PAR HILAIRE DE CRÉMIERS
À LIRE. L'histoire de l'Occupation et de la Libération vécue chez les gens de lettres.
Le travail considérable est des plus minutieux. Si vous voulez tout savoir de ce qui s'est passé chez les gens de lettres - et il faut le dire malheureusement entre gens de lettres -, chez les auteurs et compositeurs dramatiques ou de musique, compulsez ce Dictionnaire de l'épuration des gens de lettres 1939-1949 de Jacques Boncompain qui est le spécialiste reconnu de tout ce qui concerne les auteurs et leurs droits. Le sous-titre évoque toute une ambiance : « Mort aux confrères ». Il serait toutefois injuste et même faux de s'arrêter sur les seuls règlements de compte. On connaît la jalousie et la rancune redoutables qui peuvent animer les membres de ces corporations. Les mots d'esprit, d'ailleurs, fourmillent sur le sujet : le livre en est rempli. Mais le travail de Jacques Boncompain est beaucoup plus ample. D'abord il met en perspective, ce qui permet de voir dès avant guerre des fractures qui ressurgirent à la Libération où l'idéologie recouvrit d'oripeaux des choix beaucoup plus personnels ; puis il explique en détail - et c'est du plus haut intérêt historique les rapports réels des gens de lettres - et de leurs organisations représentatives - d'une part avec le gouvernement de Vichy, d'autre part avec la puissance occupante, ce qui n'est pas la même chose ; et enfin tout cela resitué dans le climat de l'époque. Sur Brasillach, par exemple, tout est dit. L'Épuration fut une période horrible où la justice fut le plus souvent faussée, alors qu'elle était censée mettre fin à cette autre période horrible de l'Occupation.
Le régime avait été incapable de préparer la France à la guerre ; il fut incapable de la pacifier après guerre. De Gaulle aggrava la cassure. Il y eut des turpitudes, des maladresses, des choix absurdes, des dénonciations, des lâchetés, mais, il faut le dire à l'honneur de l'esprit français, il y eut aussi de magnifiques réactions beaucoup plus nombreuses qu'on ne le croit, notamment aux questionnaires de la Libération qui ressemblaient si étrangement à ceux de la Gestapo, de la part tant d'un Jean Poyet que d'un René Benjamin, pour ne citer que ces noms. Enfin l'auteur se plaît - et nous avec lui - à s'attarder sur des personnalités attachantes par leur droiture et leur courage, tel un Jean-Jacques Bernard, ce juif converti au catholicisme qui se sentait si français qu'au milieu de tant de violences successives il ne cessait d'appeler à l'amour du nom français. La préface d'Henri-Christian Giraud et la conclusion aussi puissante que ramassée de l'auteur ajoutent à la compréhension des évènements et des hommes.
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