L’expression « nos ancêtres les Gaulois » décrit-elle une réalité, ou bien est-elle une simple façon de parler, un slogan, à la manière du « Madame Bovary, c’est moi » de Flaubert, ou du « Ich bin ein Berliner » du président Kennedy ?
Quand on lui demandait à quoi ressemblait un Gaulois, Braudel répondait : « Regardez-moi. » Cette réponse suggère que les invasions ultérieures, jusqu’à nos jours, n’ont pas entraîné de substitution de population depuis que les Celtes sont arrivés des montagnes d’Europe centrale à partir du VIIIe siècle avant notre ère, apportant l’usage du fer. Mais si les Celtes ont subjugué les habitant du pays qui devait devenir la Gaule, ils ne les ont pas remplacés. À quoi ressemblait l’homme de Cro-Magnon ? À cette question, on peut aussi répondre : « Regardez-moi ! » Cette observation souligne l’ambiguïté de cette quête des origines : sommes-nous d’abord les descendants d’une ethnie, ou les héritiers d’une civilisation ?
Or, de la civilisation celtique, nous n’avons à peu près rien retenu. Le vocabulaire français n’en contient que quelques mots, dont le sens est souvent incertain. On a beau attribuer aux Gaulois le goût du bien boire, du bien manger et de la bonne querelle, il faut avouer que ce sont des usages fort répandus de par le monde. On nous dit qu’ils fabriquaient des tonneaux et se servaient de savon. C’est sympathique, mais un peu léger pour établir une filiation avec les mœurs des Français d’aujourd’hui. Rares sont ceux qui grimpent sur les dolmens, une torche à la main, ou profitent de la pleine lune pour cueillir du gui dans les arbres.
Il faut ajouter que les Celtes se répandirent largement ailleurs qu’en Gaule : leur langue existe encore en Bretagne, mais aussi en Irlande et au pays de Galles. Ils ont donné leur nom à la Galice en Espagne, à la Galicie en Pologne, à la Galatie en Asie mineure. Et à la Gaule, bien entendu. Celle-ci était celte tout entière, mais n’avait pas, tant s’en faut, le monopole de la celtitude.
Il faut enfin noter que c’est la version latine du nom de la Gaule qui a survécu, et non sa version celte. C’est logique : nous ne connaissons guère les Gaulois que par les Romains. Et c’est en devenant province romaine que la Gaule s’est séparée du reste du monde celtique. La langue des Gaulois a disparu, y compris, ce qui est le plus frappant, les noms propres, qu’il s’agisse des noms de personne ou des noms de lieu. Leurs descendants portent des prénoms bibliques, germaniques ou gréco-latins – le tout fondu dans le calendrier chrétien. Depuis des siècles, on s’appelle Jean ou Marie, Charles ou Berthe, Hercule ou Apolline. Mais jamais Ambiorix ou Vercingétorix.
Les Gaulois sont donc bel et bien nos pères. Mais il faut avouer que nous avons été de mauvais fils.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France n° 1 » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
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