jeudi 5 juillet 2018

Balzac et la prophétie du déclin de la France

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par Nicolas Bonnal
Reparlons de la fin de l’histoire…
La catastrophe est arrivée avec Louis-Philippe, tout le monde devrait le savoir (cela me rappelle je ne sais quel journaliste royaliste qui me demandait si j’étais orléaniste ou légitimiste. On est légitimiste ou on n’est pas monarchiste, voilà tout). Depuis, on barbote. Voyez l’autre avec sa banque Rothschild et sa soumission aux patrons anglo-saxons.
Balzac c’est la comédie humaine et c’est aussi la recherche de l’absolu qui n’aboutit plus - et on n’a rien fait de mieux depuis. Car Balzac a compris mieux que tout le monde le monde moderne, peut-être mieux que Guénon même (à savoir que les résurrections et recommandations spirituelles seraient des potions, des simulacres).
Extraits de Z. Marcas, petite nouvelle méconnue, prodigieuse. On commence par la chambre de bonne :
« Comment espère-t-on faire rester les jeunes gens dans de pareils hôtels garnis ? Aussi les étudiants étudient-ils dans les cafés, au théâtre, dans les allées du Luxembourg, chez les grisettes, partout, même à l’École de Droit, excepté dans leur horrible chambre, horrible s’il s’agit d’étudier, charmante dès qu’on y babille et qu’on y fume. »
Les études professionnelles comme on dit au Pérou, de médecin, d’avocat, sont déjà des voies bouchées, observe le narrateur avec son ami Juste :
« Juste et moi, nous n’apercevions aucune place à prendre dans les deux professions que nos parents nous forçaient d’embrasser. Il y a cent avocats, cent médecins pour un. La foule obstrue ces deux voies, qui semblent mener à la fortune et qui sont deux arènes… »
Une observation sur la pléthorique médecine qui eût amusé notre Céline :
« L’affluence des postulants a forcé la médecine à se diviser en catégories : il y a le médecin qui écrit, le médecin qui professe, le médecin politique et le médecin militant ; quatre manières différentes d’être médecin, quatre sections déjà pleines. Quant à la cinquième division, celle des docteurs qui vendent des remèdes, il y a concurrence, et l’on s’y bat à coups d’affiches infâmes sur les murs de Paris. »
Oh, le complexe militaro-pharmaceutique ! Oh, le règne de la quantité !
Les avocats et l’Etat :
« Dans tous les tribunaux, il y a presque autant d’avocats que de causes. L’avocat s’est rejeté sur le journalisme, sur la politique, sur la littérature. Enfin l’État, assailli pour les moindres places de la magistrature, a fini par demander une certaine fortune aux solliciteurs. »
Cinquante ans avant Villiers de l’Isle-Adam Balzac explique le triomphe de la médiocrité qui maintenant connaît son apothéose en Europe avec la bureaucratie continentale :
« Aujourd’hui, le talent doit avoir le bonheur qui fait réussir l’incapacité ; bien plus, s’il manque aux basses conditions qui donnent le succès à la rampante médiocrité, il n’arrivera jamais. »
Balzac recommande donc comme Salluste (et votre serviteur sur un plateau télé) la discrétion, l’éloignement :
« Si nous connaissions parfaitement notre époque, nous nous connaissions aussi nous-mêmes, et nous préférions l’oisiveté des penseurs à une activité sans but, la nonchalance et le plaisir à des travaux inutiles qui eussent lassé notre courage et usé le vif de notre intelligence. Nous avions analysé l’état social en riant, en fumant, en nous promenant. Pour se faire ainsi, nos réflexions, nos discours n’en étaient ni moins sages, ni moins profonds. »
On se plaint en 2018 du niveau de la jeunesse ? Balzac :
« Tout en remarquant l’ilotisme auquel est condamnée la jeunesse, nous étions étonnés de la brutale indifférence du pouvoir pour tout ce qui tient à l’intelligence, à la pensée, à la poésie. »
Liquidation de la culture, triomphe idolâtre de la politique et de l’économie :
« Quels regards, Juste et moi, nous échangions souvent en lisant les journaux, en apprenant les événements de la politique, en parcourant les débats des Chambres, en discutant la conduite d’une cour dont la volontaire ignorance ne peut se comparer qu’à la platitude des courtisans, à la médiocrité des hommes qui forment une haie autour du nouveau trône, tous sans esprit ni portée, sans gloire ni science, sans influence ni grandeur. »
Comme Stendhal, Chateaubriand et même Toussenel, Balzac sera un nostalgique de Charles X :
« Quel éloge de la cour de Charles X, que la cour actuelle, si tant est que ce soit une cour ! Quelle haine contre le pays dans la naturalisation de vulgaires étrangers sans talent, intronisés à la Chambre des Pairs ! Quel déni de justice ! quelle insulte faite aux jeunes illustrations, aux ambitions nées sur le sol ! Nous regardions toutes ces choses comme un spectacle, et nous en gémissions sans prendre un parti sur nous-mêmes. »
Balzac évoque la conspiration et cette époque sur un ton qui annonce Drumont aussi (en prison, Balzac, au bûcher !) :
« Juste, que personne n’est venu chercher, et qui ne serait allé chercher personne, était, à
vingt-cinq ans, un profond politique, un homme d’une aptitude merveilleuse à saisir les rapports lointains entre les faits présents et les faits à venir. Il m’a dit en 1831 ce qui devait arriver et ce qui est arrivé : les assassinats, les conspirations, le règne des juifs, la gêne des mouvements de la France, la disette d’intelligences dans la sphère supérieure, et l’abondance de talents dans les bas-fonds où les plus beaux courages s’éteignent sous les cendres du cigare. Que devenir ? »
Les Français de souche qui en bavent et qui s’expatrient ? Lisez Balzac !
« Être médecin n’était-ce pas attendre pendant vingt ans une clientèle ? Vous savez ce qu’il est devenu ? Non. Eh ! bien, il est médecin ; mais il a quitté la France, il est en Asie. »
La conclusion du jeune grand homme :
« J’imite Juste, je déserte la France, où l’on dépense à se faire faire place le temps et l’énergie nécessaires aux plus hautes créations. Imitez-moi, mes amis, je vais là où l’on dirige à son gré sa destinée. »
Homo festivus… Chez Balzac il y a toujours une dérision bien française face aux échecs de la vie et du monde moderne et déceptif.
Il y a une vingtaine d’années j’avais rappelé à Philippe Muray que chez Hermann Broch comme chez Musil (génie juif plus connu mais moins passionnant) il y avait une dénonciation de la dimension carnavalesque dans l’écroulement austro-hongrois.
Chez Balzac déjà on veut s’amuser, s’éclater, fût-ce à l’étranger. Il cite même Palmyre :
« Après nous être longtemps promenés dans les ruines de Palmyre, nous les oubliâmes, nous étions si jeunes ! Puis vint le carnaval, ce carnaval parisien qui, désormais, effacera l’ancien carnaval de Venise, et qui dans quelques années attirera l’Europe à Paris, si de malencontreux préfets de police ne s’y opposent. On devrait tolérer le jeu pendant le carnaval ; mais les niais moralistes qui ont fait supprimer le jeu sont des calculateurs imbéciles qui ne rétabliront cette plaie nécessaire que quand il sera prouvé que la France laisse des millions en Allemagne. Ce joyeux carnaval amena, comme chez tous les étudiants, une grande misère… »
Puis Balzac présente son Marcas – très actuel comme on verra :
« Il savait le Droit des gens et connaissait tous les traités européens, les coutumes internationales. Il avait étudié les hommes et les choses dans cinq capitales : Londres, Berlin, Vienne, Petersburg et Constantinople. Nul mieux que lui ne connaissait les précédents de la Chambre. »
Les élites ? Balzac :
« Marcas avait appris tout ce qu’un véritable homme d’État doit savoir ; aussi son étonnement fut-il excessif quand il eut occasion de vérifier la profonde ignorance des gens parvenus en France aux affaires publiques. »
Il devine le futur de la France :
« En France, il n’y aura plus qu’un combat de courte durée, au siège même du gouvernement, et qui terminera la guerre morale que des intelligences d’élite auront faite auparavant. »
Les politiques, les sénateurs US comme des marionnettes, comme dans le Parrain. Balzac :
« En trois ans, Marcas créa une des cinquante prétendues capacités politiques qui sont les raquettes avec lesquelles deux mains sournoises se renvoient les portefeuilles, absolument comme un directeur de marionnettes heurte l’un contre l’autre le commissaire et Polichinelle dans son théâtre en plein vent, en espérant toujours faire sa recette. »
Corleone Marcas est comme un boss, dira Cochin, qui manipule ses mannequins : 
« Sans démasquer encore toutes les batteries de sa supériorité, Marcas s’avança plus que la première fois, il montra la moitié de son savoir-faire ; le ministère ne dura que cent quatre-vingts jours, il fut dévoré. Marcas, mis en rapport avec quelques députés, les avait maniés comme pâte, en laissant chez tous une haute idée de ses talents. Son mannequin fit de nouveau partie d’un ministère, et le journal devint ministériel. »
Puis Balzac explique l’homme moderne, électeur, citoyen, consommateur, politicard, et « ce que Marcas appelait les stratagèmes de la bêtise : on frappe sur un homme, il paraît convaincu, il hoche la tête, tout va s’arranger ; le lendemain, cette gomme élastique, un moment comprimée, a repris pendant la nuit sa consistance, elle s’est même gonflée, et tout est à recommencer ; vous retravaillez jusqu’à ce que vous ayez reconnu que vous n’avez pas affaire à un homme, mais à du mastic qui se sèche au soleil. »
Et comme s’il pensait à Trump ou à nos ex-vingtième siècle, aux promesses bâclées des politiciens, Balzac dénonce « la difficulté d’opérer le bien, l’incroyable facilité de faire le mal. »
Et comme s’il fallait prouver que Balzac est le maître :
« …il y a pour les hommes supérieurs des Shibolet, et nous étions de la tribu des lévites modernes, sans être encore dans le Temple. Comme je vous l’ai dit, notre vie frivole couvrait les desseins que Juste a exécutés pour sa part et ceux que je vais mettre à fin. »
Et sur l’éternel présent de la jeunesse mécontente :
« La jeunesse n’a pas d’issue en France, elle y amasse une avalanche de capacités méconnues, d’ambitions légitimes et inquiètes, elle se marie peu, les familles ne savent que faire de leurs enfants ; quel sera le bruit qui ébranlera ces masses, je ne sais ; mais elles se précipiteront dans l’état de choses actuel et le bouleverseront. »
Vingt ans plus tard Flaubert dira que le peuple aussi est mort, après les nobles, les clercs et les bourgeois, et qu’il ne reste que la tourbe canaille et imbécile qui a gobé le Second Empire, qui marque le début de notre déclin littéraire. Si on sait pour qui vote la tourbe, on ne sait toujours pas pourquoi.
Balzac rajoute :
« Louis XIV, Napoléon, l’Angleterre étaient et sont avides de jeunesse intelligente. En France, la jeunesse est condamnée par la légalité nouvelle, par les conditions mauvaises du principe électif, par les vices de la constitution ministérielle. »
C’est JMLP qui disait un jour à notre amie Marie que 80% de nos jeunes diplômés fichent le camp. On était en 2012 ! Circulez, y’a de l’espoir…
Le piège républicain expliqué en une phrase par notre plus garnd esprit moderne (royaliste et légitimiste comme Tocqueville et Chateaubriand et Baudelaire aussi à sa manière) :
« En ce moment, on pousse la jeunesse entière à se faire républicaine, parce qu’elle voudra voir dans la république son émancipation. »
La république donnera comme on sait le radical replet, le maçon obtus, le libéral Ubu et le socialiste ventru !
Z. Marcas. Lisez cette nouvelle de seize pages, qui énonce aussi l’opposition moderne entre Russie et monde anglo-saxon !
On laisse le maître conclure : « vous appartenez à cette masse décrépite que l’intérêt rend hideuse, qui tremble, qui se recroqueville et qui veut rapetisser la France parce qu’elle se rapetisse. »
Et le patriote Marcas en mourra, prophète du déclin français :
« Marcas nous manifesta le plus profond mépris pour le gouvernement ; il nous parut douter des destinées de la France, et ce doute avait causé sa maladie…Marcas ne laissa pas de quoi se faire enterrer…

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