lundi 18 mars 2019

Andalousie la fin d'un mythe

Numériser.jpegLe mythe d'Al Andalous, l’Andalousie califale des derniers Omeyyades, sert souvent d'exemple à la convivialité des cultures. Comme si l'islam de ces années-là pouvait être donnée en modèle au XXIe siècle. Rafaël Sanchez Saus nous montre une réalité historique bien différente du mythe.
C’est un ouvrage monumental que nous offre l'historien espagnol Rafaël Sanchez Saus, une histoire des chrétiens dans Al Andalous, sous-titré éloquemment « De la soumission à l'anéantissement ». Ce livre, paru en 2016, a constitué un véritable succès de librairie dans son pays d'origine. Sa traduction est une opportunité pour les non-hispanophones dont je fais partie. On découvre la très longue histoire de l'Espagne musulmane, peut-être une Espagne plus tolérante que ne l'a été la domination sunnite en Afrique du nord, mais une Espagne clairement sous la botte d'un conquérant qui, au fil des siècles lui impose sa religion. Durant le VIIIe siècle, on ne compte que 10 % de musulmans, des Arabes mais aussi, en majorité, des Berbères, et aussi des muledis (c'est-à-dire des chrétiens wisigoths convertis). Durant les derniers siècles du Royaume de Grenade, la minorité chrétienne est résiduelle. Beaucoup de chrétiens ont émigré, quelques-uns se sont battus et ont été exterminés. La plupart se sont soumis, ils sont tombés dans la dhimmitude, ce statut machiavélique de « protégés de l'islam ».
Après la mort de leur roi sur le champ de bataille, lors de la conquête militaire de l'Andalousie, il faudra attendre, vers 850 la conversion d'Omar ben Hafsun, un ancien muledis, ex-bandit de grands chemins, qui, au temps de sa splendeur militaire, échoua à reprendre Cordoue, mais réussit à créer une principauté chrétienne qui vécut un demi-siècle, Bobastro, dans les Montagnes andalouses. Le personnage avait conscience du rouleau compresseur dont il avait défié l'hégémonie. Il se convertit au christianisme et prit le nom de Samuel, comme pour s'identifier au prophète qui sacra le roi d'Israël. Sa petite fille, Argentéa, mourut martyre, dans d'atroces souffrances devenue religieuse, elle allait chaque jour rendre visite aux prisonniers chrétiens, on s'enquit de sa famille et elle paya pour Omar, le renégat, elle fut elle-même considérée comme apostate, étant, par son grand-père d'origine musulmane. Voilà une histoire moins consensuelle que celle que l'on nous conte habituellement.
La liberté religieuse était absente en cette terre d'islam. Des chrétiens ont tenu à montrer cette tyrannie religieuse, en tentant d'entrer en dialogue avec tel immam ou telle autorité musulmane. Leurs questions étaient mal reçues, au point que plusieurs de ces courageux chrétiens, canonisés peu après, saint Euloge, saint Sanche, saint Léandre, avaient trouvé la mort simplement en demandant aux musulmans des comptes sur leur foi musulmane. Le caractère suicidaire d'une telle démarche marquait bien l’oppression à laquelle les chrétiens, se considérant comme chez eux puisqu'ils étaient les premiers occupants, se trouvaient soumis.
Le droit des femmes
Très significatif du décalage entre le discours dominant et les faits historiques, ce que l'on nous raconte de la condition des femmes dans Al Andalous. Les épouses étaient enfermées au gynécée, avec interdiction d'en sortir autrement que couvertes jusqu'aux yeux. Al Andalous ne présentait aucune différence sur le statut des épouses par rapport aux autres pays musulmans. Au XIIe siècle, le grand Averroès, lecteur d'Aristote pouvait écrire tranquillement dans une célèbre maxime « Il n'y a parmi nous aucune femme douée de vertu morale. Son existence se déroule comme celle des plantes. ». Averroès était cadi. Il faisait appliquer le droit musulman, non sans raideur, on le conçoit avec de tels principes. Sur la liberté de la femme, il y avait, c'est vrai une particularité dans al Andalous, comme d'ailleurs dans tous les pays musulmans, c'était le trafic d'esclaves. Les femmes les plus libres étaient les esclaves, élevées pour le plaisir des hommes et qui vivaient dans des harems, les yawari. Celles-là pouvaient se mettre en valeur et jouer avec l'amour qu'elles inspiraient à leurs maîtres pour améliorer leur condition. Mais elles restaient des esclaves sans aucun droit ou bien, affranchies, devenaient des épouses soumises.
Dans cette terre soi-disant idyllique mais esclavagiste, la pression religieuse est allée croissante au fil des années. Parmi les chrétiens, il n'y avait pas que des héros, c'est évident. D faut aussi parler des chefs de communauté qui s'accommodaient de leur statut de dhimmi et rendaient obligatoire dans la communauté chrétienne le respect des mets dits purs et impurs, la circoncision et la conception adoptianiste d'un Christ qui, à l'image de Mohammed, serait juste prophète un homme comme les autres, présenté comme adopté par Dieu. Très affaiblies au moment de la Reconquista, les communautés chrétiennes d'Al Andalous n'ont pas résisté à la chrétienté latine et leurs rites liturgiques propres, leurs us et coutumes ont disparu totalement dans l'ardeur de la Reconquête. Il faut dire qu'à Elvira (Grenade) ils n'étaient plus qu'une poignée.
- Rafaël Sanchez Saus, Les chrétiens dans Al Andalous, De la soumission à l'anéantissement, éd. du Rocher 520 pp. 242 €
Joël Prieur monde&vie 28 février 2019

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