Il est peu sans doute de théories politiques, voire de doctrines, ayant rencontré autant d’incompréhension, ou provoqué de telles falsifications que celle du nationalisme intégral.
Maurras en fut très tôt conscient, lui qui déplora la « misère logique de l’époque », la sienne, où les esprits étaient « incapables de distinguer une méthode d’une doctrine, un procédé dialectique empirique d’avec une affirmation pure » (L’Action Française, 5 novembre 1917). Que dirait-il de notre aujourd’hui, qui a fait du nationalisme une invective et confond dans une même et glissante opprobre “intégral”, “total” et, finalement, “totalitaire” ? Il est vrai que dès 1926, l’inventeur de l’expression avait pu regretter d’avoir, métaphoriquement, employé un « terme emprunté aux mathématiques, que l’on défigure à plaisir » (L’Action Française, 21 octobre 1926). De fait, si beaucoup savent encore sans doute que le nationalisme intégral est l’essence de la doctrine monarchiste, peu évitent, par ignorance ou désir de nuire, des confusions qui le font passer pour la théorisation d’une forme furibonde et exacerbée de chauvinisme, une version aristocratique plus que populacière du nationalisme belliqueux de l’époque.
De l’unité doit naître la paix civile
En vérité, Maurras a hésité devant l’usage du mot “nationalisme” qui lui semblait précisément faire la part trop belle au seul “sentiment national” et à toutes les démagogies qu’il pouvait nourrir, dont Déroulède et même Barrès n’ont pas évité tous les pièges. Non pas qu’il en méprise et réprouve l’expression, puisqu’il parle à ce propos de « faits de sentiment » que leur consistance et prégnance placent au rang des causes politiques effectives. Le salut public peut en rendre nécessaire l’exaltation en renforçant l’unité nationale. C’est ce qu’a réalisé l’Union sacrée pendant la Grande Guerre. Toutefois, contrairement aux nationalistes ordinaires, Maurras refuse, pour des raisons de cohérence, de confondre les ordres et d’absolutiser un sentiment pour en faire une doctrine, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le sentiment national n’est pas pour lui, dans l’ordre des faits, une réalité première, mais un produit médiat, un effet et un reflet de l’ensemble des relations concrètes que met en œuvre la nation dans ses profondeurs. Un exemple récent paraît le démontrer : la tentative du gouvernement de la République de capter les puissances du sentiment national, en prescrivant étrangement aux citoyens, de produire des drapeaux tricolores jusqu’alors abandonnés au tiers parti nationaliste, n’a rencontré qu’un succès limité. Chacun pressent, en effet, et le bon sens le crie, que la ferveur, même partagée, ne peut à elle seule refonder une communauté déchirée, ni se substituer à des mesures de salut public jusqu’à présent esquivées. De plus la démagogie nationaliste, parce qu’elle se fonde sans aller plus avant sur la logique binaire de l’appartenance ou du rejet, le plus souvent selon un critère unique (ethnique, religieux, linguistique ou géographique), « produit de l’exclusion », pour utiliser le vocabulaire actuel, favorise le rejet, les annexions et tous les irrédentismes. Or Maurras, lorsqu’il s’agit de la nation, recherche une unité, comme nous allons le voir, autrement profonde et substantielle, d’où naîtra la paix civile.
Un coup d’éclat permanent
Pas question non plus pour lui de donner à ce sentiment un caractère universel, à l’image de Fichte, d’en faire une entité sacrée sous la forme romantique du Volksgeist allemand, fondement d’une idéologie nationaliste dont il a prévu et subi les ravages pangermanistes. La tactique maurassienne sera donc de conduire le nationalisme français à dépasser sentiment, opinion et idéologie, pour accéder à la contemplation théorique d’un fait premier : la nation est une communauté de naissance, la seule à pouvoir assurer à chacun de ses membres sûreté et dignité. Aucun éthno-biologisme dans cette reconnaissance, puisque cette communauté nationale n’existe pour lui que comme l’effet d’une cause avant tout politique, d’un dessein continu qui fut celui de l’institution monarchique. Une institution qui elle-même a fait du primat de la naissance le principe de sa durée bienfaisante. La monarchie française a ainsi placé au centre du pouvoir le lien familial, non pas, comme référence biologique et « cellule de base de la société » comme on l’a si platement répété il y a peu, mais comme principe unissant tous les cercles de la nation. Le roi ne représente pas la nation, il en est le lien vivant, son incarnation actuelle qui embrasse aussi la durée. C’est cette manière d’être à la fois vivant, dans la singularité de son temps, et tourné vers l’universel, d’être à la fois au début et à la fin qui fait du roi et de la nation, au sens philosophique, un universel concret, c’est-à-dire une totalité qui, dans un coup d’éclat permanent, n’abolit pas les particularités, n’efface aucune souveraineté, aucune liberté, mais les compose et ordonne comme une œuvre d’art. [....]
Pascal Janse
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