Jacques Richou et Les Amis de René Bazin viennent de faire paraître aux excellentes éditions Via Romana une Petite vie de Charles de Foucauld pour le centenaire de sa disparition. Ce livre est formé des éléments essentiels de l'ouvrage de l’académicien monarchiste et catholique, René Bazin, Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara, paru en 1921. Dans son amicale dédicace, Jacques Richou m'écrit : « Un exemple d'actualité par ses deux engagements au service de la patrie, de la terre, la France, et sa patrie céleste ».
La jeunesse de Charles Foucauld
Charles de Foucauld est né à Strasbourg le 15 septembre 1858. Son père, le vicomte de Foucauld de Pontbriand, sous-inspecteur des forêts, et sa mère, moururent en 1864, à quatre mois de distance. L'éducation de Charles et de sa sœur fut confiée à leur grand-père, qui avait à cette date près de soixante-dix ans : un grand-père aimant et indulgent à l'égard des colères de l'enfant qu'il considérait comme un signe de caractère. Car Charles était violent, ne supportant pas la moindre contrariété. On lira dans ce livre un exemple de ce caractère quelque peu forcené. Jusqu'à la guerre de 1870, il fut élevé dans une école dirigée par les prêtres du diocèse de Strasbourg, puis au lycée de cette ville. La guerre le chassa, avec sa soeur et son grand-père. Ils se réfugièrent à Berne, pour venir, en 1872, habiter Nancy. Il y perdit la foi. Il écrira que c'est pendant la rhétorique qu'il a perdu toute foi, « et ce n'était pas le seul mal ». Il dira : « À dix-sept ans, j'étais tout égoïsme, toute vanité, toute impiété, tout désir du mal, j'étais comme affolé. » Paresseux au possible, il se fait renvoyer de son école. Et il ajoute : « De foi, il n'en restait pas trace dans mon âme ». Mais il conserve une très profonde estime pour ses maîtres religieux. Il sera admis au concours de l'Ecole militaire en 1876. Pas brillamment, certes, puisqu'il sera l'un des derniers de la promotion. Le général Laperrine, qui sera son grand ami plus tard, dira : « Bien malin celui qui aurait deviné, dans ce jeune saint-cyrien gourmand et sceptique, l'ascète et l'apôtre d'aujourd'hui ». René Bazin, à la vue de ses portraits, écrit : « Un buste et un cou trop épais, un visage rond, empâté et sans style, qui n'a de beau que le front, droit et large, et la ligne à peine courbée des sourcils. Enfoncés dans l'orbite, les yeux, brillants et peu commodes, ont été rapetisses par la graisse qui les presse. Quant aux lèvres, indolentes, peu formées, elles sont de celles qui goûtent, parlent peu, et ne commandent pas. La chair domine ». Un portrait assez effarant... Comment Charles de Foucauld deviendra-il celui qu'il sera ? Bazin répond : « C'est le miracle de l'âme qui sculpte la carcasse et met sa signature. » Il aura, à Saint-Cyr, comme anciens, ou comme camarades, Pétain, Driant, Valombrosa, l'extraordinaire marquis de Mores. Il y vit « une existence de doux philosophe épicurien », dira son ami le duc de Fitz-James. La vie qu'il mènera, au sortir de Saint-Cyr, à Pont-à-Mousson, ne sera pas des plus catholiques. Bazin écrit : « Il menait la vie à grandes guides, faisant participer à des plaisirs variés, dont les plus raffinés paraissent être ceux de la table, de nombreux camarades et des compagnes aimables souvent renouvelées ». Bref, c'est ce que nous appelons trivialement aujourd'hui, un bringueur. Et puis, il eut l'ordre, avec le 4e hussard, de rejoindre Bône et Sétif. Il y fut suivi par une "créature", ce que les autorités n'apprécièrent que modérément. Il prit fort mal l’ordre de son colonel de la renvoyer en France, et se rebellant, eut droit à un rapport au ministre de la Guerre, un retrait d'emploi, pour indiscipline et inconduite, au printemps 1881. Mais voici la nouvelle de l'insurrection du marabout Bou-Amana qui prêchait la guerre sainte dans le Sud-Oranais. Il demanda son retour à l'armée, acceptant toutes les conditions, dont le retour en métropole de la "créature". Et là, miracle. Son futur grand ami, le général Laperrine, le raconte : « Au milieu des dangers et des privations des colonnes expéditionnaires, ce lettré fêtard se révéla un soldat et un chef ; supportant gaiement les dures épreuves, payant constamment de sa personne, s'occupant avec dévouement de ses hommes, il faisait l’admiration des vieux du régiment. » « Il savait se faire aimer », dira un de ses soldats, « mais c'est qu'il aimait aussi le troupier ».
Foucauld explore le Maroc
Le lieutenant de Foucauld a vingt-quatre ans et découvre cette terre qui le fascine. Il s'installe à Alger, démissionne de l'armée, et se décide à explorer le Maroc, pays fermé et dangereux. Il apprend l'arabe et se lie à Oscar Mac Carthy, un étonnant savant explorateur, insensible au froid et au chaud, qui a voyagé sans escorte, n'ayant peur de rien car, dit-il, selon le proverbe oriental : « Mille cavaliers ne sauraient dépouiller un homme nu ». Mais quel déguisement choisir pour voyager au Maroc ? Foucauld choisit le costume de commerçant juif. Il est accompagné dans son équipée par un juif pur porc, le rabbin Mardochée Abi Serour qui lui servira de guide. Nous sommes le 10 juin 1883. Charles de Foucauld, qui s'appelle provisoirement le rabbin Joseph Aleman, et Mardochée, se dirigent d'abord vers Tlemcen, d'où, grâce à l'aide de juifs indigènes, ils pourront pénétrer au Maroc par Tetouan. Toujours attifé de sa calotte noire, le mouchoir bleu, les babouches noires et les mèches de cheveux tombant des tempes aux épaules.
Il pénètre dans Chechaouen où un seul chrétien était entré, un Espagnol, en 1863. On ne le revit jamais... Le sentiment de la peur était totalement étranger à Charles de Foucauld. Il arrivera à Mogador le 28 janvier 1884 et fut fort mal accueilli au consulat par un secrétaire qui le prit pour un loqueteux. Regardant par le trou de la serrure pendant que le visiteur faisait sa toilette, il vit quantité d'instruments de physique émerger des plis de ses vêtements. Et Foucauld poursuivit l'exploration de ces terres largement inconnues. Un rapport de la société géographique de Paris, paru un an plus tard, évoquera « le plus important et le plus remarquable voyage qu un Européen ait entrepris au Maroc depuis un siècle ou plus ».
La conversion de Charles de Foucauld
Il va reprendre le chemin du Sud algérien, à l'automne 1885, et entend, fasciné, ces appels à la prière, cette perpétuelle invocation à Dieu qui s'élevait autour de lui chez ces hommes, prosternés cinq fois par jour vers l'Orient. Il dira plus tard : « J'ai songé à me faire musulman ». Il est encore incroyant mais, lors d'un court voyage auprès de sa famille, en France, il va faire une rencontre déterminante : celle de l'abbé Huvelin, son aîné de vingt ans. La foi va se rapprocher de lui et il va se rapprocher de la foi. Il dira à une cousine : « Vous êtes heureuse de croire : je cherche la lumière, et je ne la trouve pas. » Le lendemain, l'abbé Huvelin vit entrer dans son confessional ce jeune homme qui ne s'agenouilla pas, et lui dit : « Je n'ai pas la foi; je viens vous demander de m’instruire. » L'abbé lui répondit : « Mettez-vous à genoux, confessez-vous à Dieu : vous croirez. » Il s'agenouilla et confessa toute sa vie. Et c'est ainsi que Charles de Foucald s'approcha de la table sainte et fit sa « seconde première communion ». Depuis le moment de sa conversion, il s'était senti appelé par la vie religieuse. Il prit l'habit des trappistes le 26 janvier 1890, à l'âge de trente-deux ans, se plaignant d'ailleurs que l’ordre, pourtant très austère, ne lui offrait pas « toute la pauvreté (qu'il) voudrait », ni « l’abjection (dont il) aurait rêvé. » En février 1897, Charles de Foucauld partira pour aller vivre en Terre Sainte une vie d'ermite, après avoir passé sept ans à la Trappe. Son ordination aura lieu le 9 juin 1901. Trois mois plus tard, l'abbé Charles de Foucaud débarquait à Alger. Il allait s'établir dans le sud de la province d'Oran.
Ermite dans le Sud algérien
Il vivra à Beni-Abbès, une oasis de 7 à 8 000 palmiers. Il fut bientôt « le marabout blanc ». Le "marabout" déjeunait d'un morceau de pain d'orge trempé dans une décoction d'une plante saharienne, et, le soir, il dînait d'un bol du même thé, auquel il ajoutait un peu de lait concentré. Il y eut bientôt, émergeant du sable, de jeunes palmiers, des figuiers, des oliviers, des pieds de vigne. Son petit enclos devenait un jardin. Il racheta des esclaves du Sahara, nourrit des pauvres, aidé modestement par sa famille, par ses amis. Il dira : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère, le frère universel... Ils commencent à appeler la maison la Fraternité, et cela m'est doux ». Il reçoit certes des visites mais aucun homme ne s'offre à partager la vie de Termite du Sahara. Il écrira : « Ni postulant, ni novice, ni sœur... Si le grain de blé ne meurt pas, il reste seul... » Charles de Foucauld pense que c'est une erreur de considérer que les musulmans ne sont pas assimilables, à condition qu'ils se convertissent. Vaste programme... Il relève que la France s'est trompée en organisant l'école avec, écrit René Bazin, « cette espèce de fureur scolaire dont le principe paraît être d'exhalter la liberté, les droits du citoyen, l'électorat, comme des biens suprêmes. Or l'expérience a montré que, plus les indigènes avaient acquis de culture française, plus ils avaient tendance à nous haïr. Notre éducation, exaltant les droits de l'individu et lui offrant, comme une vérité première, Vidée orgueilleuse et fausse d'égalité, développe encore l'esprit d'insubordination de l'Arabe, créant des déclassés et des révoltés ». Et il ajoute : « L'autre erreur consiste à favoriser et à répandre l'islamisme, car l’animosité contre les chrétiens est, en fait, développée par la loi coranique. » Le Père de Foucauld considère que la première œuvre à faire est « d'apprivoiser les musulmans », considérant que c'est une erreur de croire que les mahométans ne peuvent se convertir. Dans ce livre, paru en 1937 pour la première fois, Bazin écrit ce qui correspond à la pensée de l'ermite : « Si nous ne changeons pas nos méthodes de colonisation, avant cinquante ans, nous serons chassés de l'Afrique du Nord ». Et puis, Charles de Foucauld forme le voeu de pénétrer jusqu'aux régions plus méridionales habitées par les Touareg, peuple de race berbère. Il sera le seul prêtre dans ces régions immenses où les attaques de convois et de postes se multiplient. Il commence à étudier la langue, le tamacheq (il traduira les Evangiles et écrira un dictionnaire), et puis va découvrir une nouvelle immensité, le Hoggar, un pays de montagnes et de hauts plateaux où il établira son ermitage, à Tamanrasset. Il écrit à un de ses amis : « Les indigènes nous reçoivent bien ; ce n'est pas sincère, ils cèdent à la nécessité. Combien de temps leur faudra-t-il pour avoir les sentiments qu'ils simulent ? Peut-être ne les auront-ils jamais. S'ils les ont un jour, ce sera le jour qu'ils deviendront chrétiens. » Et pourtant, il considère que « ces frères ombrageux » du Hoggar, sont « bien moins séparés de nous que les Arabes ». C’est dire... Il vit au milieu des Touaregs. Bazin écrit que « la guerre, l'expédition pour la vengeance et le pillage, telle a été, jusqu’aux débuts du siècle, l'industrie la plus lucrative des tribus touaregs ». Charles de Foucauld note cette réflexion qui se révélera hélas prémonitoire : « Tant que la France n'aura pas une guerre européenne, il semble qu'il y a sécurité ; s'il y avait une guerre européenne, il y aurait probablement des soulèvements dans tout le Sud, et ici comme ailleurs. » L'ermite est seul, terriblement seul. N'ayant pas de servant de messe, il ne jouit pas du privilège de consacrer le corps du Christ. Sa plainte s'élève, constante, dans ses lettres. « 8 septembre, pas de messe car je suis seul » ; « 25 décembre, Noël, pas de messe, car je suis seul » ; 1er janvier 1908 : « Pas de messe, car je suis seul ». Et enfin, il éprouve une immense joie, le 31 janvier : il apprend que le privilège lui est accordé par Rome de célébrer la messe sans servant. Foucauld va séjourner à Tamanrasset jusqu'au début de 1911, s'autorisant un court voyage d'un mois en France où sa famille et ses amis auront la joie de le revoir.
La guerre et la mort
Il apprend le 3 septembre 1914 la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France. La guerre sainte est prêchée auprès des tribus. Charles de Foucauld l'avait prévu. Mais il a résolu de ne pas quitter Tamanrasset. La situation à la frontière tunisienne et libyenne n'est pas bonne. Les Allemands arment et encadrent apparemment les tribus rebelles. Charles de Foucauld ne se montre pas des plus modérés. Il écrit en janvier 1916 : « Pour la première fois, je comprends vraiment les croisades : la guerre actuelle, comme les croisades précédentes, aura pour résultat d'empêcher nos descendants d'être des barbares. » Mais l'agitation au sein des tribus se poursuit. Foucauld écrira encore à René Bazin : « Le seul moyen que ces peuples deviennent français est qu'ils deviennent chrétiens. » Le 1er décembre 1916, à la tombée de la nuit, le Père est seul dans sa maison fortifiée. Une troupe de 20 Fellagas, accompagnés d'autant de nomades et de harratins (métis d'Arabes et de Noirs) s'approchent silencieusement de la maison. Pour y pénétrer, il faut un traître. Ce sera le hartani El Madani, qui connaît les habitudes et les mots de passe de son bienfaiteur. Il s'approche de la porte du fortin, fait le signal convenu, se présente comme ayant une lettre à lui remettre. La porte s'ouvre. L'ermite est happé et ligoté. Il sera abattu peu après d'une balle dans la tête. Volontairement ou dans l'affolement suite à l'approche de deux méharistes ? On ne sait pas. Parmi les souvenirs pieux que l'on retrouva dans son antre pillé, il y avait le chapelet de l’ermite, un chemin de croix très finement dessiné, une croix de bois et un tout petit ostensoir où était encore enfermée l'hostie sainte...
R.S.Rivarol du 22 septembre 2016
Petite vie de Charles de Foucauld, 140 pages, 19 euros port inclus, Via Romana, 5 rue du Maréchal Joffre, 78000 Versailles.
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