Depuis la mort de Louis XVI, la France, en dépit des apparences républicaines, n’aura cessé de rechercher un remplaçant à la figure royale. En vain. Deux études historiques, complémentaires, permettent, en dépit de leurs défauts, de comprendre pourquoi aucun homme prétendu providentiel n’est jamais parvenu à remplacer le Très Chrétien.
Un pouvoir sacré indépendant
Que cela plaise ou non, à la différence de la plupart des modèles monarchiques à travers le monde et le temps, la royauté française relève héréditairement du sacré ; le pacte de Reims n’est pas un accord opportuniste conclu en 496 entre l’Église des Gaules et Clovis, puis renouvelé avec les dynasties successives, mais une réalité spirituelle unissant le royaume de la terre à Celui du Ciel. Perdre cela de vue, c’est se condamner, sous prétexte de rationalisme ou de dénonciation d’une « pensée magique » que notre époque éclairée ne saurait admettre, à ne rien comprendre à notre passé et aux façons d’être et de penser de nos ancêtres. Voilà sans doute, aujourd’hui, le pire écueil auquel se heurtent des historiens plus ou moins étrangers à la foi catholique et qui ont tendance à en parler comme ils le feraient des croyances de l’Égypte pharaonique. S’ils refusent d’admettre ce particularisme français, et que la Fille aînée de l’Église puisse avoir une place à part dans les plans d’un Dieu auquel il est de mauvais ton de se référer, toute leur vision de la longue geste royale s’en trouve d’emblée faussée. Voilà sans doute pourquoi, chacun à leur manière, Stanis Perez, qui signe Le corps du Roi (Perrin) et Marie-Claude Canova-Green, auteur de Faire le Roi ; l’autre corps de Louis XIII (Fayard), malgré d’impressionnantes recherches, restent à la surface des choses et passent à côté de l’essentiel.
Un premier mystère, dans une société strictement matérialiste comme la nôtre, est d’admettre que le Roi « sacré », ce qui veut tout dire, entre dans une autre dimension et que, tout en restant un homme à part entière, car il ne s’agit pas, à l’instar du Pharaon, voire même du Principat romain dans certaines de ses manifestations, de diviniser le souverain, il devient cependant un lien, un intermédiaire entre ici-bas et En-haut, dimension qui comprend une part hautement sacrificielle, celle-là même que Louis XVI assumera jusqu’à l’échafaud. Faute de le comprendre – tout comme, d’ailleurs, notre époque devient incapable de saisir ce que sont les grâces du baptême ou le sacrement de l’Ordre – l’historien se focalise sur des points de détail ou pose de mauvaises questions. Vouloir réduire les rois de France à une « incarnation du pouvoir », ce que les juristes royaux au demeurant, savaient bien, c’est s’arrêter à mi-chemin de la réalité et perdre de vue ce rôle de « Lieutenant de Dieu » qui était le leur. C’est l’idée même d’un pouvoir chrétien procédant du divin, non de la volonté populaire, ou prétendue telle, qui heurte. Dès lors, les deux universitaires se perdent dans l’étude de ce qui leur semble relever de bizarreries dépassées.
Le corps du Roi
Qui dit pouvoir incarné dit fatalement corps. Le Roi est homme, avec ses défauts, ses faiblesses, ses passions, ses maladies, et sa condition mortelle qui, cependant, n’altère pas l’immortalité du système monarchique, ou du royaume, ou de l’État, conception plus compréhensible à nos contemporains.
Stanis Perez scrute cet homme qui reste ancré dans son humanité, ne revendique nulle essence « divine » ; il le suit, de Philippe Auguste à Louis-Philippe, dans son quotidien le plus prosaïque. Pour lui, mais là encore, ce n’est que partiellement exact car le postulat de base de la sacralité du pouvoir reste la même à travers les siècles, l’image du Roi, ou celle du corps du Roi, se serait construite puis déconstruite au fil des siècles, de sorte que saint Louis n’aurait pas appréhendé son rôle et sa personne comme pouvaient les appréhender Henri III ou Louis XIV. Cette image renvoyée au peuple, cette propagande auraient pareillement fluctuée. Reste que le Roi demeurait le Roi, tant à ses propres yeux qu’à celui de ses peuples et que porter sur cela un regard « moderne », fausse fatalement l’objet de l’étude …
Ce qui est intéressant, néanmoins, dans ce livre, relève du sociologique et de l’anecdotique. Si le Roi est un homme, et nul ne le nie, il naît, il grandit, il se forme, il mange, il prend soin de son corps, de son apparence, de sa santé, il engendre, et il meurt. Comment ?
L’autre paradoxe est de parvenir à en imposer à ses sujets ou à ses ennemis tout en assumant son humanité et sa mortalité. Le cas extrême est celui de Charles VI, rongé par sa maladie mentale jusqu’à en perdre sa dignité humaine, mais jamais sa dignité royale, au point que le peuple a aimé son pauvre roi fou bien plus qu’il ne l’eût aimé sain d’esprit, dans la certitude mystique que le souverain expiait dans sa chair les péchés de la France. L’on touche là, une fois encore, à la dimension christique du pouvoir royal que nos contemporains ne savent plus appréhender. Elle est pourtant infiniment plus importante que de savoir si Louis XI jugeait indigne de se baigner en public ou que le contenu de l’assiette royale.
Dans l’imaginaire, et dans l’idéal, il faudrait que le Roi soit toujours jeune, beau, en pleine santé, doté de toutes les vertus du corps et de l’esprit. Cela peut parfois arriver, cela ne dure jamais. Comment, sauf à imiter ces peuplades qui sacrifiaient le roi vieillissant ou malade, continuer d’en imposer ?
Le roi est une incarnation
Louis XIII n’était pas séduisant, il souffrait d’un sérieux défaut d’élocution, son caractère était difficile et angoissé, sa santé mauvaise depuis l’adolescence. Dans ces conditions, alors qu’il n’avait pour lui que son droit d’aînesse, comment a-t-il incarné son rôle ?
Spécialiste du « spectacle de cour » dans l’Europe moderne, Marie-Claude Canova-Green voit, et, jusqu’à un certain point, elle a raison, Louis XIII, – mais ce serait vrai de tous les rois, – comme un acteur presque continuellement sur scène, obligé de jouer un rôle qu’il n’a pas choisi mais qui lui colle à la peau et dont il n’a pas le droit de se dépouiller.
L’on en arrive ainsi à une vision quasi schizophrénique du monarque, pris entre son personnage royal qu’il doit assumer, et sa personne privée dans l’impossibilité de s’exprimer puisque la sphère intime lui est presque interdite. Faut-il vraiment supposer la coexistence, peu apaisée, de Louis de Bourbon et de Louis XIII dans un même corps ? Ne vaut-il pas mieux admettre que le Roi était un, même si, au siècle suivant, Louis XV, et Louis XVI plus encore, rechercheront, ce qui s’avérera une faute, les moyens d’échapper à cette épuisante et constante représentation ?
Reste une analyse étonnante, et dure, de ce que l’historienne considère comme une sorte de dressage ou de conditionnement d’un enfant qui, né mâle et premier de sa fratrie princière, est destiné au trône, quand même ses qualités propres ne l’appelleraient pas spécialement à l’occuper.
Les études de « genre » étant l’une des grandes préoccupations actuelles, il est beaucoup question ici, trop peut-être, d’« apprentissage de la masculinité », notion qui aurait sans doute laissé pantois nos aïeux du XVIIe siècle. Louis XIII ne s’est sûrement jamais demandé s’il devait assumer sa condition masculine, parce qu’il a toujours su et admis qu’il était un homme, et pas une femme …
C’est parce qu’il était homme, et prématurément roi après l’assassinat de son père, qu’il s’est donné, sans pitié pour lui-même, les moyens d’assumer son destin. En toute conscience.
Louis XIII ne s’est jamais pris pour Jupiter, pas plus que son fils ne se prendrait pour Apollon. Seulement pour ce qu’il était : l’homme, avec tous ses défauts et ses péchés, que les lois de dévolution de la couronne, et la volonté de Dieu, avaient fait roi de France et qui devait s’en rendre digne.
Ne pas admettre cela, c’est renoncer à rien comprendre à la monarchie française.
Le corps du Roi, Stanis Perez, Editions Perrin, 475 p, 25 €
Faire le Roi, L’autre corps de Louis XIII, Marie-Claude Canova-Green, Editions Fayard, 372 p, 23 €
Que cela plaise ou non, à la différence de la plupart des modèles monarchiques à travers le monde et le temps, la royauté française relève héréditairement du sacré ; le pacte de Reims n’est pas un accord opportuniste conclu en 496 entre l’Église des Gaules et Clovis, puis renouvelé avec les dynasties successives, mais une réalité spirituelle unissant le royaume de la terre à Celui du Ciel. Perdre cela de vue, c’est se condamner, sous prétexte de rationalisme ou de dénonciation d’une « pensée magique » que notre époque éclairée ne saurait admettre, à ne rien comprendre à notre passé et aux façons d’être et de penser de nos ancêtres. Voilà sans doute, aujourd’hui, le pire écueil auquel se heurtent des historiens plus ou moins étrangers à la foi catholique et qui ont tendance à en parler comme ils le feraient des croyances de l’Égypte pharaonique. S’ils refusent d’admettre ce particularisme français, et que la Fille aînée de l’Église puisse avoir une place à part dans les plans d’un Dieu auquel il est de mauvais ton de se référer, toute leur vision de la longue geste royale s’en trouve d’emblée faussée. Voilà sans doute pourquoi, chacun à leur manière, Stanis Perez, qui signe Le corps du Roi (Perrin) et Marie-Claude Canova-Green, auteur de Faire le Roi ; l’autre corps de Louis XIII (Fayard), malgré d’impressionnantes recherches, restent à la surface des choses et passent à côté de l’essentiel.
Un premier mystère, dans une société strictement matérialiste comme la nôtre, est d’admettre que le Roi « sacré », ce qui veut tout dire, entre dans une autre dimension et que, tout en restant un homme à part entière, car il ne s’agit pas, à l’instar du Pharaon, voire même du Principat romain dans certaines de ses manifestations, de diviniser le souverain, il devient cependant un lien, un intermédiaire entre ici-bas et En-haut, dimension qui comprend une part hautement sacrificielle, celle-là même que Louis XVI assumera jusqu’à l’échafaud. Faute de le comprendre – tout comme, d’ailleurs, notre époque devient incapable de saisir ce que sont les grâces du baptême ou le sacrement de l’Ordre – l’historien se focalise sur des points de détail ou pose de mauvaises questions. Vouloir réduire les rois de France à une « incarnation du pouvoir », ce que les juristes royaux au demeurant, savaient bien, c’est s’arrêter à mi-chemin de la réalité et perdre de vue ce rôle de « Lieutenant de Dieu » qui était le leur. C’est l’idée même d’un pouvoir chrétien procédant du divin, non de la volonté populaire, ou prétendue telle, qui heurte. Dès lors, les deux universitaires se perdent dans l’étude de ce qui leur semble relever de bizarreries dépassées.
Le corps du Roi
Qui dit pouvoir incarné dit fatalement corps. Le Roi est homme, avec ses défauts, ses faiblesses, ses passions, ses maladies, et sa condition mortelle qui, cependant, n’altère pas l’immortalité du système monarchique, ou du royaume, ou de l’État, conception plus compréhensible à nos contemporains.
Stanis Perez scrute cet homme qui reste ancré dans son humanité, ne revendique nulle essence « divine » ; il le suit, de Philippe Auguste à Louis-Philippe, dans son quotidien le plus prosaïque. Pour lui, mais là encore, ce n’est que partiellement exact car le postulat de base de la sacralité du pouvoir reste la même à travers les siècles, l’image du Roi, ou celle du corps du Roi, se serait construite puis déconstruite au fil des siècles, de sorte que saint Louis n’aurait pas appréhendé son rôle et sa personne comme pouvaient les appréhender Henri III ou Louis XIV. Cette image renvoyée au peuple, cette propagande auraient pareillement fluctuée. Reste que le Roi demeurait le Roi, tant à ses propres yeux qu’à celui de ses peuples et que porter sur cela un regard « moderne », fausse fatalement l’objet de l’étude …
Ce qui est intéressant, néanmoins, dans ce livre, relève du sociologique et de l’anecdotique. Si le Roi est un homme, et nul ne le nie, il naît, il grandit, il se forme, il mange, il prend soin de son corps, de son apparence, de sa santé, il engendre, et il meurt. Comment ?
L’autre paradoxe est de parvenir à en imposer à ses sujets ou à ses ennemis tout en assumant son humanité et sa mortalité. Le cas extrême est celui de Charles VI, rongé par sa maladie mentale jusqu’à en perdre sa dignité humaine, mais jamais sa dignité royale, au point que le peuple a aimé son pauvre roi fou bien plus qu’il ne l’eût aimé sain d’esprit, dans la certitude mystique que le souverain expiait dans sa chair les péchés de la France. L’on touche là, une fois encore, à la dimension christique du pouvoir royal que nos contemporains ne savent plus appréhender. Elle est pourtant infiniment plus importante que de savoir si Louis XI jugeait indigne de se baigner en public ou que le contenu de l’assiette royale.
Dans l’imaginaire, et dans l’idéal, il faudrait que le Roi soit toujours jeune, beau, en pleine santé, doté de toutes les vertus du corps et de l’esprit. Cela peut parfois arriver, cela ne dure jamais. Comment, sauf à imiter ces peuplades qui sacrifiaient le roi vieillissant ou malade, continuer d’en imposer ?
Le roi est une incarnation
Louis XIII n’était pas séduisant, il souffrait d’un sérieux défaut d’élocution, son caractère était difficile et angoissé, sa santé mauvaise depuis l’adolescence. Dans ces conditions, alors qu’il n’avait pour lui que son droit d’aînesse, comment a-t-il incarné son rôle ?
Spécialiste du « spectacle de cour » dans l’Europe moderne, Marie-Claude Canova-Green voit, et, jusqu’à un certain point, elle a raison, Louis XIII, – mais ce serait vrai de tous les rois, – comme un acteur presque continuellement sur scène, obligé de jouer un rôle qu’il n’a pas choisi mais qui lui colle à la peau et dont il n’a pas le droit de se dépouiller.
L’on en arrive ainsi à une vision quasi schizophrénique du monarque, pris entre son personnage royal qu’il doit assumer, et sa personne privée dans l’impossibilité de s’exprimer puisque la sphère intime lui est presque interdite. Faut-il vraiment supposer la coexistence, peu apaisée, de Louis de Bourbon et de Louis XIII dans un même corps ? Ne vaut-il pas mieux admettre que le Roi était un, même si, au siècle suivant, Louis XV, et Louis XVI plus encore, rechercheront, ce qui s’avérera une faute, les moyens d’échapper à cette épuisante et constante représentation ?
Reste une analyse étonnante, et dure, de ce que l’historienne considère comme une sorte de dressage ou de conditionnement d’un enfant qui, né mâle et premier de sa fratrie princière, est destiné au trône, quand même ses qualités propres ne l’appelleraient pas spécialement à l’occuper.
Les études de « genre » étant l’une des grandes préoccupations actuelles, il est beaucoup question ici, trop peut-être, d’« apprentissage de la masculinité », notion qui aurait sans doute laissé pantois nos aïeux du XVIIe siècle. Louis XIII ne s’est sûrement jamais demandé s’il devait assumer sa condition masculine, parce qu’il a toujours su et admis qu’il était un homme, et pas une femme …
C’est parce qu’il était homme, et prématurément roi après l’assassinat de son père, qu’il s’est donné, sans pitié pour lui-même, les moyens d’assumer son destin. En toute conscience.
Louis XIII ne s’est jamais pris pour Jupiter, pas plus que son fils ne se prendrait pour Apollon. Seulement pour ce qu’il était : l’homme, avec tous ses défauts et ses péchés, que les lois de dévolution de la couronne, et la volonté de Dieu, avaient fait roi de France et qui devait s’en rendre digne.
Ne pas admettre cela, c’est renoncer à rien comprendre à la monarchie française.
Le corps du Roi, Stanis Perez, Editions Perrin, 475 p, 25 €
Faire le Roi, L’autre corps de Louis XIII, Marie-Claude Canova-Green, Editions Fayard, 372 p, 23 €
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