Deux cent dix-huit ans après sa mort, Louis XVI demeure présent dans nos mémoires. Les interrogations persistent : comment un roi vertueux et "bienfaisant" a-t-il pu perdre la monarchie ? Éléments de réponse…
Aujourd'hui regardée comme un fait divers, minime comparé aux scandales à répétition de la république, l'Affaire du collier prit, en 1785, une dimension qui dépassait, de loin, celle d'une banale escroquerie. Elle constitua la vengeance de parlementaires qui, rappelés par Louis XVI en 1774, - erreur fatale... -, le détestaient de ne pas se plier à leurs exigences, quand ils se posaient, sans droits, en défenseurs du peuple et des libertés. Les ressorts de ce désastre, cependant, demeurent curieusement obscurs, comme le souligne Évelyne Lever.
Rohan était-il un parfait pigeon ?
Certes, chacun en connaît les grandes lignes : une parure de diamants d'un million six cents mille livres, œuvre des joailliers Böhmer et Bassenge, conçue dans l'espoir de séduire la reine, procédé courant parmi les artisans du luxe, lui parut trop chère ; elle la refusa. Un an plus tard, Böhmer se représentait, réclamant son argent, prétendant lui avoir vendu le bijou par l'intermédiaire du cardinal de Rohan, grand aumônier de France. Or, de notoriété publique, la reine haïssait le cardinal...
Depuis, deux versions s'affrontent : la reine ignorait tout et Rohan, parfait pigeon, avait été dupe d'un couple de malfrats ; Marie-Antoinette, qui n'en était pas à sa première imprudence, avait pu s'acoquiner avec le cardinal et Mme de La Motte, comptant éponger ses dettes. Thèses pareillement insatisfaisantes, Rohan n'étant pas aussi stupide qu'on le prétendît, et la police ayant tardé à interpeller Mme de La Motte, qui ne sut pas en profiter, comme si on redoutait ses révélations. Son évasion en 1787 renforça les soupçons.
Évelyne Lever ne tranche pas. Quoique spécialiste de Marie-Antoinette, elle ne l'estime guère, et il lui manque le sens de la mystique royale qui interdit de soupçonner la reine, si frivole fût-elle alors, de certains actes et certaines pensées. Peut-être faudrait-il poser d'autres questions : quel rôle joua Cagliostro, charlatan et maçon de haut rang ? L'Angleterre, qui accueillit Mme de La Motte et diffusa ses libelles ? Les parlementaires "éclairés", jubilant de traîner dans la boue l'Église et le Roi ? Ce qui apparaît, c'est le poids d'une opinion prête à croire aux horreurs concernant la reine, d'une justice qui fit le procès de Marie-Antoinette, des forces conjurées pour saper l‘édifice capétien. Et l'insigne, la désespérante maladresse du roi dont l'autorité malvenue fut ici plus tragique que la faiblesse.
L'achat du collier eût été sans conséquence ; Louis XVI l'avait proposé à sa femme, qu‘il préférait occupée de coquetterie plutôt que de politique. Ce choix explique l'importance conférée à Mlle Bertin. On a vu en Marie-Jeanne Bertin, dite Rose, Abbevilloise établie marchande de modes à Paris, l'inventrice de la haute couture française. Il suffit pour assurer sa fortune et sa gloire d'une robe de mariée confectionnée pour Mlle de Penthièvre qui épousait le duc de Chartres. Toute la cour, la reine la première, ne jura plus que par elle ; sa boutique du Palais Royal, le Grand Moghol, fut bientôt plus courue que les monuments de la capitale.
Haute couture
Le génie de Bertin fut de faire bouger la mode, non chaque saison, mais chaque semaine, obligeant sa clientèle à suivre, quitte à se ruiner. Si l'on considère le nombre d'artisans et producteurs que ce commerce de luxe faisait vivre, la nécessité de représentation de la Cour, ces achats somptuaires n'étaient évidemment pas dénués d'utilité. Là où Mlle Bertin s'avéra dangereuse, c'est, contre toute attente, en participant au besoin de changement ambiant. Marie-Antoinette voulait en finir avec les robes à la française, monuments de splendeur et gêne intolérable pour celles qui les portaient. Bertin fit des vêtements faciles à vivre, élégants, mais qui ramenaient la Reine au rang du commun des mortelles. Marie-Antoinette lui accorda des attentions qu'elle refusait à de très grandes dames, dont la fureur se déchaîna en attaques sordides. Ces bagatelles pesèrent plus lourds que les mémoires de la couturière dans le discrédit jeté sur la souveraine. Michelle Sapori offre la première biographie de cette femme d'affaires avisée, à la clientèle internationale, au talent remarquable, bizarrement oubliée des historiens. Un peu de légèreté dans le propos eût toutefois rendu le livre plus plaisant.
Étrange folie
Ce ne sont pas les chiffons de la reine, ni ses bijoux, ni Trianon et Fontainebleau qui creusèrent le déficit de l‘État, insignifiant comparé au nôtre, mais la guerre d'Amérique. Pourtant, c'est sur ces détails que focalisa la malveillance publique, sur eux que se concentrent les reproches de Malesherbes dans ses Mémoires au Roi. On eût voulu sacrifier les grandes écuries et voir le souverain courir la poste... Malesherbes était trop intelligent pour croire que ces économies-là éviteraient la banqueroute. Il avait compris, en revanche, qu'il fallait satisfaire le monstre de l'opinion en semblant céder à ses caprices. Publiés pour la première fois, ces Avertissements de Cassandre vinrent trop tard, couronnant l'extraordinaire aveuglement d'un magistrat intègre, d'une loyauté à son roi si parfaite qu'elle le conduisit avec les siens à l'échafaud. À le lire, on mesure l'étrange folie de ces parlementaires qui sapèrent leur univers avec la certitude d'œuvrer au bien commun et les ravages opérés dans les consciences par l'esprit des Lumières.
Le premier atteint...
Faut-il l'avouer ? Louis XVI était le premier atteint et Fénelon lui avait fait un mal irréparable. Jean de Viguerie l'a admirablement expliqué dans sa biographie du « roi bienfaisant » ; Gérard Bedel le dit à son tour de manière plus concise en publiant le texte d'une remarquable conférence prononcée l'an dernier à l'occasion du 21 janvier, Louis XVI ou la tragédie de la vertu. S'appuyant sur un inédit de Bainville, lequel affirmait qu'il fallait être un bien grand prince et l'avoir fait exprès pour défaire en quinze ans l'œuvre de quinze cents années, il décrypte les erreurs commises, les fautes, fruits d'un défaut de formation, et de caractère, liés, qui interdirent au roi, capable de penser clair, de prendre les décisions qui s'imposaient. Hanté par l'exemple de Charles I er, qui n'avait pas voulu céder à la Révolution, le malheureux Louis XVI crut bon d'opter pour le parti contraire. Nous savons, hélas, où ce mauvais choix le conduisit, et la France, et nous, en même temps...
Confrontés au désastre que provoqua l'incertitude royale, les raidissements tardifs succédant aux complaisances trop grandes envers les idées du temps, il est difficile, quelle que soit la pitié et le respect suscités par la tragédie du 21 janvier, de ne pas éprouver quelque rancune envers le roi. Marguerite Castillon du Perron a choisi de revisiter ce drame à la lumière divine, et, pour ambitieux que soit ce projet, il aboutit à une œuvre théâtrale, Le Sang du Roi, d'une hauteur, d'une profondeur, d'une grandeur oubliées depuis Bernanos et le Dialogue des Carmélites. Mme Castillon du Perron fut, il y a cinquante ans, la biographe du jeune Louis-Philippe et s'intéressa à ce titre à son père. Réhabiliter Philippe Égalité est un exercice auquel on s'est rarement attaqué, la cause paraissant perdue. À tort, comme le démontre l'historienne devenue dramaturge.
Repentir au théâtre
Nous sommes le 6 novembre 1793. Transféré de Marseille à Paris, le duc d'Orléans vient, incrédule, de s'entendre condamner à mort. On lui envoie un prêtre, assermenté mais honnête homme qui regrette de n'être plus en règle avec Dieu et Rome. Cet abbé Lothringer témoignera que son pénitent était mort réconcilié avec le Ciel et plein d'un repentir sincère. Comment, en quelques instants, la grâce a-t-elle pu opérer dans l'âme du Prince et le ramener à la foi de son enfance, effaçant tout par le sacrement et le supplice ?
Un à un vont défiler sur la scène, et dans le souvenir du duc d'Orléans, ceux qui jouèrent un rôle dans ses choix et ses errements : le vieux domestique fervent et fidèle, Mme de Buffon, sa maîtresse, Grace Elliot, l'Anglaise qui chercha à le retenir sur la mauvaise pente, Choderlos de Loclos, qui prend là une dimension quasi démoniaque. Il va se confronter à eux, au mal qu'il fit. Mais Philippe refuse obstinément d'affronter l'ombre de son cousin, envers lequel il se croit toujours empli de haine et de jalousie. Seul un miracle pourrait jeter une ultime clarté dans cette âme orgueilleuse et tourmentée.
Il est impossible de résumer une oeuvre conçue pour être jouée, et qui ne le sera sans doute jamais, certains sentiments n'étant pas accessibles à ceux qui font désormais l'opinion. Il faut la lire, s'en pénétrer, la méditer. Et remettre, une fois pour toutes, nos querelles, nos rancoeurs, nos sottises, nos incompréhensions dans cette Lumière-là, la seule qui vaille, qui transcende tout, au cœur de laquelle cet impensable, ce monstrueux gâchis que furent la révolution et ses suites sanglantes, revêt, ne devrions-nous le comprendre que de l'Autre Côté, un sens, et même une valeur, humainement inimaginables.
Anne Bernet L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 20 janvier au 2 février 2011
✓ Évelyne Lever : L'Affaire du collier, Fayard, 435 p., 24 €.
✓ Michelle Sapori : Rose Bertin, couturière de Marie-Antoinette, Perrin, 175 p., 19,90 €.
✓ Chrétien-Guillaume de Malesherbes : À Louis XVI ou les avertissements de Cassandre, Tallandier, 300 p., 19,90 €.
✓ Gérard Bedel : Louis XVI ou la tragédie de la vertu, Via Romana, 90 p., 10 €.
✓ Marguerite Castillon du Perron : Le Sang du Roi, François-Xavier de Guibert, 150 p., 16 €.
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