voulaient ces gouvernements timorés, ces diplomates professionnels asservis aux vieilles recettes de l'équilibre et que l'empereur déchu, à qui ils avaient succédé, traitait avec un suprême dédain ? Ce qu'ils avaient restauré, c'était la routine. Leur prudence diminuait, déshonorait la nation française, l'empêchait de se relever. Sans eux, contre eux, la politique dont Napoléon traçait les grandes lignes promettait de rénover le monde, et de le rénover d'un seul coup, sans attendre le travail du temps, dédaignant les précautions égoïstes et lâches. La cause de la France est celle de l'affranchissement universel. Alors la liberté sera la devise magique de notre grandeur. La France se doit à elle-même de briser les chaînes des nationalités. A la Sainte-Alliance des rois, elle substituera la Sainte-Alliance des peuples. Des maximes de 89, naîtront les Etats Unis d'Europe. Ainsi tous les problèmes seront résolus. Les conflits n'auront plus de causes. Sur les races apaisées, devenues semblables par les institutions et par les moeurs, il régnera, dans un monde fraternel, une paix et une joie sans mélange, sous l'égide de la nation française, mère aimée de tous ces bienfaits....
Ce rêve, la Révolution l'avait entrevu. Il mêlait, à des chimères ignorantes, des souvenirs confus, mal compris, de la politique généreuse, raisonné et féconde que la France avait suivie comme protectrice des faibles, dans son dessein constant d'empêcher une hégémonie en Europe. La guerre, l'action, les victoires sous des généraux heureux, avaient dissipé cette rêverie qui, très vite, avait fait place au goût de la domination et à l'appétit des conquêtes. Mais loin de ramener les esprits à la réalité, la chute de l'empire napoléonien fit renaître le vieux songe obscurci. Ce songe grandit, il prit des formes précises, lorsque, de Sainte-Hélène, monta la voix de celui qui, déjà, avait manié et partagé le vieux monde.
Napoléon disait ce qu'il eût voulu faire, ce que la méchanceté des rois, les retours offensifs du passé ne lui avaient pas permis de finir. Waterloo avait été la tombe des peuples libres. Napoléon convoquait le peuple français à reprendre, avec lui ou avec les siens, l'oeuvre interrompue. "Il y a des désirs de nationalité qu'il faut satisfaire tôt ou tard" disait la voix du captif. Allemagne, Italie, Pologne sont nos soeurs. Il faut qu'elles soient affranchies et unifiées comme nous. Nul peuple ne doit plus souffrir. Aucun ne doit rester sous la tyrannie d'un autre. Qu'à l'avenir les hommes de même race qui veulent se rassembler, avoir une vie commune, ne soient plus séparés. "On compte, en Europe, bien qu'épars, plus de trente millions de Français, quinze millions d'Espagnols, quinze millions d'Italiens, trente millions d'Allemands, disait le Mémorial. J'eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation." Voilà donc pourquoi, pendant quinze ans, Napoléon avait fait la guerre. Il s'en persuadait lui-même. A distance, il reconstruisait sa propre histoire, il lui donnait une couleur libérale et humanitaire, il mettait l'accent sur l'idéologie.
C'est ainsi qu'il se vantait d'avoir été le bienfaiteur de l'Allemagne. Pourquoi les Allemands, comme nous-mêmes, n'auraient-ils pas leur unité ? Pourquoi ne formeraient-ils pas un Etat ? La France et l'Europe avaient été injustes envers eux, depuis les traités de Westphalie jusqu'aux traités de Vienne. Erreur de les tenir en suspicion, de les diviser comme un peuple dangereux, de les mettre en surveillance ! Napoléon se félicitait d'avoir "simplifié leur monstrueuse complication". Son voeu eût été de "réaliser la nationalité germanique", d'en faire "une vaste et puissante monarchie fédérative, une grande union nationale ayant le même drapeau, les mêmes impôts et les mêmes intérêts". Cette grand monarchie fédérative, la voici justement. C'était celle de Guillaume II. Elle a été le fléau du monde et, contre elle, le monde a dû se liguer...
"Les nations, reines par nos conquêtes,
Ceignaient de fleurs le front de nos soldats..."
Béranger, qui a été le poète populaire de la propagande napoléonienne, adoptait et répandait, par ces vers du Vieux Sergent, la légende et l'évangile de Sainte-Hélène. Napoléon avait porté dans les imaginations le coup qui lui livrait la France du XIXème siècle. Sa cause se confondait désormais avec celle de la liberté et de la Sainte-Alliance des peuples. Sa dictature elle-même, il l'avait représentée comme la dictature d'un libéral, d'un "Washington couronné", despote malgré lui et pour le bien du monde.
Ses ennemis seuls ne lui avaient pas permis d'achever son dessein, de compléter l'affranchissement de l'Europe par des institutions libres à l'intérieur. J'ai été "le Messie" de la Révolution, disait-il, et mon nom sera pour les peuples "le cri de guerre de leurs efforts, la devise de leurs espérances".
Par là, Sainte-Hélène est devenu pour le XIXème siècle le Sinaï de la religion démocratique. "Les visions de Sainte-Hélène conservaient le vague des prophéties, c'était l'éclair dans la nue" a dit Emile Ollivier, qui a eu la charge funèbre de conduire à son terme en 1870 la politique des nationalités..."
Tiré de notre Album "Maîtres et témoins"... (II) : Jacques Bainville" (186 photos)
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