Gilbert Renault entra dans la légende, lors du second conflit mondial, sous le nom du colonel Rémy.
Portrait d'un homme honnête et courageux, dont le général De Gaulle se détacha après qu'il fut devenu un émissaire trop zêlé. Il fut Raymond, Jean-Luc, Morin, Watteau, Roulier, Beauce, mais c'est sous le nom du colonel Rémy que Gilbert Renault entra dans l'Histoire. Un goût pour les masques donc, un proto James Bond, propre à donner du rêve aux petits garçons. Toute une jeunesse d'après guerre a vibré au récit de Rémy comme à celui du Grand Cirque de Pierre Clostermann, aviateur français engagé dans la Royal Air Force.
Sympathisant d'AF
Rémy, ou Gilbert Renault, appartenait à ce que la Bretagne donna de mieux à la mère patrie, à la suite des Duguesclin, Cadoudal ou Chateaubriand. Né à Vannes en 1904 et décédé à Guimgamp en 1984, il a vécu aux limites de la Bretagne française dite gallo et de la Bretagne bretonnante. Mais celui qui allait devenir l'un des plus fameux agents secrets de la France occupée pendant la Seconde Guerre mondiale pensait comme Maurras. Sympathisant d'Action française, sans avoir toutefois jamais milité, il concevait les républiques sous le roi et l'amour de la grande patrie au travers de la petite.
Aîné d'une famille de neuf enfants, fils d'un professeur de philosophie converti assez tôt à l'inspection générale d'une compagnie d'assurances, élevé chez les Jésuites, il poursuivit des études de droit. Il était l'héritier d'une famille catholique et nationaliste, et sa vie pouvait sembler tracée, mais il y eut la guerre, la "drôle" pour commencer, avant l'invasion du printemps 1940. Rares sont les vies où tout bascule. Clostermann, à dix-neuf ans, de Rio de Janeiro grimpa dans un cargo à destination de la Tamise. Gilbert Renault est plus âgé, mais c'est avec un enthousiasme tout aussi juvénile qu'il monte à bord d'un chalutier, en compagnie d'un de ses frères, pour quitter nuitamment le port de Lorient, et cela dès juin 1940.
Rémy fut l'un des rares agents à avoir acquis une certaine aura après la guerre : il a su se faire le principal ordonnateur de sa propre légende à travers une oeuvre littéraire pour le moins prolifique où, à côté d'ouvrages d'inspiration religieuse, il multiplia des livres-souvenirs sur la Résistance.
Dans la nuit du 18 au 19 juin 1940 Rémy traversait donc la Manche. Il quittait cinq enfants, un parcours professionnel chaotique qui l'avait mené de la Banque de France, à l'exploitation forestière au Gabon, puis comme son père aux assurances. Il s'était même lancé dans la production cinématographique, avec peu de bonheur : l'échec commercial du J'accuse d'Abel Gance en 1936 ne l'avait pas découragé puisqu'il avait tourné pendant l'hiver 1939-1940 un Christophe Colomb en Espagne. Disons le tout net, peu de chefs d'oeuvre mais un beau carnet d'adresses, et un passeport témoignant de déplacements nombreux et peu soupçonnables.
Naissance d'un héros
Voilà pourquoi Rémy, après avoir rencontré le colonel Passy, chef du BCRA, à Londres, regagna la France dès le mois d'août 1940. Un héros allait naître. Dès la fin de l'été, il créa son premier réseau de renseignement, Confrérie-Notre-Dame, qui devint en 1944 CND Castille. Il couvrait toute la France, ainsi que la Belgique. Gaulliste de la première heure, quoiqu'à éclipses jusqu'en 1943, Rémy était d'abord une tête brulée qui mena plus de 1 500 agents en territoire occupé. Compagnon de la Libération par décret du 13 mars 1942, il prépara les attaques de Bruneval et Saint-Nazaire. Le grand projet était tout de même de préparer les esprits à la prise du pouvoir par le général De Gaulle. Rémy tenta de rallier à sa bannière toutes les forces disponibles contre l'occupant. Il mit en contact le PCF avec la France libre et se rendit à Londres avec Fernand Grenier en janvier 1943.
À son retour en France, la Gestapo lui fit la chasse, arrêta sa mère et ses soeurs. On fusilla son jeune frère et trois autres membres de sa famille, mais lui restait insaisissable. Cependant, à l'heure de la Libération, cet homme de l'ombre entra dans la lumière parce qu'il savait écrire, parce qu'il était bon orateur. On s'arrachait les livres de Rémy, on courrait à ses conférences. Tout de même, ce gaulliste alors sincère et orthodoxe dissimulait comme il pouvait un manque de discernement politique. Il le reconnut volontiers lui-même : le socialiste Pierre Brossolette, en le mettant en relation, pendant la guerre, avec des groupes syndicaux et politiques avait pallié cette faiblesse. Mais en 1945, ce Rémy médiatisé allait servir les intérêts du général De Gaulle. Jusque-là utilisant les autres, il allait être à son tour utilisé.
L'opération se déroula en trois temps. Il y eut d'abord la volonté farouche du général De Gaulle de reprendre le pouvoir après sa démission de janvier 1946. Cela par la voie électorale, avec donc la nécessité d'un organisme partisan, pourtant la bête noire du général, un parti ! Lequel prit pour nom, le 14 avril 1947, Rassemblement du peuple français (RPF). Reste que, très vite, ce "rassemblement" recruta surtout à droite. En pleine Guerre froide, il devint même le réceptacle de la famille nationaliste. Alors se fit jour le pragmatisme indiscutable du général. Puisque la reprise du pouvoir était à ce prix, De Gaulle allait envoyer, à certains pétainistes, des signaux de ralliement. Le rideau de fer qui s'était abattu sur l'Europe rapprochait d'ailleurs gaullistes et pétainistes.
Qui dit signal, dit émissaire. C'est là qu'intervint le colonel Rémy, à ses dépends. « Un soir d'hiver de l'année 1947, le général De Gaulle me fit l'honneur de me convier à dîner en sa compagnie et celle de son aide de camp Claude Guy dans le salon de son appartement 24-25 de l'hôtel La Pérouse, situé tout près de l'Étoile. L'obscurité lui semblant propice pour fouler librement l'asphalte de la capitale, il nous proposa en se levant de table une promenade sur l'avenue Foch. »
Que la France ait deux cordes à son arc
« Pendant notre promenade, la conversation porta sur le mois de juin 1940 où les jours semblaient si noirs bien que le ciel fût d'un bleu éclatant, et le général De Gaulle m'entendit parler du maréchal Pétain avec amertume. S'arrêtant soudain dans sa marche, il posa sa main sur mon bras par un geste tout à fait inhabituel de sa part. "Voyez-vous, Rémy ! dit-il. Il faut que la France ait toujours deux cordes à son arc. En juin 1940, il lui fallait la corde Pétain, aussi bien que la corde De Gaulle." La foudre fût tomber sur ma tête qu'elle ne m'aurait pas laissé plus étonné. » Et voilà ! On ne saluera jamais assez le grand comédien que fut le général De Gaulle, mais aussi le bon public que fut Gilbert Renault, alias le colonel Rémy, qui n'eut de cesse de communiquer dans les mois suivants la bonne nouvelle.
Rémy, qui était membre du comité exécutif du RPF (il était en charge des voyages et des manifestations...), n'avait pas été choisi au hasard. Sa famille politique d'avant-guerre comptait beaucoup dans cette affaire. Il saurait parler aux "nationaux", du moins se faire entendre d'eux. Il allait leur expliquer que tout le monde, à sa manière, avait été résistant. Au besoin, De Gaulle appuierait cet émissaire de la réconciliation comme lors de sa conférence de presse au palais d'Orsay, en s'indignant juste ce qu'il fallait sur le sort de Pétain : « C'est un opprobre que de laisser en prison un homme qui va avoir quatre-vingt-quinze ans... »
La justice et l'opprobre
Tant de complexité allait cependant bouleverser le colonel Rémy qui dépassa la mesure, et le désir du chef. Il prit beaucoup trop d'initiatives, appelant publiquement, le 29 décembre 1949, à la révision du procès de Charles Maurras, après avoir salué Maurice Pujo. Son article retentissant publié dans l'hebdomadaire Carrefour du 11 avril 1950, intitulé « La justice et l'opprobre », où il reprenait les apparentes confidences faites en 1947 sur l'avenue Foch, causa sa rupture définitive avec De Gaulle. Dès le lendemain de sa parution, le communiqué du général leva les ambiguïtés, déroutant sans doute davantage encore le pauvre Rémy. De Gaulle disait : « Je ne puis admettre sur ce sujet l'opinion qu'exprime, à présent, le colonel Rémy. On doit le savoir depuis dix ans. l'estime que j'ai pour l'auteur de l'article ne saurait y changer. Certes, la clémence, à l'égard de ceux qui se sont trompés de bonne foi, est désormais d'utilité nationale. Mais rien ne saurait, dans aucune mesure, justifier ce qui fut la politique du régime et des hommes de Vichy, c'est-à-dire en pleine guerre mondiale, la capitulation de l'État devant une puissance ennemie et la collaboration de principe avec l'envahisseur. La nation a condamné cela. Il le fallait pour l'honneur et l'avenir de la France. »
Ainsi Rémy connut-il le désaveu le plus retentissant. Il démissionna du RPF, s'installa au Portugal, continua d'écrire et finit par adhérer à l'ADMP, l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. Comprit-il un jour ce qui s'était passé et ce que voulait De Gaulle ? Comme pour bien des partisans de l'Algérie française quelques années plus tard, celui-ci utilisa quelques bonnes volontés pour approcher des milieux qui lui étaient à première vue franchement hostiles, quitte à les désavouer très rapidement ensuite. À défaut de tête politique, il faut donc toujours saluer chez Rémy le courage du résistant.
Marc Savina L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 2 au 15 décembre 2010
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