Philippe V règne sur l'Espagne à partir du 15 novembre 1700. Suzanne Varga brosse le portrait de ce petit fils de Louis XIV dans une biographie richement documentée, avec un grand sens de la psychologie.
Les éditions Pygmalion viennent de publier un livre de Suzanne Varga, volumineux mais point du tout pesant, même élégant, fort documenté et riche d'une grande culture historique, littéraire et artistique, sur Philippe V, roi d'Espagne, petit-fils de Louis XIV, le premier Bourbon régnant sur ce pays et fondant une nouvelle maison dont découlèrent bientôt les Bourbon-Parme et les Bourbon-Siciles.
Le dur destin des princes
Tout est dit de la grande prudence de Louis XIV qui prit dans le plus grand secret la décision d'accepter le testament du dernier Habsbourg d'Espagne, le vieux et maladif roi Charles II qui donnait la succession du trône ibérique à son petit-neveu Philippe, duc d'Anjou, âgé alors de dix-sept ans, lequel se trouvait être aussi le petit-fils de Louis XIV et de l'infante Marie-Thérèse, et l'arrière petit-fils de Louis XIII et de l'infante Anne d'Autriche. Décision cornélienne pour le vieux roi de France : accepter c'était, outre se souvenir des liens civilisateurs très étroits qui unissaient les deux pays depuis des siècles, faire disparaître à jamais la menace de la prise en tenaille de la France par un nouveau Habsbourg ou un de leurs amis montant sur le trône outrePyrénées, mais c'était aussi prendre le risque, en ayant cette jeune monarchie à protéger, d'une guerre générale contre les États de l'Europe entière qui regardaient déjà le royaume de Charles II comme une proie à s'arracher bientôt...
Suzanne Varga étudie avec un grand sens de la psychologie ce que fut le drame de Philippe, fils du Grand Dauphin de France, qui aimait tant Versailles et qui idolâtrait son frère cadet le duc de Bourgogne, d'être ainsi pris au dépourvu par le dur destin des princes. Mais le devoir primait alors chez ces âmes bien nées qui sentaient le sang royal couler dans leurs veines et que l'on n'appelait pas encore du nom ridicule d'adolescents. Philippe, jeune prince mélancolique, accueilli par une joie débordante dans la péninsule ibérique, d'abord soumis à la force des événements, n'attendit pas pour montrer sa valeur le nombre des années. Il se prit à aimer son nouveau royaume et ses « chers Espagnols » dès qu'il eut à les mener à la bataille contre l'Europe coalisée, même parfois contre la France du Régent, duc d'Orléans, et à courir le risque de la mort parmi eux.
Réformant les tribunaux, protégeant les Arts, le commerce et les manufactures, fondant la bibliothèque royale de Madrid, il imprima alors à la monarchie d'outre-Pyrénées une tournure nouvelle, offrant ainsi l'apport de la sagesse de la France classique au tempérament effervescent de l'élite espagnole, un peu avant que la Révolution dite française vînt entraîner la décadence de deux royaumes.
Chacun chez soi
Il ne fut jamais question d'annexer l'Espagne à la France. Louis XIV avait été clair le matin du 15 novembre 1700 en annonçant à Versailles à Philippe qu'il régnerait sur l'Espagne : « Soyez bon Espagnol, c'est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français pour entretenir l'union entre les deux nations ; c'est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix de l'Europe. » Donc accord familial et amical, mais chacun souverainement chez soi. « Il importe au repos de la chrétienté que les deux États soient séparés à jamais », écrivait aussi Louis XIV. Quand, au plus fort de la guerre de Succession d'Espagne (vers 1704), il apparut que Versailles ne pouvait continuer de soutenir l'Espagne sans dommages graves pour la tranquillité de l'Europe, c'est alors que le jeune roi adopta pour jamais le pays qui l'avait appelé sur le trône. Suzanne Varga parle d' « émancipation » du royaume avant d'ajouter qu'entre lui et son peuple naissait une « fervente communion » car il se sentait « un Espagnol parmi les Espagnols » et « semblait être ce qu'apparemment ses sujets attendaient de lui : à la fois de la terre et du ciel, battant et priant, réservé et intrépide, mystérieux et fraternel. » En l'occurrence, il trouva auprès de son peuple fidèle une de ces réactions vives qui prouvait que, tout accablé qu'il fût, il gardait assez de vaillance et de fierté nationale pour se dévouer au salut de la patrie. Le roi « s'était en effet hissé à la hauteur des circonstances embrassant ce qu'il considérait comme les intérêts exclusifs de son royaume, dans ses actions comme dans son gouvernement ».
Un roi bon espagnol
Bien décidé à ne quitter l'Espagne qu'avec la vie, il accepta sans état d'âme les renonciations de la branche espagnole des Bourbons au trône de France enregistrées aux traités d'Utrecht (1712) non parce qu'elles furent imposées par les nécessités de la guerre et la volonté de l'Angleterre, mais parce qu'il savait qu'elles étaient conformes aux lois fondamentales des deux royaumes. Si dans un premier temps Philippe eut des velléités de revenir en France, c'était à cause de l'hécatombe qui dépeupla presque toute la descendance de Louis XIV entre 1712 et 1714, mais dès qu'il s'avéra que le petit Louis XV, arrière-petit-fils du vieux roi, vivrait, il renonça à ce projet, ne pensant plus qu'à son royaume espagnol auquel il assurait une abondante dynastie de ses deux épouses successives Marie -Louise-Gabrielle de Savoie et Élisabeth Farnèse, héritière du duché de Parme. Les renonciations des Bourbons d'Espagne furent solennellement enregistrées au parlement français et devant les Cortès sur les saints évangiles et sous la garantie de Dieu Lui-même. Un tel serment engageait deux royaumes chrétiens qui ne sauraient songer à le violer.
Ce n'est pas tout à fait ainsi que, quatre cents ans plus tard, certains des descendants de Philippe V et leurs partisans voient la question ; partant du fait que les lois fondamentales de primogéniture mâle sont immuables en France, ils ne voient pas que les meilleures lois aboutissent aux pires sophismes quand on ne les considère pas dans leur continuité historique, dominée par la coutume. En fait, les lois de succession au trône de France (loi d'hérédité par primogéniture mâle, loi d'exclusion des femmes de la succession, loi d'inéliabilité du domaine) sont plus le fruit de la coutume que du travail en chambre de juristes purs et durs et ont toujours été subordonnées au principe majeur de la sauvegarde de la nation, ce qui exclut toute prétention d'un prince descendant d'une branche qui a lié son sort des siècles durant à un pays étranger. C'est le temps qui fonde les légitimités, or le temps veut que les princes espagnols et leurs descendants sont légitimes en Espagne, à Parme et en Sicile, nulle part ailleurs...
Retour en France
Suzane Varga n'aborde pas cette question dans son grand livre, elle ne cite même pas dans son tableau généalogique des Bourbons d'Espagne le prince Luís-Alfonso, aîné de tous les Bourbons, et qu'au nom de la légitimité stricte certains présentent comme le futur roi de France. Ce prince descend d'un fils d'Alphonse XIII exclu de la succession espagnole au profit du comte de Barcelone, père de Juan Carlos, le roi actuel. Il est donc disponible pour servir et le fait qu'il le désire est tout à son honneur. Il pourrait aspirer à une haute mission diplomatique à laquelle l'appellent son rang et sa naissance. La question de ses droits au trône d'Espagne ne nous regarde pas en tant que Français. Mais il ne saurait être question d'oublier quatre siècles de l'histoire de nos deux pays pour lui donner le trône de France, lequel reviendra, la branche aînée s'étant éteinte en 1883 en la personne d'Henri V, comte de Chambord, aux Orléans, descendant de Philippe, duc d'Orléans, second fils de Louis XIII et qui, malgré les fautes personnelles de quelques uns d'entre eux, n'ont jamais servi que la France.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 décembre 2011
✓ Suzanne Varga, Philippe V, roi d'Espagne, petit-fils de Louis XIV, Pygmalion, 582 pages, 24,90 euros
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