samedi 2 avril 2016

1825 : Le dernier sacre

Pressé d'affirmer devant les foules que le pouvoir vient de Dieu, Charles X brave les faiseurs d'opinion publique en se rendant à Reims, où le cocasse voisine avec le sacré.
Cette année-là, la deuxième de son règne, Charles X, soixante-huit ans, ayant succédé à Louis XVIII en septembre 1824, voulut renouer avec la tradition du sacre royal. Rappelons que ces deux rois étaient les frères de Louis XVI, connus, avant de régner, respectivement comme Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, et Charles-Philippe, comte d'Artois, et que les malheurs des temps les avaient rendus tour à tour héritiers de leur neveu Louis XVII, l'enfant martyr du Temple.
Le deuil de l'Ancien Régime
Certes, il n'était pas possible après les vingt-cinq années de la Révolution et de l'Empire de rétablir la constitution et la physionomie de l'Ancien Régime, et les deux frères de Louis XVI comprirent qu'ils devaient accepter d'oeuvrer avec l'administration et le personnel de Napoléon. Louis XVIII, « octroyant » la Charte en 1814, donc ne se la laissant pas imposer par les Chambres, avait sauvé le principe monarchique, et même si les Cent Jours du retour de Napoléon l'obligèrent ensuite à sévir, il sut par sa patience, son sens de la mesure et son esprit quelque peu voltairien, ne pas heurter de front ses compatriotes peu enclins, après ce qu'ils avaient vécu, à respecter quoi que ce fût, et surtout très déchristianisés. Ce que voyant, il ne se fit pas sacrer. Charles X, homme plus séduisant, mais moins patient, était pressé d'affirmer devant les foules que le pouvoir vient de Dieu, et non d'un contrat dû à la volonté des hommes ; il voulait que le mystère de la monarchie fût comme au temps de ses aïeux hautement affirmé par le sacre où l'onction du saint chrême marquait du sceau de la religion la personne du roi Très Chrétien : il irait donc à Reims pour sceller à nouveau le pacte de Clovis avec Dieu et pour demander les grâces nécessaires à sa fonction, notamment celle d'accorder équité et justice à chacun selon ses droits, de consoler les affligés, de secourir les pauvres, de corriger les malfaiteurs - toutes choses contenues dans la prière et le serment du sacre autrement plus fortement que dans les déclarations ou lois écrites dont on abreuvait la France depuis 1789...
Après l'ouragan révolutionnaire, c'était braver les faiseurs d'opinion publique qui n'avaient alors de cesse de répandre les oeuvres de Voltaire et des Encyclopédistes en vue d'éteindre les piétés populaires et séculaires. Charles X osa, sacrifiant sa tranquillité à son principe. Certes quelques formules surannées furent époussetées comme le serment « d'exterminer » les infidèles, mais il fut bien convenu que, malgré l'exemple grotesque de Napoléon se posant lui-même la couronne sur la tête, le roi serait couronné par Mgr de Latil, archevêque de Reims.
Le sacré et le cocasse
Parti de Paris le 20 mai, le roi entra le 28 dans la ville du sacre en liesse, accueilli à sa descente de carrosse par le cardinal de La Fare, archevêque de Sens, qui, avant le Te Deum, prononça un discours plutôt malvenu sur les devoirs du peuple et les droits du souverain. Les fautes de goût étaient inévitables dans cette cérémonie improvisée, comme par exemple ces étoffes cramoisies et de carton-pâte donnant à la cathédrale des allures de théâtre.... Le roi jura de « maintenir et honorer notre sainte religion », de « rendre bonne justice » et de « gouverner conformément aux lois du royaume et à la Charte constitutionnelle ». C'était ce que tous attendaient... Le citoyen Ruhl avait brisé le 6 octobre 1793 la sainte ampoule contenant l'huile qui servit au baptême de Clovis, mais quelques gouttes avaient été pieusement et héroïquement recueillies. Les onctions sur la tête, la poitrine, les épaules, au pli du bras purent donc avoir lieu. Tout fut en règle.
Maréchaux d'Empire
Bien sûr les temps étant ce qu'ils étaient, le cocasse voisinait avec le sacré. Les maréchaux de l'Empire, Moncey, Soult, Mortier et Jourdan jouaient le rôle des "grands vassaux" et portaient la couronne, l'épée de Charlemagne, le sceptre et la main de justice (Moncey avait naguère fêté le mort du « tyran Louis XVI »...). L'ineffable et claudiquant Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ancien évêque apostat désormais marié, s'agenouillait pour mettre au roi des chaussons violets semés de lys d'or... La cérémonie commencée à huit heures du matin s'acheva à plus de midi.
Dès lors la popularité du roi baissa, Paris l'accueillit froidement, la presse se déchaîna, allant jusqu'à dire qu'il s'était fait ordonner prêtre ! On ne comprenait plus le symbolisme du sacre. Seul le peuple des campagnes conservait l'âme profondément royaliste. Cinq années plus tard, le roi, aux prises avec la grande bourgeoisie capitaliste, mal servi par le parti (quel vilain mot !) monarchiste borné et têtu, le roi qui avait remporté la victoire de Navarin qui affranchit la Grèce et surtout ouvert la voie à la conquête de l'Algérie par la France, partait en exil au milieu des clameurs furieuses d'une presse sans retenue. Nous en reparlerons.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 2 au 15 septembre 2010

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