lundi 30 octobre 2017

La Régence d'Alger : « La France n’a pas colonisé l’Algérie. Elle l’a fondée »

Par Altifashi
3214517770.jpgCette rétrospective historique très documentée reçue dans les   commentaires  de Lafautearousseau nous a beaucoup intéressés.  Il s'agit d'une réaction à un article publié ici : « La France n’a pas colonisé l’Algérie. Elle l’a fondée ». Et ce commentaire nous apprend ou nous rappelle beaucoup de choses peu connues ou oubliées. Bonne lecture et s'il y a lieu les historiens débattront. En tout cas, merci à l'auteur.  LFAR   
Connaitre l'histoire de la Régence d'Alger de sa fondation en 1515 jusqu'au débarquement de 1830 est absolument indispensable pour comprendre tout ce qui se passe après ! Les pieds noirs eux mêmes (dont je fais partie avec toute ma famille) ont tendance à penser que l'histoire de l'Algérie commence avec leur histoire ; c'est faux Il est important aujourdhui de revenir sur la raison qui a motivé Charles X à prendre Alger qui était toute simple : faire chuter le régime tyrannique du Dey d'Alger qui faisait peser depuis trois siècles un joug humiliant sur les nations chrétiennes.
Depuis leur arrivée en Afrique du nord, les arabes ont très vite pratiqué la piraterie, commerce facile et juteux qui s'est développé considérablement en 1519 avec son annexion à l'empire ottoman par Kheir-ed-din Barberousse. Le sultan ottoman Selim 1er le nomme beyglierbey (gouverneur général) et lui envoie une puissante armée de plusieurs milliers de janissaires. Les navires de la « Régence d'Alger » armés par les corsaires de Barberousse, aidés par les puissants janissaires turcs (Odjeac) vont « allègrement » piller les navires chrétiens sans défenses.
Pendant plus de trois siècles, la Régence d’Alger va devenir le fléau de la chrétienté, attaquant sans pitié les navires marchands chrétiens s’enrichissant de leurs dépouilles. Elle vit ruisseler sur ses marchés l’or du Mexique, l’argent du Pérou, les diamants des Indes, les soies et les brocards du levant : les marchandises du monde entier ! Chaque jour des galères pavoisées rentraient dans le port traînant des navires lourdement chargés de vivres, de richesses et surtout d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards qui alimentaient cet immense marché aux esclaves : le Batistan ! C’est ainsi que s’emplissait le trésor de l’Etat et que tous, depuis le plus audacieux des corsaires jusqu’au plus modeste paysan, s’enrichissait sans peine de façon crapuleuse. Les coteaux voisins se couvraient de villas et de jardins décorés des marbres ravis aux palais et aux églises d’Italie et de Sicile. La ville elle-même où l’or si facilement gagné se dépensait plus vite encore, offrait aux aventuriers l’attrait d’une fête perpétuelle et l’appât des plaisirs faciles…
Mais lorsque François 1er signe une alliance avec l'empire ottoman pour se protéger de l'ambition de Charles Quint, des accords sont conclus entre la Régence et la France. Ils seront violés régulièrement par les corsaires barbaresques jusqu'à Napoléon qui menaça en 1802 le dey Mustapha de débarquer 80 000 hommes et de détruire la Régence s'il ne restituait pas les navires battant pavillon français !
Quant au consul Pierre Deval, ses détracteurs l'ont toujours présenté comme un personnage ambigu. Son père était drogman du levant à Constantinople, il fut donc élevé dans un milieu oriental dont il garda les manières. Un turc aux manières orientales ne choquait personne, alors qu’un français oui ! Lorsqu'il vient rendre visite au Dey Hussein le 30 avril 1827 pour lui présenter ses hommages à l'issue du jeûne du Ramadan, il en profite pour lui demander la restitution de plusieurs navires couverts du pavillon blanc et de la protection de la France, injustement capturés ! De très méchante humeur à cause de l'aide que portait l'Europe à la Grèce révoltée contre la Turquie, Hussein reproche à Deval de favoriser les intrigues des juifs Bacri et Busnach au sujet de la dette contractée par le directoire à son prédécesseur le Dey Hassan. Le dialogue devint très vite animé et à la suite d'une réponse un peu vive du consul, le Dey le poussa avec l'extrémité de son chasse mouche et le menaça de prison ! Il est vrai que ce coup de chasse mouche fit à Paris un effet papillon, et que le Roi de France Charles X avait du mal à assoir son autorité face au parti des ultras qui voulait la guerre et à l'opposition libérale qui la redoutait.
Pour affirmer sa souveraineté il prend une demi-mesure en ordonnant le blocus de la Régence. Le Dey reste sur ses positions et ne veut ni restituer les navires, ni présenter d'excuses, il se contente de rappeler la créance Bacri- Busnach.
Alors, cette créance qu'en est-il ? En bref voici les faits : au début des années 1790, la France voit presque toute l’Europe se dresser contre elle. Les anglais en particulier intriguent auprès du Dey Hassan pour empêcher la livraison d’énormes fournitures de grain, de viande salée de cuir et d'autres denrées alimentaires destinées à l'alimentation du midi et surtout à la subsistance des armées napoléoniennes. Le Dey résista aux instances des anglais et se montra fort chevaleresque en prêtant au Directoire une somme d’un million sans demander d'intérêt. Mais plutôt que de traiter l'affaire lui-même il passa par l'intermédiaire des deux fameux négociants qui géraient la fortune du Dey et avaient la main mise sur toutes les transactions de la Régence : Bacri et Busnach.
C'est alors qu'ils imposèrent leurs conditions au Directoire : les mesures de blé étaient revendues à prix d'or, sans que le Dey n’en sache rien ! En 1797 Bacri fait monter la dette à 7 943 000 francs ! Le Directoire autorise le versement d'un acompte de 4 500 000 francs, mais le Dey ignore tout des sommes versées à son mandataire... En 1819 Bacri réclame un arriéré de 24 millions, le gouvernement de la Restauration reconnait la dette et décide que la somme de 7 millions sera payée par le trésor public.
Duval reçut alors la délicate mission d'expliquer au Dey que la somme due avait été réglée au seul créancier officiel : Bacri. Dans cette affaire tout le monde fut dupé par ce Jacob Bacri, et le Dey en particulier qui ne verra jamais son argent !
Le 30 juillet 1829, le navire « La Provence », mouille en rade d'Alger sous pavillon parlementaire. Le commandant De la Bretonnière propose alors au Dey une réconciliation sous condition, mais le Dey sait que s'il présente des excuses une révolution suit et sa tête tombe inévitablement, il pense aussi que l'Angleterre le protègera. En quittant le port d'Alger le vaisseau parlementaire est bombardé lamentablement par les canons des batteries du port qui le touchent onze fois. Le commandant, fier de son pavillon parlementaire, ne riposte pas ! Le gouvernement ne peut tolérer l'insulte faite au drapeau français. On prie le Sultan de Constantinople à contraindre le Dey à des réparations qui échouent. On propose au pacha d'Egypte, Mehmet Ali 28 millions, et 4 vaisseaux de ligne pour faire tomber le Dey, également de rendre la Régence à la Grande Porte : mais la Turquie ne voulait plus s'embarrasser d'un vassal ingérable !
Charles X n'avait aucune velléité de conquête, mais il n’avait plus le choix : il ordonna l'expédition d'Alger pour laver un affront fondamental, et que l’humanité n’ait plus à gémir de la tyrannie des barbaresques, ni le commerce à souffrir de ses déprédations.
Quant au livre de Pierre Péan, il est basé sur une rumeur qui courait dès septembre 1830 dans les rangs de l’opposition : l'armée française a pillé le trésor personnel du Dey ainsi que le trésor de la casbah !  Quand on est contre tout ce que fait le gouvernement, que les protagonistes de la prise d’Alger ne sont plus là pour répondre, et que l’action s’est déroulée de l’autre côté de la Méditerranée, il est facile d’affirmer de tels mensonges !
Que s’est-il passé vraiment ? D’abord, dès la reddition du Dey, des pillards juifs et maures se sont introduits dans la Casbah pour dérober des objets sans grande valeur abandonnés de part et d’autre par la famille du Dey. Ses réclamations et celles de son gendre porteront uniquement sur quelques sommes d’argent : c’est ça, le pillage de la Casbah !
Mais la rumeur sera prise très au sérieux par le gouvernement de Louis- Philippe, et le Moniteur du 21 octobre 1830 publie le résultat des enquêtes sur le trésor de la Casbah : « La prise d’Alger et de son trésor a été pendant longtemps le sujet des rapports les plus propres à flétrir la réputation d’hommes honorables employés à l’armée d’Afrique…une commission d’enquête a été nommée …tous les fruits de soustraction et d’infidélité...sont autant de fables dénuées de fondement... » .
Le général en chef Clauzel, successeur de Bourmont, signe le 22 octobre un ordre du jour afin d’apaiser la grogne des 30 000 soldats de l’armée d’Afrique : « …La déclaration expresse de la commission est que rien n’a été détourné du trésor de la casbah et qu’il a bien été, après inventaire, envoyé à Paris pour intégrer les caisses de l’état ».
Ce fameux trésor, butin de l’infamie barbaresque, a constitué le butin de guerre qui servira à rembourser les frais d’expédition. Il n’y a pas eu de pillage. 
Sources
Henri Delmas de Grammont » Histoire d'Alger sous la domination turque » (1887 éditions Bouchène)
Daniel Panzac « Les corsaires barbaresques, la fin d'une épopée » (1999)
Alfred Nettement « Histoire de la conquête d’Alger » (1867)
Léon Godard « Soirée algériennes, corsaires esclaves et martyres de Barbarie « (1857)
Georges Fleury « Comment l'Algérie devint française : 1830-1848 » (Perrin 2004)
Aristide Michel Perrot « La conquête d'Alger ou relation de la campagne d’Afrique » (1830)
Augustin Bernard « Histoire des colonies françaises, tome II » (1930)
Pierre Serval « La ténébreuse histoire de la prise d'Alger » (La table ronde 1943)
Ce livre existe aussi avec le même texte sous le titre « Alger fut à lui « édité par Calmann-Lévy en 1965.
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